lundi 17 mai 2021

[Kressmann Taylor, Kathrine] Inconnu à cette adresse

 


 

Coup de coeur 💓

 

Titre : Inconnu à cette adresse
            (Address Unknown)

Auteur : Kathrine KRESSMANN TAYLOR

Traductrice : Michèle LEVY-BRAM

Parution : en anglais (Etats-Unis) en 1938,
                   en français en 2002

Editeur : Autrement

Pages : 120

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Ils sont tous deux allemands. L’un est juif, l’autre non, et leur amitié semble indéfectible. Ils s’expatrient pour fonder ensemble une galerie d’art en Californie, mais, en 1932, Martin rentre en Allemagne. Au fil de leurs échanges épistolaires, Max devient le témoin impuissant d’une contamination morale sournoise et terrifiante : Martin semble peu à peu gagné par l’idéologie du IIIe Reich. Le sentiment de trahison est immense ; la tragédie ne fait que commencer…
Ce texte d’une force inouïe, au dénouement lumineux, a connu un succès instantané lors de sa parution aux États-Unis en 1938 dans le magazine Story. Redécouvert soixante ans plus tard grâce à la publication par Autrement de la traduction française, qui s’est écoulée à un demi-million d’exemplaires, il est aujourd’hui considéré comme un classique du XXe siècle.

  

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Kathrine Kressmann Taylor est née à Portland en 1903. Après un diplôme de littérature et de journalisme de l'université d'Oregon, elle déménage à San Francisco où elle devient correctrice et rédactrice dans la publicité. En 1938, elle publie, dans Story magazine, Inconnu à cette adresse, sous le pseudonyme « Kressmann Taylor ». Elle consacre ensuite sa vie à l'écriture, au journalisme et à l'enseignement. En 1967, elle épouse à Florence, en second mariage, le sculpteur américain John Rood. Kressmann Taylor est décédée en 1997 à l'âge de 94 ans.

 

 

Avis :

Les deux Allemands Max et Martin, associés marchands d’art installés en Californie, sont des amis de longue date. Lorsqu’en 1932 Martin retourne vivre à Munich, s’établit entre les deux hommes une correspondance d’abord assidue, puis de plus en plus espacée, à mesure que Max, de confession juive, constate l’emprise croissante de l’idéologie nazie sur son ami.

Inspirée de vraies lettres, cette nouvelle fit grand bruit lorsqu’elle parut en 1938, en pleine tension d’avant-guerre. Comment ne pas voir dans cette histoire une miniature du processus d’escalade menant à la seconde guerre mondiale, entre une Allemagne nazie de plus en plus belliqueuse et sûre d’elle, et des nations d’abord incrédules, bientôt contraintes à la confrontation violente une fois l’inconcevable avéré ? A l’époque de sa publication, un tel texte ne pouvait que sonner comme une terrible prémonition et soulever un raz-de-marée émotionnel chez ses lecteurs.

L’aspect le plus saisissant du récit réside sans doute dans le contraste entre sa formidable puissance et son extrême économie de moyens. L’échange de quelques lettres suffit à rendre claire et palpable une vérité, alors forcément pressentie, mais encore repoussée dans l’esprit du public. L’indifférente et désinvolte cruauté de Martin s’exprime en quatre mots lapidaires : « Ta sœur est morte ». La riposte de Max tient en quelques très courtes lettres, assassines au sens littéral du terme, qui laissent au lecteur le soin d’imaginer leurs tragiques conséquences. Sous la surface de chaque page se profilent ainsi des perspectives d’autant plus vertigineuses qu’elles laissent à notre intuition le soin de les sonder et de combler les pointillés.

Coup de maître donc que cette nouvelle, au point qu’elle fut jugée par l’éditeur et par l’époux de l’auteur comme « une histoire trop forte pour avoir été écrite par une femme », d'où le pseudo masculin Kressmann Taylor. Un texte choc, intemporel, dont les qualités m’ont irrésistiblement évoqué Stefan Zweig. (5/5)


Citations:

Heureusement qu’il existe un havre où l’on peut toujours savourer une relation authentique : le coin du feu chez un ami auprès duquel on peut se défaire de ses petites vanités et trouver chaleur et compréhension.

L’homme électrise littéralement les foules ; il possède une force que seul peut avoir un grand orateur doublé d’un fanatique. Mais je m’interroge : est-il complètement sain d’esprit ? Ses escouades en chemises brunes sont issues de la populace. Elles pillent, et elles ont commencé à persécuter les juifs. Mais il ne s’agit peut-être là que d’incidents mineurs : la petite écume trouble qui se forme en surface quand bout le chaudron d’un grand mouvement. Car je te le dis, mon ami, c’est à l’émergence d’une force vive que nous assistons dans ce pays. Une force vive. Les gens se sentent stimulés, on s’en rend compte en marchant dans les rues, en entrant dans les magasins. Ils se sont débarrassés de leur désespoir comme on enlève un vieux manteau. Ils n’ont plus honte, ils croient de nouveau à l’avenir. Peut-être va-t-on trouver un moyen pour mettre fin à la misère. Quelque chose, j’ignore quoi, va se produire. On a trouvé un Guide ! Pourtant, prudent, je me dis tout bas : où cela va-t-il nous mener ? Vaincre le désespoir nous engage souvent dans des directions insensées.

Tu dis que nous persécutons les libéraux, que nous brûlons les livres. Tu devrais te réveiller : est-ce que le chirurgien qui enlève un
cancer fait preuve de ce sentimentalisme niais ? Il taille dans le vif, sans états d’âme. Oui, nous sommes cruels. La naissance est un acte brutal ; notre renaissance l’est aussi. Mais quelle jubilation de pouvoir enfin redresser la tête ! Comment un rêveur comme toi pourrait-il comprendre la beauté d’une épée dégainée ?


 

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