J'ai beaucoup aimé
Titre : Tasmania
Auteur : Paolo GIORDANO
Traduction : Nathalie BAUER
Parution : en italien en 2022,
en français en 2023
(Le Bruit du Monde)
Pages : 320
Présentation de l'éditeur :
Paris, novembre 2015. Le narrateur, écrivain et journaliste, est venu
couvrir un sommet sur le climat, quelques jours seulement après les
attentats. Une situation de crise qui fait écho à celle qu’il traverse
avec sa compagne, Lorenza. Avec une désinvolture vivifiante, il
s’entoure de personnages atypiques qui apportent, chacun à sa façon, du
sens à son univers : un jeune physicien aventurier, un climatologue
spécialiste des nuages, une reporter haute en couleur et un prêtre qui a
rencontré la femme de sa vie.
Intime et universel, Tasmania est un roman sur le présent et sur l’avenir. L’avenir que nous craignons et celui que nous désirons, celui que nous n’aurons pas et celui que nous construisons. Il nous rappelle que chacun peut trouver sa Tasmanie, un espace où écrire son avenir.
Intime et universel, Tasmania est un roman sur le présent et sur l’avenir. L’avenir que nous craignons et celui que nous désirons, celui que nous n’aurons pas et celui que nous construisons. Il nous rappelle que chacun peut trouver sa Tasmanie, un espace où écrire son avenir.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Paolo Giordano est né à Turin en 1982. Il est l’auteur de quatre romans, La Solitude des nombres premiers, Le Corps humain, Dévorer le ciel et Les Humeurs insolubles. Il écrit également pour le Corriere della Sera. Ses livres ont été traduits dans plus de 40 pays.
Avis :
« Si vous me demandez une définition exacte de l’époque où nous vivons, la voici : une époque prétraumatique. » Paolo Giordano mobilise sa sensibilité de physicien de formation et son talent d’écrivain prodige de la littérature italienne pour dessiner quelques destins fragiles, serpentant tant bien que mal sur la toile de fond de notre actualité cataclysmique.
Comment vit-on à la croisée des anxiétés nées des bouleversements contemporains, quand la Doomsday Clock, l’Horloge de l’Apocalypse inventée en 1947 pour dénoncer les risques qui menacent la planète, n’a jamais estimé la fin du monde plus imminente qu’aujourd’hui, son compte à rebours virtuel ne nous laissant symboliquement plus que quatre-vingt-dix secondes avant les coups d’un minuit fatidique ? Choisissant pour point de départ l’arrivée à Paris, juste après les attentats de 2015, d’un autre Paolo, journaliste et écrivain italien lui aussi physicien à la base, venu couvrir une conférence de l’ONU sur l’urgence climatique en même temps qu’il rédige un livre sur la bombe atomique, de son invention jusqu’aux commémorations d’Hiroshima et de Nagasaki, en passant par les terribles récits de survivants et de leurs descendants, le récit se déroule aux premières loges des périls qui guettent le monde, entre menace nucléaire, dérèglement climatique, terrorisme et pandémies.
Pourtant, dans ce contexte qui a tout pour terrifier, la vie poursuit son chemin, dévidant opiniâtrement les destins individuels. Le Japon a reconstruit ses deux villes martyrs, les survivants et leurs descendants subsistent malgré leurs récits épouvantables et leurs séquelles. Lui-même ramené à des préoccupations plus personnelles par son couple qui se déchire sur son impossibilité à concevoir un enfant, Paolo observe son entourage faire face à ses anonymes et minuscules batailles pour se tailler une existence. Relations de couple et parentalité, rivalités professionnelles et déséquilibre entre les sexes, conventions religieuses et sociétales : les drames intimes sont légion, souvent dévastateurs, même si parfois, à y bien regarder, quelque peu incongrus. Comment peut-on encore s’offusquer qu’un prêtre se marie, qu’un homme épouse une femme plus âgée ou qu’une femme prétende faire carrière, lorsque l'on s'angoisse pour le sort du monde ? Quoi qu’il en soit, de cette superposition entre l’intime et le planétaire, entre le particulier et le général, émerge progressivement un constat : la vie résiste à tout et, quelles que soient les souffrances endurées, finit toujours par renaître sous une forme ou une autre, tout n’étant qu’évolution et adaptation perpétuelles.
De l’anxiété des temps présents à l’apaisement que chacun devra trouver dans sa Tasmanie personnelle, là où il trouvera à se préserver, Paolo Giordano nous offre un grand roman contemporain, vaste fresque sociétale teintée d’autofiction et de reportage scientifique, soulignant l’étendue de nos ambiguïtés et de nos contradictions. (4/5)
Comment vit-on à la croisée des anxiétés nées des bouleversements contemporains, quand la Doomsday Clock, l’Horloge de l’Apocalypse inventée en 1947 pour dénoncer les risques qui menacent la planète, n’a jamais estimé la fin du monde plus imminente qu’aujourd’hui, son compte à rebours virtuel ne nous laissant symboliquement plus que quatre-vingt-dix secondes avant les coups d’un minuit fatidique ? Choisissant pour point de départ l’arrivée à Paris, juste après les attentats de 2015, d’un autre Paolo, journaliste et écrivain italien lui aussi physicien à la base, venu couvrir une conférence de l’ONU sur l’urgence climatique en même temps qu’il rédige un livre sur la bombe atomique, de son invention jusqu’aux commémorations d’Hiroshima et de Nagasaki, en passant par les terribles récits de survivants et de leurs descendants, le récit se déroule aux premières loges des périls qui guettent le monde, entre menace nucléaire, dérèglement climatique, terrorisme et pandémies.
Pourtant, dans ce contexte qui a tout pour terrifier, la vie poursuit son chemin, dévidant opiniâtrement les destins individuels. Le Japon a reconstruit ses deux villes martyrs, les survivants et leurs descendants subsistent malgré leurs récits épouvantables et leurs séquelles. Lui-même ramené à des préoccupations plus personnelles par son couple qui se déchire sur son impossibilité à concevoir un enfant, Paolo observe son entourage faire face à ses anonymes et minuscules batailles pour se tailler une existence. Relations de couple et parentalité, rivalités professionnelles et déséquilibre entre les sexes, conventions religieuses et sociétales : les drames intimes sont légion, souvent dévastateurs, même si parfois, à y bien regarder, quelque peu incongrus. Comment peut-on encore s’offusquer qu’un prêtre se marie, qu’un homme épouse une femme plus âgée ou qu’une femme prétende faire carrière, lorsque l'on s'angoisse pour le sort du monde ? Quoi qu’il en soit, de cette superposition entre l’intime et le planétaire, entre le particulier et le général, émerge progressivement un constat : la vie résiste à tout et, quelles que soient les souffrances endurées, finit toujours par renaître sous une forme ou une autre, tout n’étant qu’évolution et adaptation perpétuelles.
De l’anxiété des temps présents à l’apaisement que chacun devra trouver dans sa Tasmanie personnelle, là où il trouvera à se préserver, Paolo Giordano nous offre un grand roman contemporain, vaste fresque sociétale teintée d’autofiction et de reportage scientifique, soulignant l’étendue de nos ambiguïtés et de nos contradictions. (4/5)
Citations :
L’incrédulité apparaît comme une constante dans l’histoire de la bombe. Les scientifiques les plus vénérés au monde, dont Albert Einstein et Niels Bohr, estimaient que la bombe atomique ne serait pas réalisée, en tout cas pas avant la fin de la guerre. Or, à l’été 1945, on disposait déjà de deux bombes aux matériaux fissiles différents et aux technologies ad hoc.
