lundi 8 mars 2021

[Paris, Gilles] Certains coeurs lâchent pour trois fois rien

 






J'ai aimé

Titre : Certains coeurs lâchent pour trois
            fois rien

Auteur : Gilles PARIS

Parution : 2021 (Flammarion)

Pages : 224





 

 

 

Présentation de l'éditeur : 

« Les cliniques spécialisées, je connais. Je m’y suis frotté comme on s’arrache la peau, à vif. Les hôpitaux psychiatriques sont pleins de gens qui ont baissé les bras, qui fument une cigarette sur un banc, le regard vide, les épaules tombantes. J’ai été un parmi eux. »

Une dépression ne ressemble pas à une autre. Gilles Paris est tombé huit fois et, huit fois, s’est relevé. Dans ce récit où il ne s’épargne pas, l'auteur tente de comprendre l’origine de cette mélancolie qui l’a tenaillé pendant plus de trente ans. Une histoire de famille, un divorce, la violence du père. Il y a l’écriture aussi, qui soigne autant qu’elle appelle le vide après la publication de chacun de ses romans. Peut-être fallait-il cesser de se cacher derrière les personnages de fiction pour, enfin, connaître la délivrance. «Ce ne sont pas les épreuves qui comptent mais ce qu’on en fait », écrit-il. Avec ce témoignage tout en clair-obscur, en posant des mots sur sa souffrance, l’écrivain nous offre un récit à l’issue lumineuse. Parce qu’il n’existe pas d’ombre sans lumière. Il suffit de la trouver.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Gilles Paris est l’auteur de huit romans qui ont tous connu un succès critique. Son best-seller Autobiographie d’une Courgette a fait l’objet d’un film césarisé et multi-récompensé en 2016.

 

Avis :

De la trentaine à aujourd’hui, soit sur un intervalle de quelque trente ans, l’auteur a surmonté huit dépressions et survécu à une dizaine de tentatives de suicide. Il revient dans ce livre sur ce parcours de vie accidenté, laissant entrevoir quelques pistes d’explication dans son histoire familiale, marquée notamment par le divorce de ses parents et la violence de son père, mais surtout nous donnant à percevoir la terrible lutte qu’il lui a fallu mener, chaque fois, pour s’arracher des ténèbres et retrouver la lumière.

Ce récit n’est pas une autobiographie et n’entre pas dans le détail de ce qui, chez Gilles Paris, a pu lui faire perdre l’équilibre de façon si persistante. Le but n’est pas tant ici d’expliquer les causes, que de faire comprendre, avec la plus grande pudeur et le minimum de bribes de vie personnelle, la réalité de ce trouble revenu régulièrement empêcher le cours de sa vie. Bien sûr, l’on ne peut que rester pétrifié devant tant de souffrance, alors que le texte laisse entrevoir les années folles d’une jeunesse brûlée par les deux bouts, dans l’ivresse du sexe et de la drogue, le vertige d’une vie noctambule débridée débouchant au petit matin sur une solitude hagarde et glauque, puis, à trente-trois ans, l’effondrement, total et incommensurable, le premier séjour en hôpital psychiatrique, le combat de titan pour revenir des abysses, et les rechutes, désespérantes et interminables, étalées sur trois décennies.

De loin, la vie de Gilles Paris ressemble à une succession d’extinctions brutales de la lumière, chaque fois suivies d’une longue et pénible réémergence du néant, des passages de «vie sans magie et sans couleurs» dont il parvient à s’extirper comme à l’issue d’un combat de boxe. Que dire de son courage et de celui de Laurent, son conjoint, pour garder malgré tout le cap d’une vie commune et de la réussite professionnelle, puisque ces épreuves n’ont au final pas empêché l’auteur de mener une carrière dans l’édition et de connaître le succès littéraire avec ses huit romans. Si l’écriture n’a pas pour lui de vertu thérapeutique, nul doute qu’elle s’est nourrie, inconsciemment ou non, de cette vie en forme de montagnes russes, et de l’extrême sensibilité de cet homme brutalisé par la maladie jusqu’au plus profond de son être.

