J'ai beaucoup aimé
Titre : La vie heureuse
Auteur : David FOENKINIS
Parution : 2024 (Gallimard)
Pages : 208
Présentation de l'éditeur :
« Jamais aucune époque n’a autant été marquée par le désir de changer de vie. Nous voulons tous, à un moment de notre existence, être un autre. »Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
David Foenkinos est l’auteur de nombreux romans dont La délicatesse, Les souvenirs ou Le mystère HenriPick, tous trois adaptés au cinéma. Ses livres sont traduits en plus de quarante langues. Son roman Charlotte a reçu le prix Renaudot et le prix Goncourt des lycéens 2014.
Avis :
Lui qui, victime d’une grave maladie cardiaque, a failli mourir à seize ans avant de renaître grâce à la chirurgie, le sait bien : rien de tel que la confrontation à la mort pour vous redonner comme jamais le goût de la vie. S’inspirant d’une pratique coréenne qui vous fait assister à la simulation de vos propres funérailles pour mieux vous sortir de la dépression, l’auteur a imaginé la renaissance d’un homme après cette expérience.Lorsqu’une ancienne camarade d’école lui propose de la rejoindre pour l’épauler dans ses fonctions de directrice de cabinet du secrétaire d’État au Commerce extérieur, Eric Kherson qui, sans vraiment se l’avouer, se sentait tourner en rond entre son poste de cadre dirigeant chez Decathlon et sa vie solitaire de père divorcé très peu investi, est le premier étonné de son empressement à sauter sur l’occasion. Grand bosseur et bien vite le bras droit de cette femme ambitieuse, le voilà qui l’accompagne en Corée pour convaincre les dirigeants de Samsung d’implanter une usine de trottinettes en France. C’est là, à Séoul, que tout bascule, quand Eric découvre par hasard cette pratique thérapeutique inventée ici pour endiguer un taux record de dépression et de suicide : assister à ses propres funérailles et ressentir la mort enfermé dans un cercueil, tout cela pour se sentir ensuite plus vivant et trouver la motivation de réorganiser sa vie.
Electrifié par la course en avant de personnages si bien occupés à leur réussite sociale qu’ils finissent par réduire leur vie à sa façade sur Instagram sans réaliser le vide affectif et familial qui s’est creusé autour d’eux, le récit atteint son point culminant en son mitan, dans un beau morceau de tension narrative, avant de dévaler la pente d’un second versant qui pourrait être celui de la dégringolade ou de la reconstruction. En ce moment de remise en question, c’est toute la vie d’Eric qui se retrouve en balance. Pour se réinventer, il lui faudra régler de vieux comptes avec lui-même et se libérer d’une culpabilité remontant à l’enfance, qui le freine et l’empoisonne insidieusement. Si la satire se fait alors gentil conte tendance feel good, pour le plus grand triomphe des bons sentiments, cela n'occulte pas l'intérêt global de la réflexion proposée.
Face à la tyrannie des injonctions sociales et à rebours de la vanité des apparences, est-il possible de changer d’état d’esprit pour une vie plus heureuse et équilibrée ? Il semble que ce soit le rappel de notre finitude qui soit le plus à même de nous convaincre de l’urgence de la joie et du bonheur : à appréhender sa mort, l’on n’a que plus envie de profiter de sa vie. Un roman doux-amer, où l’on retrouve avec plaisir l'incomparable sens de la formule de David Foenkinos. (4/5)
Citations :
La relation avec son fils était bien trop épisodique ; parfois, il lui semblait manquer des étapes de son évolution, un peu comme on ne saisirait pas vraiment le sens d’un roman dont on sauterait trop de pages.
Happy Life était l’un de ces centres qui organisent de faux enterrements. C’était un véritable phénomène ici. En approfondissant plus tard le sujet, Éric comprendrait le pourquoi de cet engouement. La Corée du Sud avait, cette année-là, le quatrième taux de suicide le plus élevé au monde. Outre la pression ininterrompue que subissait une partie de la population, on constatait une recrudescence particulière des drames chez les jeunes de dix-huit ans à trente-quatre ans. La peur de l’avenir se faisait de plus en plus oppressante, renforcée par une dangereuse soumission à la réussite, et une humiliation en cas d’échec. Cette société largement fondée sur l’apparence (tant de jeunes femmes se faisaient faire le même visage, dans le souci de ne pas déroger à des canons de beauté standardisés) laissait de côté ceux qui ne parvenaient à atteindre ce qui était considéré comme le succès. C’était sur ce terreau fertile que prospérait Happy Life, tentative presque mystique de fournir un antidote au désespoir. Le concept reposait sur une constatation simple : être confronté à la mort pouvait vous permettre de retrouver le goût de la vie.
Il y a une nette différence entre le fait d’avoir conscience de la mort et le fait de (presque) la vivre. Ceux qui ont frôlé la mort connaissent souvent ce sentiment. Ils reviennent à la vie, transfigurés. Rescapés de cette proximité avec le définitif, ils deviennent bien plus forts d’avoir été ainsi fragiles. La plupart du temps, ils réapparaissent avec une sensibilité plus grande. De nombreux artistes sont ainsi des survivants. Éric ressentirait cela. Non seulement, il aurait envie de vivre, enfin, mais il aurait dorénavant besoin d’aller vers la beauté.
Éric avait été marqué par la phrase inaugurale de La Mort à Venise : « Celui qui contemple la beauté est déjà prédestiné à la mort. » Le héros, face à un jeune homme qu’il trouve sublime et divin, est comme condamné par sa fascination. Après une telle extase, plus rien ne peut exister. La mort et la beauté ne cessent de se répondre. Le slogan de Lycoris aurait pu être l’exact opposé : « Celui qui contemple la mort est déjà prédestiné à la beauté. »
Il arrive qu’on se quitte tout comme on meurt paisiblement en plein sommeil.
Parler d’un roman alors qu’on l’écrit, c’est comme ouvrir la fenêtre ; on prend le risque que les idées s’échappent.
Un jour, on sera surpris que quelqu’un ne soit pas écrivain, déclara-t-il. On s’exclamera : “Quoi ?? Il n’écrit pas ??!”
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