mercredi 10 janvier 2024

[Whitehead, Colson] L'intuitionniste

 




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Titre : L'intuitionniste (The Intuitionist)

Auteur : Colson WHITEHEAD

Traduction : Catherine GIBERT

Parution :  en anglais (Etats-Unis) en 1999,
                   en français (traduction révisée)
                    en
2023 (Albin Michel)

Pages : 384

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :

Le premier roman de l’auteur de de Nickel Boys et Underground Railroad.
 
Lila Mae Watson est une « intuitionniste » : au sein du département d’inspection des ascenseurs pour lequel elle travaille, elle est capable de deviner le moindre défaut d’un appareil rien qu’en mettant le pied dans une cabine. Et elle ne se trompe jamais. Première femme à exercer ce métier, noire de surcroît, elle a beaucoup d’ennemis, dont les empiristes, pour qui seules comptent la technique et la mécanique.

Aussi, lorsque l'ascenseur d'un gratte-ciel placé sous sa surveillance s'écrase, en pleine campagne électorale, Lila Mae ne croit ni à l'erreur humaine ni à l'accident. En décidant d’entrer dans la clandestinité pour mener son enquête, elle pénètre dans un monde de complots et de rivalités occultes et cherche à percer le secret d’un génial inventeur dont le dernier projet pourrait révolutionner la société tout entière... Publié dans une traduction entièrement révisée, ce livre aux allures de thriller philosophique annonce déjà le talent de l’auteur de Colson Whitehead, son humour grinçant, sa puissance visionnaire et la façon magistrale dont il aborde les questions cruciales de race, de politique et de société.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Né à New York en 1969, Colson Whitehead est l’un des écrivains américains les plus talentueux et originaux de sa génération. Son roman Underground Railroad a fait sensation : récompensé aux Etats-Unis par le National Book Award, le prix Pulitzer et le prix Arthur C. Clarke, et plébiscité par les libraires français comme le meilleur roman étranger de la rentrée 2017, il a été traduit dans plus d’une trentaine de langues et adapté à la télévision par Barry Jenkins. Nickel Boys, élu « Meilleur Livre de l’année » par l’ensemble de la presse américaine, a été récompensé à son tour par le Prix Pulitzer.

 

 

Avis :

Après le succès et les deux prix Pulitzer venus récompenser Underground Railroad, Nickel Boys et Harlem Shuffle, Albin Michel édite une traduction entièrement révisée du premier roman de Colson Whitehead, une œuvre dont l’audacieuse originalité n’a d’égale que l’humour corrosif avec lequel l’écrivain noir américain file la métaphore d’Etats-Unis à deux vitesses, l’une noire, l’autre blanche, quand il s’agit d’ascenseur social.

Dans cette ville sans nom, mais qui, exactement comme New York dans les années cinquante, se distingue par sa course à la verticalité, deux écoles – dont on comprend bientôt que l’une symbolise la société blanche traditionnelle et l’autre le monde des Noirs, jusqu’ici invisible et subalterne, qui réussit néanmoins quelquefois, à travers ses individus les plus batailleurs, à percer socialement – se disputent l’entretien des ascenseurs municipaux. Alors que, comme il est d’usage, les empiristes s’astreignent à de minutieuses révisions techniques, les intuitionnistes se sont inexplicablement mis à les battre en brèche grâce à leur capacité à ressentir l’état de la machine sans même la démonter. « Quand on voit les empiristes courber l’échine pour déceler des indices sur un treuil de levage ou relever des marques d’oxydation sur une poulie de câble de compensation… Que d’efforts doivent-ils fournir ! Alors que les intuitionnistes, eux, s’en sortent sans rien faire. Quelle bande de fainéants. Voici quelques-uns des surnoms dont les empiristes affublent leurs collègues hérétiques : gourous, vaudous, sorciers, Houdini, autant de termes empruntés à la terminologie de l’exotisme noir, de ce qui est à la fois étranger et inquiétant. »

L’une de ces dérangeantes intuitionnistes est Lila Mae Watson, la première femme noire, dont en l’occurrence personne n’avait remarqué le travail acharné depuis le placard à balais qui lui servait de chambre d’étudiante, à avoir décroché un poste d’inspectrice des ascenseurs de la ville. Mais voilà qu’au lendemain de l’un de ses contrôles, un ascenseur chute en pleine visite d’un bâtiment par des notables. Accident ou sabotage ? Déjà désignée coupable par la vindicte médiatique, Lila Mae va devoir se cacher pour mener l’enquête elle-même, mettant au jour un furieux combat au sein de l’industrie de l’ascenseur. Le bruit courant que James Fulton, fondateur de la démarche intuitionniste, aurait créé un ascenseur parfait et révolutionnaire, tous les moyens sont bons, entre politiciens corrompus, mafieux et tueurs à la petite semaine, pour s’emparer au plus vite de l’invention.