Et désormais, l’opinion des scientifiques n’avait plus la moindre importance. À en juger par les rapports parvenus jusqu’à nous, les opérations à Los Alamos se déroulaient de manière bureaucratique, expéditive, typiquement militaire. Un projet avait été lancé, ce projet visait à fabriquer la bombe atomique et, une fois qu’elle serait fabriquée, la bombe devrait être larguée quelque part. Nous savons aujourd’hui que l’hypothèse démonstrative n’a jamais été sérieusement prise en considération. Au contraire, après tous ces efforts financiers et intellectuels, les premières explosions étaient censées causer le plus de destructions possible, stupéfier le monde.
Et désormais, l’opinion des scientifiques n’avait plus la moindre importance. À en juger par les rapports parvenus jusqu’à nous, les opérations à Los Alamos se déroulaient de manière bureaucratique, expéditive, typiquement militaire. Un projet avait été lancé, ce projet visait à fabriquer la bombe atomique et, une fois qu’elle serait fabriquée, la bombe devrait être larguée quelque part. Nous savons aujourd’hui que l’hypothèse démonstrative n’a jamais été sérieusement prise en considération. Au contraire, après tous ces efforts financiers et intellectuels, les premières explosions étaient censées causer le plus de destructions possible, stupéfier le monde.
Quant à Marie Curie Skłodowska, qui avait découvert les radiations, elle n’eut pas le temps d’assister à ces événements. À la fin de sa vie, elle avait les mains phosphorescentes tant elles avaient été brûlées, néanmoins elle refusait d’en rejeter la faute sur les sources de radium et de polonium qu’elle avait manipulées sans protection pendant des années. Des études sur l’interaction entre les radiations ionisantes et les tissus biologiques avaient déjà été publiées, mais Marie Curie Skłodowska, deux fois lauréate du prix Nobel, mourut en négatrice. Avec la conviction rassurante que les radiations qu’elle avait découvertes n’apporteraient que du bien à l’humanité.
À la fin de la guerre, troublés par les conséquences de leur travail (c’est-à-dire par le massacre de centaines de milliers de personnes et par l’effacement de deux villes), un certain nombre de physiciens du projet Manhattan formèrent une association à but non lucratif dénommée Bulletin of the Atomic Scientists. Ils se donnèrent pour mission de surveiller l’évolution du risque nucléaire et inventèrent dans cette intention un moyen synthétique : la Doomsday Clock, l’horloge de l’apocalypse. Sur cette horloge, minuit correspond symboliquement à la fin du monde.
En 2017, selon les scientifiques du Bulletin, les choses ne se présentaient pas très bien. On lit dans le rapport de cette année-là : le comité « a décidé de rapprocher l’aiguille des minutes de l’horloge de l’apocalypse de trente secondes de la catastrophe. Désormais seules deux minutes et demie nous séparent de minuit. »
Diverses raisons expliquaient cette décision : les États-Unis et la Russie se provoquaient sur plusieurs fronts, en particulier en Syrie et en Ukraine, tout en développant leurs arsenaux avec une sophistication croissante, et la Corée du Nord poursuivait ses essais atomiques. Si l’on ne parlait plus de la menace nucléaire, ce n’était pas parce qu’elle n’existait plus, mais parce qu’elle était sortie du radar de l’intérêt public. Pour établir une comparaison : en 1990, l’horloge était à dix minutes de l’apocalypse.
Lors de mes pauses, je jouais sur Nukemap, un simulateur en ligne qui permettait de faire exploser des têtes nucléaires partout dans le monde en variant leur puissance pour mesurer l’aire de destruction, le nombre de victimes et l’extension des retombées radioactives. (…)
Je n’étais pas le seul à me distraire de la sorte : le site enregistrait déjà plus de deux millions d’explosions provoquées par les utilisateurs. Il y avait dans la nature des milliers d’aspirants destructeurs de mondes. La fin de l’espèce humaine était un nouveau passe-temps.
Je n’étais pas le seul à me distraire de la sorte : le site enregistrait déjà plus de deux millions d’explosions provoquées par les utilisateurs. Il y avait dans la nature des milliers d’aspirants destructeurs de mondes. La fin de l’espèce humaine était un nouveau passe-temps.
J’ignore si vous avez lu l’article paru dans Esquire, a dit Novelli, une étude sur l’état psychologique des spécialistes du climat. Comme moi. Il se trouve que nous faisons partie des catégories de scientifiques le plus exposées à la dépression et à divers troubles de l’humeur. Rien de nouveau sous le soleil. Syndrome de stress prétraumatique, voilà comment les psychologues appellent ça. Ou syndrome de Cassandre. Selon eux, c’est ce qu’on expérimente chaque fois qu’apparaît un graphique sur l’écran et qu’on voit l’avenir dans ce graphique. Et c’est ce qui nous arrive lorsque nous essayons de transmettre ces informations au monde extérieur, aux citoyens, à la presse, aux décideurs. Si vous me demandez une définition exacte de l’époque où nous vivons, la voici : une époque prétraumatique.
Nous avons tous un esprit gradualiste : s’il en a toujours été d’une certaine façon, pourquoi cela devrait-il changer maintenant ? L’humanité habite la même planète depuis deux cent mille ans, se peut-il que les choses doivent péricliter au moment où c’est moi qui suis en vie ? Cela paraît improbable, en effet. Les scientifiques aussi ont tendance à penser de cette manière, et de fait les grandes catastrophes, telles que l’extinction des dinosaures, ont toujours eu du mal à être prises au sérieux. Et pourtant, il se trouve que nous vivons justement à l’époque même où tout change. De façon drastique. Et c’est à nous que cela arrive. Les phénomènes auxquels nous assisterons au cours des prochaines années seront de plus en plus extrêmes. Plus tôt on l’accepte, mieux c’est pour tout le monde.
Elon Musk, ai-je dit, s’est retiré d’une série d’initiatives auxquelles il participait pour protester contre la décision de Trump. Novelli a fait une grimace en direction de la webcam. Laissez tomber Elon Musk. Les Elon Musk ne font pas autorité. Ils ne souffriront pas vraiment. Ils se préparent déjà à l’arrivée de la catastrophe. Ils construisent des bunkers et des navettes spatiales, ils s’arment et achètent des terrains où s’installer et vivre en sécurité.
Vous, où achèteriez-vous un terrain ?
Pour sauver votre peau, je veux dire.
Je ne ferai jamais une chose pareille.
Mais si vous deviez vraiment. En cas d’apocalypse.
Novelli a réfléchi quelques secondes, puis il a dit : En Tasmanie. Elle est située assez au sud pour échapper aux températures excessives. Elle a de bonnes réserves d’eau douce, elle se trouve dans un État démocratique et n’héberge pas de prédateurs pour l’homme. Elle n’est pas trop petite, mais elle demeure une île, donc plus facile à défendre. Parce qu’il faudra se défendre, croyez-moi. Oui, a-t-il ajouté d’un ton plus convaincu, si j’étais obligé de sauver ma peau, je choisirais la Tasmanie.
Mais le Kruger, m’expliquait-il aussitôt après, était lui aussi une illusion : l’illusion selon laquelle l’homme faisait encore partie de l’écosystème à égalité avec les autres espèces, que la nature y était à son état primordial. C’était totalement faux. Les parcs étaient des systèmes soigneusement régulés, gérés de façon invisible par l’homme pour l’homme : on y allumait périodiquement des feux pour contenir la végétation et garantir la vue des animaux aux touristes payants, la population de lions était surveillée à travers l’introduction de nouveaux mâles (qui éliminaient les petits des autres) et, dans certaines réserves, on imposait aux éléphants des formes de contraception.
Bref, il était impossible d’échapper à l’anthropisation. Giulio employait ce terme, « anthropisation », cependant il évoquait à mon avis quelque chose de beaucoup plus vaste que le parc : il était impossible d’échapper aux êtres humains, impossible d’échapper au présent.
Bref, il était impossible d’échapper à l’anthropisation. Giulio employait ce terme, « anthropisation », cependant il évoquait à mon avis quelque chose de beaucoup plus vaste que le parc : il était impossible d’échapper aux êtres humains, impossible d’échapper au présent.
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