mercredi 29 avril 2020

[Harjo, Joy] Crazy Brave




 

 J'ai aimé

 

Titre : Crazy Brave

Auteur : Joy HARJO

Traductrices : Nelcya DELANOE,
                         Joëlle ROSTKOWSKI

Parution : en anglais (USA) en 2012,
                   en français en 2020 chez Globe

Pages : 176

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :   

Crazy. Folle. Oui, elle doit être folle, cette enfant qui croit que les songes guérissent les maladies et les blessures, et qu’un esprit la guide. Folle, cette jeune fille de l’Oklahoma qui se lance à corps perdu dans le théâtre, la peinture, la poésie et la musique pour sortir de ses crises de panique. Folle à lier, cette Indienne qui ne se contente pas de ce qu’elle peut espérer de mieux : une vie de femme battue et de mère au foyer.

Brave. Courageux. Oui, c’est courageux de ne tenir rigueur à aucun de ceux qui se sont escrimés à vous casser, à vous empêcher, à vous dénaturer. De répondre aux coups et aux brimades par un long chant inspiré. D’appliquer l’enseignement des Ancêtres selon lequel sagesse et compassion valent mieux que colère, honte et amertume.

Crazy Brave. Oui, le parcours existentiel de Joy Harjo est d’une bravoure folle. Comme si les guerres indiennes n’étaient pas finies, elle a dû mener la sienne. Une guerre de beauté contre la violence. Une guerre d’amitié pour les ennemis. Et elle en sort victorieuse, debout, fière comme l’étaient ses ancêtres, pétrie de compassion pour le monde. Les terres volées aux Indiens existent dans un autre univers, un autre temps. Elle y danse, et chacun de ses pas les restaure.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Née à Tulsa d’une mère cherokee et d’un père creek, Joy Harjo est la descendante d’une lignée de guerriers et de chefs déportés en Oklahoma dans les années 1830. Très tôt, son esprit curieux la pousse à expérimenter et à créer : musique, arts de la scène, littérature, poésie… Partie prenante du grand élan de résistance et de renouveau de la jeunesse amérindienne des années 1970, elle a toujours cru en sa mission de « faire vivre des voix, des chants et des histoires ». Couronnée par le titre de « poète des États-Unis » en 2019, elle raconte dans ce livre dont le titre traduit son nom creek, Harjo (« So brave you’re crazy »), son parcours initiatique.

 

 

Avis :

Le titre Crazy Brave vient du nom amérindien de l’auteur, So brave you’re crazy. Cherokee par sa mère et Creek par son père, Joy Harjo se remémore la violence de son beau-père pendant son enfance, l’effet libérateur de son adolescence mouvementée à l’Institut des Arts Indiens en pleine période hippie, ses débuts de jeune artiste engagée dans la renaissance des peuples amérindiens : théâtre, poésie, écriture, puis musique lui ont peu à peu permis de se construire et de trouver un accomplissement intégrant spiritualité, traditions héritées de ses ancêtres et lutte pour les droits des Amérindiens mais aussi des femmes. Elle a été nommée en 2019 vingt-troisième poète officiel des Etats-Unis.

L’on ne peut qu’être impressionné par le difficile et douloureux parcours de cette femme dont la consécration artistique est un formidable symbole pour tous les descendants des peuples amérindiens spoliés de leurs terres, de leur identité et de leur culture. L’on est frappé par tant de souffrances, si semblables à celles évoquées par Tommy Orange dans Ici n’est plus ici, ou dans LaRose de Louise Erdrich. Et l’on s’ébahit des mille chausses-trappes auxquelles Joy Harjo est parvenue à échapper, gardant finalement le contrôle d’une existence que tout vouait à la perdition, dans cette Amérique raciste et sexiste des années soixante.

Entrecoupé de poèmes, le texte, exempt de toute complaisance et du moindre auto-apitoiement, est un curieux mélange de faits relatés avec objectivité, et d’expériences spirituelles empreintes de la magie des rêves et de la présence des esprits ancestraux. Il décrit la naissance d’une vocation artistique, à la fois vecteur de réparation personnelle et support d’un combat pour la reconnaissance d’une culture qui refuse de disparaître.

Portrait véridique et touchant d’une femme meurtrie et courageuse, ce récit, à la lecture parfois exigeante, est un formidable exemple de résilience et un message d’espoir pour la reconnaissance de l’identité et de la culture amérindienne. (3/5)

 

 

Citations :

Je me demandais ce qui se passerait si on lisait et retenait tous les livres de toutes les bibliothèques du monde, si l'on apprenait le nom de chaque coquillage, chaque guerre, si l'on pouvait citer chaque vers de chaque poème... Que ferait-on de tout ce savoir ? Etait-ce le genre de savoir qui libère ? Ou bien celui qui posséderait cet infini savoir deviendrait-il comme ces minables qui font semblant et n'ont en fait pas plus de sagesse ? Et qui décidait de ce qu'il importait de savoir et comprendre ?

Pendant ma dernière visite à l'hôpital indien, on m'a proposé de me stériliser. On m'a expliqué que l'accouchement était le meilleur moment pour le faire. On m'a donné le formulaire mais, sans trop y réfléchir à ce moment-là, j'ai décidé de ne pas le signer. Beaucoup de femmes indiennes qui ne parlaient pas bien l'anglais, pensant qu'il s'agissait d'autoriser le médecin à mettre le bébé au monde, l'ont signé. Le fait de parler anglais couramment m'a sauvée.

J'ai allumé la télévision, cette boîte à histoires qui a transformé la narration du monde. Son caractère commercial menace la diversité des histoires du monde et la façon dont on les raconte. La télévision a pris la place de l'autel dans la plupart des familles américaines. Elle fait autorité et, pour tant de gens de par le monde, elle est la principale source des histoires. Quand j'étais étudiante, je possédais deux téléviseurs. L'un avait l'image mais pas le son, l'autre le son mais pas l'image. Quand j'allumais les deux en même temps, j'avais une télé qui fonctionnait - une télé indienne, comme je l'appelais, pour rire.

Nos battements de cœur sont comptés. Un certain nombre nous est attribué. Quand nous les avons utilisés, nous mourons. De combien de battements de cœur disposait mon père ? Et moi, de combien ?

En vérité, chacun de nous est seul devant ses gouffres de tristesse, quand bien même on nous entoure de gentillesse, on nous prépare des petits plats, on nous adresse des mots réconfortants, on nous joue de la musique. Nous avons tous tendance à combler ces vides avec toutes sortes de distractions, le shopping ou les amours éphémères, l’alcool ou la drogue.

Je l'avais repris de nombreuses fois, alors qu'il débarquait douché de frais et sentant bon, pleins d'excuses et de charme, chargé de fleurs. J'ai compris alors pourquoi les femmes se remettent avec leur tortionnaire. Le monstre n'est pas ton vrai mari. C'est un mauvais rêve, un étrange étranger infiltré dans l'esprit de ton bien-aimé. Il entre dans ton mari puis l'abandonne. Celui que tu accueilles de nouveau, c'est le vrai, celui que tu aimes.

Souvent je peignais ou dessinais la nuit durant, quand le reste du monde dormait et qu’il était plus facile de franchir la membrane qui sépare la vie de la mort et d’en rapporter des souvenirs. Je peignais au son de la musique du silence. C’était là que j’entendais tout.

 

 

Concernant la cause amérindienne sur ce blog : 

 

ERDRICH Louise : LaRose 
  FONTAINE Naomi : Shuni
ORANGE Tommy : Ici n'est plus ici




La Ronde des Livres - Challenge 
Multi-Défis du Printemps 2020

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