mardi 25 mai 2021

[MBUE, Imbolo] Puissions-nous vivre longtemps

 




J'ai aimé

 

Titre : Puissions-nous vivre longtemps

Auteur : Imbolo MBUE

Traductrice : Catherine GIBERT

Parution : 2021 (Belfond)

Pages : 432

  

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur : 

Après l’immense succès de Voici venir les rêveurs, Imbolo Mbue revient avec une œuvre d’une force et d’une beauté inouïes. Dans la lignée des Damnés de la terre de Frantz Fanon, Puissions-nous vivre longtemps est un grand roman politique sur les dégâts du capitalisme à outrance, sur l’Afrique et sur les fantômes de la colonisation ; c’est aussi l’inoubliable portrait d’une femme puissante et lumineuse.
 
levez-vous enfants, mettez-vous en formation,
la folie a pris feu, poings levés
brûle, brûle, brûle ; que toutes les voix s’élèvent,
vivantes et fières – ou donnez-nous la mort
dix mille régimes, se repaissant de nos âmes, et pourtant
nous continuons de nous battre, jusqu’à quand ?
puissions-nous vivre longtemps pour voir ce matin resplendissant.


C’est l’histoire d’un petit village d’Afrique de l’Ouest en lutte contre la multinationale américaine qui pollue ses terres et tue ses enfants.
C’est l’histoire d’une génération d’anciens qui a cru en la promesse d’une prospérité venue d’Occident.
C’est l’histoire d’une jeunesse qui décide de se révolter, quitte à user de la violence et à prendre les armes.
C’est l’histoire de Thula, la belle et courageuse Thula, prête à tout pour sauver les siens au risque de tout sacrifier.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Imbolo Mbue a quitté Limbé, au Cameroun, en 1998 pour faire ses études aux États-Unis. Elle a grandi en lisant les grands auteurs africains : Chinua Achebe, Ngugi wa Thiong’o, mais c’est chez Toni Morrison et Gabriel García Márquez que sa sensation d’être éclatée entre deux cultures a trouvé un écho. Elle a aujourd’hui 38 ans et vit à Manhattan. Les plus grands éditeurs américains ont enchéri pour acquérir Voici venir les rêveurs, son premier roman, qui a fait l’événement de la Foire de Francfort en 2014. Puissions-nous vivre longtemps est son deuxième roman.

 

 

Avis :

Le petit village africain de Kosawa se meurt, ses terres polluées et ses enfants empoisonnés par les activités d’extraction pétrolière d’une multinationale américaine. Lasse des promesses de réparation non tenues, la jeune génération entreprend de se défendre, par tous les moyens s’il le faut. A leur tête, Thula est prête à y consacrer sa vie.

Lutte du pot de terre contre le pot de fer, le combat à l’origine plein d’espoirs d’une poignée de villageois tenus pour quantité négligeable va s’avérer une partie épineuse, désespérante et usante. Malgré leur détermination d’autant plus ferme qu’elle s’assortit d’une confiance ingénue en leur bon droit et en la justice, rien ne se déroulera selon les attentes de Thula et des siens, les contraignant à user tour à tour de toutes les armes à leur disposition. Intervention des media et d’organisations humanitaires, action en justice auprès des instances internationales, voie pacifique ou violente : leur adversaire est au coeur de bien trop d’intérêts croisés pour se sentir ne serait-ce qu’un instant ébranlé. Surtout lorsqu’à la longue, les habitants de Kosawa eux-mêmes ont toutes les chances de succomber à leur tour aux sirènes de la compromission et de l’enrichissement…

Plus fable politique que roman, le récit rassemble, en une histoire unique et symbolique, tout ce qu’ont pu vivre différents peuples, envahis, assujettis et exploités par des puissances étrangères, motivées par leurs seuls intérêts. Confrontées à l’esclavagisme, puis à la colonisation, et enfin au pillage de leurs ressources avec parfois la complicité de dictatures locales sanglantes et corrompues, bien des populations d’Afrique n’ont eu d’autre choix que de finir par abandonner toute résistance, troquant leurs modes de vie ancestraux contre une conformité dont ils espèrent tant bien que mal tirer leur part du profit.

Malgré sa formidable portée et la justesse de son observation historique et géo-politique, ce texte s’est révélé pour moi d’une lecture difficile et pénible. Lent, long et désespérément répétitif au fur et à mesure de l’alternance des points de vue des différents protagonistes, le récit nous plonge dans un combat aux multiples rounds, tous condamnés à l’échec, où Thula, l’héroïne principale, fait plus figure d’allégorie qu’elle ne s’incarne en personnage réel. L’ensemble en acquiert parfois un côté presque abstrait, qui perturbe l’immersion du lecteur dans le fil narratif. 
 
