mercredi 1 avril 2020

[Lang, Luc] La tentation





J'ai beaucoup aimé

 

Titre : La tentation

Auteur : Luc LANG

Editeur : Stock

Année de parution : 2019

Pages : 360

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :   

C’est l’histoire d’un monde qui bascule. Le vieux monde qui s’embrase, le nouveau qui surgit. Toujours la même histoire… et pourtant. François, chirurgien, la cinquantaine, aime chasser. Il aime la traque, et même s’il ne se l’avoue pas, le pouvoir de tuer. Au moment où il va abattre un cerf magnifique, il hésite et le blesse. À l’instant où il devrait l’achever, il le hisse sur son pick-up, le répare, le sauve. Quel sentiment de toute-puissance venu du fond des âges l’envahit ? Quand la porte du relais de chasse en montagne s’ouvre sur ses enfants, que peut-il leur transmettre ? Une passion, des biens, mais en veulent-ils seulement ? Son fils, banquier, a l’avidité du fauve. Sa fille, amoureuse éperdue, n’est plus qu’une bête traquée. Ce sont désormais des adultes à l’instinct assassin. Qui va trahir qui ? Luc Lang a écrit ici son histoire familiale de la violence. Son héros croit encore à la pureté. Cet ample roman nous raconte superbement sa chute et sa rédemption.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Luc Lang est l’auteur de onze romans, dont Mille six cent ventres, prix Goncourt des lycéens, La Fin des paysages, Mother et Au commencement du septième jour.

 

Avis :

Chirurgien à Lyon et passionné de chasse, François, la cinquantaine, passe tout son temps libre à traquer et à tirer le gros gibier autour de sa résidence secondaire, isolée à l’écart de la commune de Lanslebourg, en Savoie. Par un jour neigeux de Novembre, son quotidien bascule brutalement : alors que s’impose intolérablement à son esprit l’abîme d’incompréhension creusé au fil du temps entre lui, son épouse de plus en plus absorbée par ses crises mystiques et ses retraites monacales, son fils qui mène grand train du haut de sa réussite dans la finance, et sa fille éperdument amoureuse d’un drôle de type aux affaires pas bien nettes, il en perd même l’envie d’ajouter à sa collection de trophées le grand cerf qu’il traquait depuis quelque temps. Encore est-il loin de se douter qu’il ne se trouve qu’aux prémices d’un véritable tsunami dans son existence et dans celle des siens…

L’histoire prend son temps pour laisser appréhender peu à peu par le lecteur le terreau des malentendus qui s’est accumulé dans cette famille depuis des décennies, un insidieux pourrissement amorcé il y a bien longtemps qui pourrait bien s’avérer une véritable bombe à retardement. Jusqu’ici plein de certitudes et fort de sa toute-puissance, lui qui partage son existence à sauver ou à prendre la vie d’autres êtres vivants, François doit bien s’avouer que le monde lui échappe et que ses enfants lui sont devenus étrangers. Bientôt, le doute et le désarroi vont laisser la place à une soudaine accélération et au rythme palpitant d’une tragédie cauchemardesque.

L’écriture est précise, voire experte quand elle aborde la chasse, la taxidermie ou la chirurgie. Elle réserve de beaux passages sur le cocon de nature en noir et blanc qui enserre l’intrigue jusqu’à l’étouffement, tandis que le mode narratif, souvent constitué des seuls dialogues, sans commentaires et avec leurs blancs, tels la restitution d’un enregistrement audio, donne aux personnages une profondeur et un réalisme réussis. Le texte revient parfois audacieusement sur les mêmes passages, les faisant redécouvrir à la lumière des réflexions survenues entre temps dans la tête de François comme dans celle du lecteur, renforçant encore l’impression d’originalité déjà générée.

Curieusement aussi méditatif que haletant, ce noir polar sur fond de paysages glacés livre un implacable tableau familial, aux personnages désespérément englués dans un attachement délétère et mortifère. (4/5)


 

Citations :

Il écoute  la  forêt,  aucun  craquement  de  bois  brisé,  aucun  froissement  de  feuilles piétinées, c’est un silence d’avant les hommes, baigné d’une ombre laineuse qui tisse  ensemble  l’ossature  des  arbres  et  tend  l’obscurité.  Une  encre  épaisse suppure dans les replis du sol (…).

Des  paroles  blessantes  avaient été  échangées,  certaines  cruelles…  de  cette  cruauté  exacte  et  mortelle  qui  ne s’élabore qu’au sein des familles, édifiant entre eux un mur de verre.

Le  manteau  neigeux  se  ternit,  se  disloque,  des plaques  épidémiques  de  terre  marronnasse  et  d’herbe  jaune  s’élargissent, s’étendent,  la  frondaison  nue  des  arbres  laisse  apparaître  des  squelettes charbonneux  aux  chevelures  crépues,  le  gris  cendreux  monte  dans  l’hiver  du décor,  ça  devient  un  goût  dans  la  bouche.  La  route  continue  sa  descente  vers l’extinction des couleurs. Le fond de vallée industrielle s’impose au détour d’un virage,  la  lumière  s’engloutit  dans  un  écheveau  de  bitume  et  de  voies  ferrées, dans  la  matité  du  béton,  la  poussière,  les  fumées.  Lorsque  François  quitte  la splendeur  des  hauts  plateaux  et  des  contreforts  montagneux,  sa  stupeur  est intacte. L’hiver devient une pluie gluante, la route celle d’une lente submersion dans une fosse à vidange.

L’entrée dans le monde adulte, François l’a noté, est si résolue qu’elle signe chaque fois, sans le trouble d’une hésitation, la diaspora des enfants. Ils ont pourtant partagé les  jeux  et  les  rêves,  les  liens  semblaient  scellés  pour  l’éternité,  mais  rien  ne résiste  à  l’euphorie  du  sacrement,  devenir  adulte,  devenir,  croit-on,  libre  et puissant, du moins le temps de se cogner aux limites des possibles, faisant alors remonter l’enfance en chacun comme un désir éperdu des confins où se vivaient pour  de  vrai  les  odyssées  les  plus  folles. 

2 commentaires:

  1. Comme tous les romans précédents de Luc Lang, j'ai adoré.
    Son style est brut, précis, sans trop de détails.
    Il s'en dégage une force. C'est bien le mot lorsqu'il s'occupe du cerf blessé et plus tard de l'ami de sa fille.
    J'aime ses obsessions également : la voiture occupe une place prépondérante dans ses romans.
    Un déjà très grand écrivain, pour moi !

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    1. En effet Harry, nul doute que je lirai moi aussi d'autres romans de Luc Lang !

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