samedi 1 mai 2021

[Aubenas, Florence] L'inconnu de la poste

 


 



J'ai beaucoup aimé

 

Titre : L'inconnu de la poste

Auteur : Florence AUBENAS

Parution : 2021 (Editions de l'Olivier) 

Pages : 240

 

  

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur : 

« La première fois que j’ai entendu parler de Thomassin, c’était par une directrice de casting avec qui il avait travaillé à ses débuts d’acteur. Elle m’avait montré quelques-unes des lettres qu’il lui avait envoyées de prison. Quand il a été libéré, je suis allée le voir. Routard immobile, Thomassin n’aime pas bouger hors de ses bases. Il faut se déplacer. Je lui ai précisé que je n’écrivais pas sa biographie, mais un livre sur l’assassinat d’une femme dans un village de montagne, affaire dans laquelle il était impliqué. Mon travail consistait à le rencontrer, lui comme tous ceux qui accepteraient de me voir. »
F. A.

Le village, c’est Montréal-la-Cluse. La victime, c’est Catherine Burgod, tuée de vingt-huit coups de couteau dans le bureau de poste où elle travaillait. Ce livre est donc l’histoire d’un crime. Il a fallu sept ans à Florence Aubenas pour en reconstituer tous les épisodes – tous, sauf un. Le résultat est saisissant. Au-delà du fait divers et de l’enquête policière, L’Inconnu de la poste est le portrait d’une France que l’on aurait tort de dire ordinaire. Car si le hasard semble gouverner la vie des protagonistes de ce récit, Florence Aubenas offre à chacun d’entre eux la dignité d’un destin.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Florence Aubenas est grand reporter au journal Le Monde. Elle a notamment publié La Méprise : l’affaire d’Outreau (Seuil, 2005) et Le Quai de Ouistreham (L’Olivier, 2010), qui a connu un immense succès et redéfini la notion de journalisme d’immersion.

 

 

Avis :

En 2008, la postière d’un village de l’Ain est retrouvée assassinée de vingt-huit coups de couteau sur son lieu de travail. L’enquête piétine et finit par déboucher en 2013 sur la mise en examen de l’acteur Gérald Thomassin, césar du meilleur espoir 1991. L’homme  est placé trois ans en détention provisoire avant d’être libéré sous contrôle judiciaire. Il disparaît en 2019, alors qu‘un non-lieu était sur le point de l’innocenter. Florence Aubenas a enquêté sept ans sur cette affaire, restée à ce jour irrésolue.

Exposée pas à pas avec une objectivité et une précision journalistiques qui n’ont d’égale que l’incontestable talent de conteuse de l’auteur, cette histoire en tout point véridique se lit comme un thriller où ne cesse de s’épaissir le mystère. Face à l’énigme, la narration se garde de développer toute théorie personnelle, et, plutôt qu’à une contre-enquête, c’est à une véritable étude sociologique qu’aboutit Florence Aubenas. Explorant la personnalité des protagonistes, leur environnement socio-économique et les ressorts de leur existence, elle nous immerge dans le vase clos provincial de cette vallée frontalière en crise, devenue carrefour de l’industrie du plastique, mais aussi de la drogue.

S’y dessine peu à peu une galerie de portraits plus vivants que nature, parmi lesquels la figure tourmentée d’un étranger aux lieux venu s’y établir, que ses failles psychologiques tout autant que sa vie marginale, entre RSA, drogue et alcool, ne pouvaient que désigner à la méfiance et aux soupçons. Enfant de la Ddass éternellement habité par une insondable béance intérieure, cet homme qu’on dirait dévoré par la combustion de son mal-être, semble aimanté par quelque force obscure qui l’enchaîne au malheur. Sa chute aux enfers est d’autant plus troublante et vertigineuse qu’elle s’inscrit en tragique contraste avec la chance que lui offrait le cinéma. Et il n’est pas jusqu’au point d’orgue de son inquiétante disparition qui ne contribue à hanter durablement le lecteur, bien après le point final de ce récit.

L’acuité du regard et des observations de Florence Aubenas fait de ce document un fascinant et troublant instantané des remous où se noie une partie habituellement invisible de notre société. Admirablement conté, il se lit comme un roman empli de suspense et de mystère, d’autant plus addictif et bouleversant qu’encore une fois, la réalité dépasse l’imagination. (4/5)

 

Citations : 

« Ça y est, je suis à la rue, il pense. Comme si ça me collait à la peau d’arriver là. » Ce monde lui paraît étranger et à la fois secrètement familier.
Les habitudes sont vite arrivées. La manche, où il excelle. Les nuits en groupe dans des endroits secrets pour ne pas se faire attaquer. Les saucisses froides extraites de leur emballage. Les papiers d’identité, les lingettes, le couteau collé au ventre dans la banane. De son passé, il n’a plus une photo, plus une lettre, rien. Les jours défilent sans qu’on les compte. « Quand tu es à la rue, tu vis au fur et à mesure. Au bout d’un moment, la rue a pris toute la place, tu ne penses plus qu’à elle. C’est comme le cinéma. »

Au palais de justice de Lyon, les deux juges d’instruction peuvent se dire qu’on ne les a pas saisis pour rien. Ils ont, à leur manière, apporté du nouveau. Bien sûr, les charges restent ténues, les éléments flous, racontant un contexte davantage qu’ils ne fournissent de preuves.
(...)
Pour le verdict, cette fois encore, rien n’est joué. Un acquittement serait possible mais, aux yeux de la magistrature, la vraie question est désormais ailleurs : peut-on classer sans suite un dossier comme celui de Montréal-la-Cluse, signalé à la chancellerie, qui a bouleversé une région, après une enquête de dix ans par une unité d’élite et deux personnes mises en examen ? La réponse est non. « On a fait tout ce qui était possible, et à un moment donné il faut y aller : présenter le dossier tel qu’il est et laisser les jurés trancher », estime un magistrat. Le procès garderait une certaine tenue : des témoins, des grands avocats, de l’émotion, la famille de la victime appréciera le travail accompli et sera amenée à participer, ce qui est plus intéressant pour elle qu’un rendez-vous dans l’ombre d’un cabinet.
Les audiences promettent même d’être explosives avec des accusés comme Thomassin et Nain, rien à voir avec la haute voyoucratie ou les beaux mecs, qui restent de marbre et laissent leurs avocats ferrailler techniquement, sans laisser affleurer le moindre sentiment. Les deux hommes sont « nature », « bourrés de maladresses, ce qui fait leur intérêt », « spécialistes du free style ». Dans l’enceinte d’une cour d’assises, où s’attisent les passions, tout peut arriver avec eux. Qui sait ? Les professionnels appellent ça « la magie de l’audience ».
Il ne reste plus qu’à rédiger l’ordonnance de mise en accusation.

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