A défaut de vrai plaisir de lecture, restent une démonstration puissante et une vision d’une sombre lucidité, propres à ouvrir bien des réflexions. Le combat de Thula m’a notamment souvent fait penser à celui, bien réel, des Chagossiens, raconté récemment dans Rivages de la colère de Caroline Laurent. (3,5/5)

 

Citations : 

Vous croyez être les seuls à souffrir ? demande-t-il. Partout dans le pays, des villages et des villes souffrent pour une raison ou une autre. Votre eau est impure. Dans tel village, les soldats violent les filles. Dans tel autre, une autre société abat les arbres et le sol s’érode. À moins que des pierres précieuses n’aient été trouvées dans le sous-sol, alors là les soldats débarquent armés d’un arrêté gouvernemental les autorisant à sécuriser la zone et ce faisant à tuer des gens parce que… Ont-ils besoin d’une raison ? Le village ancestral de ma femme, pas très loin du mien dans la région de Bikonobang, a été annexé par le gouvernement pour y développer une réserve animalière, tous les habitants doivent plier bagage et trouver un autre endroit où vivre. Que pensez-vous que ces villageois ont pu faire pour s’y opposer ? Rien. Des dizaines d’entre eux ont fait le voyage à Bézam, ont pleuré et supplié qu’on les aide – vous savez ce qui s’est passé ? On leur a dit de rentrer chez eux et d’attendre, l’aide ne tarderait pas à arriver. Alors ils sont rentrés chez eux et ils ont attendu, attendu. Parfois, ils retournent à Bézam, ils retournent à Bézam un nombre incalculable de fois. Mais rien ne change. Pas pour eux. Pas pour vous. Vous pouvez aller construire un autre pays ailleurs si celui-ci ne vous convient pas ; les gens qui possèdent le nôtre l’aiment tel qu’il est.

Tu es jeune, dit-il. Un jour, quand tu seras vieux, tu comprendras que ceux qui sont venus pour nous tuer et ceux qui se sont précipités pour nous sauver sont les mêmes. Quel que soit le prétexte, ils débarquent ici, persuadés d’avoir le pouvoir de nous prendre ou de nous donner, l’un ou l’autre du moment que leurs besoins sans fin sont satisfaits.

La colère d’un homme n’est souvent rien de plus qu’un refuge pour sa lâcheté.

Qui ferait les choses que personne ne pensait devoir faire si chacun ne faisait que ce qu’il devait faire ?

Ma mère m’a toujours conseillé de ne pas m’appesantir sur le passé ni sur l’avenir. Ce qui s’est produit ne se déproduira pas, se plaisait-elle à dire ; ce qui doit advenir adviendra – tu ferais mieux de te concentrer sur ce qui est en train de se passer sous tes yeux. Mais, un soir comme celui-ci, quand je suis seule sous l’auvent de la case – Yaya et Juba à l’intérieur, Thula en Amérique depuis plusieurs mois déjà –, je n’entends d’autres voix que celles du passé et de l’avenir. Elles m’entourent de chaque côté, se disputent mon esprit. Rappelle-toi ce qui est arrivé, dit le passé. Envisage ce qui pourrait arriver, dit l’avenir. Le passé gagne toujours car ce qu’il avance est vrai – ce qui est arrivé vit en moi et m’enveloppe, toujours présent. Je ne peux me fier à l’avenir et à ses incertitudes.
 
Au moment où je suis née, on sentait les frémissements d’un retour de la paix dans notre région, mais rien de semblable à ce qui avait été jadis. Les histoires de ravisseurs semblaient appartenir désormais à une légende, la soif de caoutchouc s’était calmée en Europe, il n’était donc plus nécessaire de faire couler le sang de notre peuple pour l’étancher. Pourtant, la peur qu’une nouvelle exigence des Européens survienne et que leurs enfants soient emmenés n’a jamais quitté nos mères et nos pères. Parvenus à l’âge adulte, nous n’avons vu aucun signe annonciateur d’un nouveau malheur. Les Européens occupaient le terrain depuis un certain temps et nous avons commencé à en avoir moins peur, mais sans jamais oublier qu’ils étaient venus non pour être nos amis, mais pour que nous obéissions à leurs ordres. Ils nous ont initiés à l’argent non parce que nous en avions besoin, mais parce que nous devions apprendre son fonctionnement pour leur faciliter la vie. Ils ont inculqué de force leur Esprit aux faibles d’esprit et bâti une église à Lokunja non parce que nous en avions l’utilité, mais parce qu’ils voulaient nous persuader que notre Esprit était le mal, nos manières immorales. S’ils nous incluaient dans leur monde, nous devions intégrer dans notre vie les principes qui régissaient la leur.

Trop d’hommes perdent la notion de leur véritable nature, ce qui conduit les plus avides d’entre nous à considérer le reste de leurs semblables comme un festin à dévorer.

Thula n’a pas balayé mes espoirs, elle m’a simplement fait remarquer qu’il était peu probable dans un pays comme le nôtre que l’on passe en douceur d’un gouvernement pitoyable à un gouvernement irréprochable. Notre nation n’avait pas les fondations nécessaires pour que cette transition se produise, par manque de constitution ; chaque pays doit se doter d’une déclaration émise par le peuple tout entier qui définit les contours du pays dans lequel il souhaite vivre afin de le bâtir ensemble. Intéresse-toi aux pays dont l’histoire est marquée par des gouvernements solides et tu verras que tous reposent sur des fondations créées par leurs prédécesseurs. L’Amérique s’appuie sur des bases établies par les pères fondateurs. Les monarques européens ont défini les assises des pays dans lesquels leurs descendants vivraient. Qui a créé les fondations de notre pays ? Personne. Nous formons un agrégat de tribus sans rêve commun. Notre pays a été construit de force sur des sables mouvants qui, aujourd’hui, s’effondrent de l’intérieur.

 

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