Absurde jusqu’à ce que s’en dévoile la portée métaphorique, le roman a de quoi déconcerter malgré les aspects plus classiques de son versant policier. Oscillant entre amusement et perplexité, le lecteur devra accepter de lâcher prise pour se laisser emporter, impressionné quoi qu’il arrive par la maîtrise de ce récit à double fond qui, avec une ironie mordante et un pittoresque invraisemblable, réussit à mêler des ingrédients aussi composites que les détails techniques des différents modèles d’ascenseur, un suspense policier dévoilant les peu ragoûtantes mécaniques d’une société américaine fondée sur la compétition et la violence, et une allégorie grinçante du combat des Noirs américains pour s’y faire une place malgré un suprémacisme blanc généralisé. 
 
Un premier roman décalé d’une puissance et d’une originalité folles, qui se plaît, avec beaucoup de dérision, à déstabiliser son lecteur. (3,5/5)

 

 

Citations :

Quand on voit les empiristes courber l’échine pour déceler des indices sur un treuil de levage ou relever des marques d’oxydation sur une poulie de câble de compensation… Que d’efforts doivent-ils fournir ! Alors que les intuitionnistes, eux, s’en sortent sans rien faire. Quelle bande de fainéants.  
Voici quelques-uns des surnoms dont les empiristes affublent leurs collègues hérétiques : gourous, vaudous, sorciers, Houdini, autant de termes empruntés à la terminologie de l’exotisme noir, de ce qui est à la fois étranger et inquiétant. À l’exception de Houdini, qui avait cependant un petit quelque chose de basané.  
Contre-offensive des intuitionnistes en matière de surnom : rase-mottes, Monsieur Bricolage, tensiomètre (« contrôler la tension » étant la phrase le plus communément prononcée par les empiristes quand ils sont en inspection), Babbitt, check-up (celui-là doit être lâché avec un sifflement pour avoir l’effet escompté).  
Personne ne peut l’expliquer, mais les intuitionnistes ont un taux de réussite de dix pour cent supérieur à celui de leurs rivaux.


Le garçon comprend que l’amour qu’elle lui porte est profond et douloureux. Elle, c’est sa mère. Mais il ne lui ressemble pas, à part un petit quelque chose dans les yeux – un regard fuyant qui cherche à se soustraire aux autres. Quand ils sont en ville, elle l’oblige à marcher derrière elle, le serre contre son dos comme si elle voulait le protéger du regard des Blancs. Comme si elle redoutait qu’en le voyant, ils le lui retirent. Elle le fait moins maintenant qu’il est plus grand, mais lui a toujours pensé que c’était inutile. Les Blancs ne voient pas les gens de couleur, pas même en pleine lumière, pas même en pleine ville. S’il ne s’expose pas au soleil, sa peau reste aussi claire que celle des Blancs, c’est sans doute pour ça qu’elle a peur, mais il se met au soleil le plus souvent possible, ce qui lui donne une couleur noisette. Jamais une couleur aussi foncée que sa mère ou sa sœur. S’il ne s’expose pas, comme c’est le cas en hiver quand il n’y a pas beaucoup de lumière, la noirceur de sa peau se met en sommeil.


Lila Mae a toujours pensé qu’elle était athée sans se rendre compte qu’elle avait une religion à elle. Inventer une religion est à la portée de tout un chacun. Il suffit pour cela du besoin des autres.

 

 

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2 commentaires:

  1. Bien que mes avis sur Underground railroad et .. [bah voilà, j'ai même oublié le titre ... celui qui se passe dans une maison de redressement.. ah oui,] Nickels Boys (non mais c'est pas comme si je l'avais sous le nez en plus), aient été mitigés, tu me rends très curieuse, l'originalité de ce titre m'intrigue.
    Et est-ce que cela ne ferait pas une lecture éligible à l'activité "Monde du travail" ? Je te laisse en décider... (https://bookin-ingannmic.blogspot.com/2021/12/lire-sur-le-monde-ouvrier-les-mondes-du.html)

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    1. Bonjour Ingrid. Ce premier roman de Colson Whitehead est bien plus étrange que ces deux autres titres plus connus. Sa thématique n'est pas le monde du travail, mais la société américaine. Je ne le pense donc pas éligible à ta liste.

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