dimanche 14 janvier 2024

[Zenatti, Valérie] Qui-vive

 





J'ai aimé

 

Titre : Qui-vive

Auteur : Valérie ZENATTI

Parution :  2024 (Olivier)

Pages : 176

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Mathilde est devenue insomniaque. Puis elle a perdu le sens du toucher. Il y a eu d’autres signes : des feuillets retrouvés à la mort de son grand-père, une vidéo de Leonard Cohen à Jérusalem, le retour de la guerre en Europe. Mathilde est désorientée.
Est-ce pour cela qu’elle décide subitement de prendre un avion pour Israël ? Comme si la réponse aux questions qu’elle se pose l’attendait là-bas depuis toujours.
De Tel-Aviv à Capharnaüm, puis à Jérusalem, ses rencontres avec des inconnus – et quelques fantômes – ne font qu’approfondir le mystère.
Jusqu’au moment où, dans un éclair, la vérité lui apparaît. Prenant l’Histoire à bras-le-corps, Qui-vive est aussi l’itinéraire d’une femme qui cherche à réconcilier son paysage intérieur avec le monde qui l’entoure. Un roman aux multiples facettes qui confirme de manière éclatante le talent de son auteure.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Née à Nice en 1970, Valérie Zenatti a vécu son adolescence en Israël, dans le désert du Néguev. De retour en France, elle étudie l’histoire, la langue et la littérature hébraïques aux Langues O’. Elle a publié plusieurs livres destinés à la jeunesse dont Une bouteille dans la mer de Gaza, traduit en une quinzaine de langues, plusieurs fois primé en France et à l’étranger, adapté au cinéma et au théâtre. Son premier roman, En retard pour la guerre (L’Olivier, 2006), la fait connaître auprès d’un public adulte. Il est suivi par Les Âmes sœurs (L’Olivier, 2010) et Mensonges (L’Olivier, 2011), un récit intimiste où elle évoque sa rencontre avec Aharon Appelfeld dont elle est la traductrice. Avec Jacob, Jacob (L’Olivier, 2014), elle se rapproche pour la première fois de l’Algérie d’où est originaire sa famille. Ce roman connaît un véritable succès, couronné par dix prix dont le prix du livre Inter l’année suivante. Également scénariste, Valérie Zenatti achève actuellement l’écriture d’une série pour Canal+.

 

 

Avis :

Auteur d’ouvrages remarqués, traductrice d’Aharon Appelfeld et scénariste occasionnelle, Valérie Zenatti tente, dans un nouveau roman interrogateur, de conjurer le vertige qui la saisit face au tumulte du monde contemporain.

Pandémie, guerre en Ukraine, élection de Donald Trump et… mort de Leonard Cohen : la narratrice Mathilde, professeur d’histoire-géographie habituée à « tâcher d’y voir clair dans ce capharnaüm qu’on nomme l’histoire de l’humanité », ne sait plus interpréter le sens de l'actualité. Désorientée, perturbée même puisqu’elle en a perdu le sommeil et le sens du toucher, elle décide sur une impulsion de se soustraire à son quotidien parisien, laissant un temps un mari compréhensif et une fille adolescente nettement moins compatissante, pour un voyage éclair en Israël. Sans se le formuler, sans doute a-t-elle ainsi le réflexe, sentant les vents du temps secouer en tous sens les branches de sa vie, de chercher une réassurance du côté de racines jusqu’ici reléguées très loin à l’arrière-plan de son existence. C’est aussi pour elle une plongée dans un véritable inconnu, là où elle pourra enfin se sentir « légitimement étrangère ».

Entre Tel-Aviv, Capharnaüm et Jérusalem, commence une errance sans véritable but, au hasard de rencontres et de lieux qu’elle découvre imprégnés des traces du conflit israélo-palestinien. Rédigé avant les attaques du Hamas d’octobre 2023, le récit entre en résonance troublante avec l’actualité récente, alors que, cherchant les traces du passé dans le présent, elle s’interroge sur ce que le présent peut contenir de germe de l’avenir. Mais, elle qui s’offre le temps d’une pause soustraite au rythme de son quotidien, en marge du monde tel qu’elle le perçoit de sa minuscule vie parisienne, se retrouve sans le savoir au bord d’une vraie accélération. Car on ne s’écarte jamais bien longtemps du temps qui vous rattrape sans qu’on le voie venir. Cueillant le lecteur lui aussi par surprise, le dénouement permettra à Mathilde de conclure qu’elle n’était « pas la seule à ne pas avoir vu la fin de l’Histoire ».

Invitation à réfléchir à notre place dans une époque que l’on dirait emportée dans une course folle, ce livre est une pétillante méditation sur le temps et le rapport au monde, en même temps qu’un vertigineux instantané d’un Israël coincé par un passé et un présent colonial qui rendent bien difficile toute projection d’avenir. (3,5/5)

 

 

Citations :

Le sentiment que ce qui s’effondre entraîne tout à sa suite a un point commun avec l’amour : on croit toujours que c’est la première fois que cela arrive, que l’on n’a jamais rien connu de tel et, surtout, que rien ne sera plus jamais comme avant.
 

J’entrepris de visiter la boîte des indésirables où je conservais les mails qui m’intriguaient depuis quelque temps, m’interpellant par mon prénom dans l’objet même. Le premier m’avait étonnée par son assurance performative, il disait, Mathilde, concrétisez vos rêves. Il avait été suivi des prometteurs Mathilde, ne doutez plus de vos capacités. Mathilde, revivez des moments exceptionnels de votre vie. Mathilde, faites-nous confiance pour vous apporter le meilleur du confort. Et quand il avait été bien établi que je savais qu’on se préoccupait personnellement de mon bien-être, mon prénom avait disparu, mes bienfaiteurs potentiels allaient droit au fait pour inonder ma vie de conseils impératifs et de promesses. À vos côtés pour vous aider à trouver la solution qui vous correspond le mieux. C’est aujourd’hui votre jour de chance. Consultez et utilisez vos droits. Augmentez votre capital. Faites pétiller vos soirées. Réservez maintenant, décidez plus tard. Changez d’avis jusqu’à 48 h avant le départ. Faites décoller vos projets. Soyez plus sereine avec votre santé. Ne craignez plus les fins de mois. C’est aujourd’hui que se prépare demain. Et, chaque nuit, je guettais la phrase qui avait l’ambition de m’ouvrir les yeux et de m’épauler, exprimant, comme dans un horoscope savamment rédigé, ce qui pouvait s’adresser à moi et à tous, ces phrases auxquelles je ne pouvais décemment croire mais je prenais du plaisir à les lire et j’en étais même fascinée. Je songeais, c’est dans ce léger déplacement que tout se joue, quand le désir de croire en quelque chose, quelqu’un, est plus fort que la raison. Et s’il n’y avait eu, des milliards de fois renouvelée et sur sept mille générations, cette puissance du désir parfois contre toute logique, aucun de nous ne serait là, aucun de nous ne s’acharnerait à percer l’énigme de nos existences.
 

Chaque début d’année, je les scrutais pour relier leur prénom à leurs traits et distinguais deux catégories d’élèves : ceux qui étaient des esquisses très nettes sur lesquelles on devinait les adultes tout proches. Encore quelques pas et hop, ils auraient pleinement l’allure qu’ils conserveraient peu ou prou une cinquantaine d’années avant d’entamer leur dernière métamorphose, celle qui est inenvisageable pour tous, car s’il est parfois possible d’apercevoir l’adulte niché dans l’adolescent, il est impossible d’augurer le parchemin de la vieillesse – et les autres, aux traits et personnalité serrés dans un bourgeon opaque, dont je me demandais si la fleur allait éclore ou se dessécher.


 

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