Mes appréhensions initiales face à la thématique très sombre de ce livre se sont évaporées dès les premiers mots, incisifs et bien tournés. Sobre, sincère et courageuse, cette mise à nu ne peut que toucher le lecteur et le faire s’interroger sur les sidérants mystères de notre fonctionnement psychique. (3/5)


 

Citations :

Je te tutoie encore. C’est tout ce que j’ai en tête, quand ma vie, entre tes mains, s’est réduite au silence. Je ne commencerai pas cette lettre par « Cher papa », rien de toi ne m’est cher. Ces deux syllabes, pa-pa, se répètent comme un refus. Si au moins j’avais pu, pas à pas, me rapprocher de toi. J’entends juste une négation : pas de papa. Le vide abyssal où je tombe depuis soixante et un hivers.

Je suis incapable de me souvenir du nombre. Une dizaine, peut-être ? Je me suis heurté à l’incompréhension de mes proches. Rien de plus normal. A priori, une tentative de suicide est une manière brutale d’interrompre les souffrances. Mais pas pour moi. Chaque suicide est une manière de défier la mort et une comédie. Une manière de dire « ça suffit » et de repartir de zéro. Tut-tut, je vous ai bien eus. Je mélange les somnifères, les anxiolytiques, les antidépresseurs et une bonne dose d’alcool pour avaler ces bonbons du malheur. Je lance un pari sur une rasade de Martini rouge ou de whisky. Juste après, je me rends chez mon psychanalyste. Je ne sais pas où je trouve la force d’arriver jusqu’à son cabinet. Je tombe dans la rue, plusieurs fois. Mon front saigne et tache ma chemise. Je m’écroule sur le divan et perds conscience.

Face à sa page ou à son écran, l’écrivain est seul. Une solitude choisie, un éloignement volontaire. Parfois l’écriture est machinale, parfois non. Elle devient une adéquation parfaite entre le clavier (ou la plume) et l’auteur. Une osmose proche de celle que provoquent les endorphines après une séance de sport. Écrire, parfois, c’est faire l’amour. L’emballement. L’excitation. Trouver le mot juste, entendre la phrase résonner comme une partition réussie. C’est aussi une part de magie que nul n’explique.

 Je n’imagine jamais que le monde puisse être foncièrement mauvais. Le mien est un miroir imaginaire où se reflète la bonté des gens que j’aime. Avoir de l’empathie, c’est voir l’autre comme il est et cesser de l’imaginer comme un personnage de roman. Toute ma vie, j’ai rencontré des anonymes exceptionnels, particulièrement dans les hôpitaux psychiatriques, dénués de toute malveillance, et je sais bien qu’en dehors de ces hauts murs la vérité est tout autre. La bienveillance est rare.

Je pense à toute l’énergie qu’il me faut pour écrire un livre, à cette sensation de vide ensuite, le vertige. Si la fatigue est bien un des facteurs de la dépression, je m’interroge sur la partie inconsciente du travail d’écriture. J’ai été journaliste une dizaine d’années. J’ai notamment interviewé un écrivain vénitien qui m’a expliqué, dans une chambre d’hôtel, rue Vaneau, que pour tous ceux qui n’écrivent pas, une feuille blanche a juste une longueur et une largeur. Pour l’écrivain, elle a surtout une profondeur, dans laquelle l’auteur va chercher les personnages et l’histoire. Mon inconscient, de toute façon, a toujours quelque chose à dire.

Antidépresseurs, neuroleptiques et somnifères m’enfoncent dans un sommeil sans rêves. Parfois, au lever, tout revient comme un cauchemar. Bien sûr, ce pourrait être pire. Je pourrais être paralysé, me battre contre un cancer ou le Sida. C’est souvent ce que mes proches me rappellent. Autant m’enfoncer la tête sous l’eau. C’est oublier combien le dépressif culpabilise en permanence.

 

 

Du même auteur sur ce blog :

 
 

 


 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire