jeudi 13 mai 2021

[Orsenna, Erik] La passion de la fraternité. Beethoven

 


 

 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : La passion de la fraternité. Beethoven

Auteur : Erik ORSENNA

Parution : 2021 (Stock - Fayard)

Pages : 180

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

« Joie, tous les humains deviennent frères lorsque se déploie ton aile douce. »
Quatre ans avant 1789, quatre ans avant la prise de la Bastille et la Déclaration des Droits de l’Homme, Schiller écrit ce poème qui ne cessera d’accompagner Beethoven.
Un Beethoven toute sa vie passionné de fraternité alors que tout se ligue contre lui, sa famille, sa santé, ses amours, ses finances, la noblesse. 
À  tous les coups qui le frappent, il répond par un chef d’œuvre. Jusqu’à ce bout du chemin, le 26 mars 1827, en plein cœur d’un orage. Il meurt en nous laissant, en nous léguant cette joie, les derniers accents de sa neuvième symphonie devenu le chant de l’Europe enfin réconciliée. 
Ce livre est le récit de cette passion, le portrait d’un génie fraternel. 
Un livre né d’un double amour.
Pour l’Europe.
Et, bien sûr, pour la musique. Car le trio « Fidelio » que viennent de créer Erik Orsenna, le pianiste Michel Dalberto et le violoncelliste Henri Demarquette raconte, mots et notes mêlés, cette folle et bouleversante passion pour la Fraternité.
De quel trésor avons-nous le plus aujourd’hui besoin ?

  

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Erik Orsenna est l’auteur de L’Exposition coloniale (prix Goncourt 1988), de Longtemps, de Madame Bâ et de Mali, ô Mali. Il a aussi écrit des petits précis de mondialisation, dont Cochons. Voyage aux pays du Vivant (2020), et des biographies, dont André Le Nôtre, Portrait d’un homme heureux (2000), La Fontaine, une école buissonnière (2017) et Beaumarchais, un aventurier de la liberté (2019). On lui doit également cinq contes célébrant la langue française dont La grammaire est une chanson douce (2001).

 

 

Avis :

Passion et fraternité : deux termes emblématiques, selon Erik Orsenna, de l’homme que fut Beethoven et de son œuvre, et dont il fait les deux pierres angulaires de ce portrait du célèbre musicien.

Car, plus que d’une biographie, c’est bien d’un portrait éclairé du grand homme dont il s’agit ici. De son immense documentation, l’écrivain a extrait la quintessence, nous renvoyant à ses sources pour davantage d’exhaustivité, et nous livrant l’image à ses yeux la plus révélatrice de son sujet. Le parcours historique, de la naissance à la mort du compositeur, s’accompagne ainsi d’une analyse pleine de finesse et d'esprit, de tout ce que son œuvre incarne, musicalement, artistiquement, mais aussi politiquement.

Tandis que se révèle un albatros de la musique, génie que son art empêtre dans la compagnie des hommes, héroïque dans son combat contre la surdité, et précurseur sur bien des aspects de sa création, toute la narration converge vers un point d’orgue, l’Ode à la joie par laquelle s’achève l’ultime symphonie de Beethoven, et qui, composée sur des vers de Schiller en l’expression d’un idéal de fraternité, est devenue l’hymne officiel de l’Union européenne.

Erik Orsenna nous livre ici un regard très personnel sur un géant qui fait vibrer chez lui plus d’une fibre, musicale bien sûr, mais aussi politique et philosophique. L’humour et l’érudition de sa plume si brillamment travaillée sont un régal. (4/5)


Citations:

Une vie, tout compte fait, se résume à la confiance.
Qui croit en vous vous rend digne de cette confiance.
Et c’est ainsi que monte la vie, de marche en marche, en surprises toujours plus grandes d’avoir, du seul fait de la confiance, rendu possible l’impossible.

Dans les foires, on fait danser les ours. Pourquoi ne pas faire jouer les enfants ? L’habitude est fréquente, à l’époque. On appelle ces petits périples, à visée pécuniaire, des « tournées de virtuosité ». Plus le virtuose est jeune, plus le phénomène émerveille et plus l’aumône des spectateurs est généreuse. Voilà pourquoi Johann a toujours triché. Au lieu du 16 décembre 1770, il fait naître son prodige tantôt un an, tantôt deux ans plus tard. Chacun son rôle dans la famille Beethoven : la mère met au monde, le père choisit la date.

Les artistes, en tout cas les artistes de certains arts, ont toujours eu besoin des puissants. Car les arts sont inégaux face à la liberté. Si un écrivain n’a besoin de presque rien pour écrire dans sa soupente et finira bien par trouver quelqu’un pour éditer son chef-d’œuvre, un paysagiste sans client n’est qu’un dessinateur, un sculpteur sans marbre qu’un gâcheur de terre glaise, et un musicien qu’une victime d’acouphènes s’il ne rencontre personne pour financer l’orchestre et les concerts qui lui permettront d’entendre ce qu’il compose. Non, tout n’était pas mieux avant ! Vive le numérique qui, parfois, libère.

Les puissants de ce temps-là étant les aristocrates, mieux valait les aimer. Sage attitude ! On économise beaucoup d’énergie à aimer ceux qui vous sont utiles. La sincérité est une matière qui se travaille. Et d’autant plus qu’une ambition vous habite. On ne peut pas mener tous les combats à la fois. À confondre les guerres, celle qui, seule, compte, et la foule des conflits subalternes, on se condamne à l’impuissance. Voire, on s’y complaît : parfaite excuse pour ne rien faire qu’une morale sourcilleuse de tout.

Et c’est à ce Tim que je dois cette définition du vin, et l’une des raisons de mon affection pour lui : « Le vin, c’est de la géographie liquide. »
 
On dirait que l’œuvre de Beethoven répond coup pour coup aux agressions de sa vie. Plus celle-ci frappe, plus celle-là triomphe.
C’est la promesse de Heiligenstadt, tenue jour après jour dans un héroïsme bouleversant.
Si, dans tous les domaines de sa vie, sans refuge et sans répit, Beethoven accumule les souffrances, drames familiaux, rebuffades sentimentales, précarité financière, maladies enchaînées, infirmités de plus en plus invalidantes (puisque, à la surdité, maintenant totale, se sont ajoutées des conjonctivites), dans toutes les formes de son art, il se libère, il invente et triomphe.

Philippe Lecointre, mon professeur de piano, et moi avons écouté et réécouté ce quatuor. « La légèreté de Haydn et de Mozart sont toujours là mais tu entends ces lignes mélodiques brisées, ces modulations abruptes ? Ces thèmes difficilement chantables préfigurent la révolution atonale du début XXe ! Par moments, ça sonne comme du Schoenberg ! Beethoven voit le futur, plutôt il l’entend. »

Pour ceux dont, par malédiction, je suis, qui ne sont pas musiciens, cette infirmité est ressentie comme un rejet, un exil à jamais, une interdiction de terre promise. On reste au-dehors, à tendre l’oreille et à considérer, désolés, ses dix doigts incapables de rien jouer. Dès la première note, les musiciens se reconnaissent. Ils savent qu’ils sont de la même confrérie. Et nous, les exclus, ne pouvons que les regarder s’embrasser. Et qu’importe si, par la suite, la jalousie les déchirera, ils sont d’un autre monde. Aristocrates dont aucune nuit du 4 Août n’aura aboli les privilèges. Au regard de la musique, on aura beau faire, et même s’il faut (beaucoup) travailler, les hommes ne naissent pas égaux en droits. Certains ont l’ouïe qu’il faut, absolue, d’autres se contentent d’entendre. 

 

 

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