Coup de coeur 💓
Titre : Ces orages-là
Auteur : Sandrine COLLETTE
Parution : 2021 (JC Lattès)
Pages : 300
Présentation de l'éditeur :
Clémence a trente ans lorsque, mue par l’énergie du désespoir, elle parvient à s’extraire d’une relation toxique. Trois ans pendant lesquels elle a couru après l’amour vrai, trois ans pendant lesquels elle n’a cessé de s’éteindre.Aujourd’hui, elle vit recluse, sans amis, sans famille, sans travail, dans une petite maison fissurée dont le jardin s’apparente à une jungle.
Comment faire pour ne pas tomber et résister minute après minute à la tentation de faire marche arrière ?
Sandrine Collette nous offre un roman viscéral sur l’obsession, servi par l’écriture brute et tendue qui la distingue.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Sandrine Collette vit dans le Morvan. Elle est notamment l’auteure de Des nœuds d’acier, Il reste la poussière, et Les larmes noires sur la terre. Son dernier roman, Et toujours les Forêts a
été couronné, entre autre, par le Prix du Livre France Bleu PAGE des
libraires 2020, le Grand Prix RTL Lire et le Prix de La Closerie des
Lilas.
Avis :
Après trois ans de relation conjugale toxique, Clémence a enfin trouvé la force de s’enfuir. Mais, seule face à son désarroi et à son total manque de confiance en elle, saura-t-elle échapper durablement et définitivement à l’emprise qui continue à saper sa volonté, à lui faire douter de ses capacités, et à la plonger dans une dépression noire et suicidaire ? Ne serait-il pas plus simple de revenir auprès de cet homme, qui pourtant la terrorise et la réduit à néant ?
Le récit est une plongée dans la tête d’une femme sous emprise, démolie à petit feu par la perversité narcissique de son conjoint, et désormais enfermée dans un processus d’auto-destruction qui continue à la broyer psychiquement malgré la prise de distance physique. Piégé à ses côtés dans un huis-clos oppressant où le danger est autant intérieur qu’extérieur, le lecteur se met à appréhender, aussi bien l'effondrement de cette femme au bout du rouleau, que la réapparition de son prédateur. Tandis que l’écriture sèche et dépouillée tend sans répit le fil narratif à la limite du point de rupture, l’on se retrouve en apnée dans un labyrinthe psychologique tout à fait cauchemardesque, dont l’issue réservera quelque surprise.
J’ai retrouvé avec plaisir le style et la manière de Sandrine Collette, si experte à nous embarquer dans la noirceur explosive de désespoirs extrêmes, et dans le rythme effréné de traques infernales. Point n’est besoin d’aller chercher très loin pour trouver l’enfer : il brûle dans l’intimité de la violence conjugale, et dans la solitude de victimes convaincues de leur insignifiance méprisable et coupable. Ce livre incarne leur terreur et leur tourment dans un récit vertigineux aux allures de cyclone psychologique. Coup de coeur. (5/5)
Le récit est une plongée dans la tête d’une femme sous emprise, démolie à petit feu par la perversité narcissique de son conjoint, et désormais enfermée dans un processus d’auto-destruction qui continue à la broyer psychiquement malgré la prise de distance physique. Piégé à ses côtés dans un huis-clos oppressant où le danger est autant intérieur qu’extérieur, le lecteur se met à appréhender, aussi bien l'effondrement de cette femme au bout du rouleau, que la réapparition de son prédateur. Tandis que l’écriture sèche et dépouillée tend sans répit le fil narratif à la limite du point de rupture, l’on se retrouve en apnée dans un labyrinthe psychologique tout à fait cauchemardesque, dont l’issue réservera quelque surprise.
J’ai retrouvé avec plaisir le style et la manière de Sandrine Collette, si experte à nous embarquer dans la noirceur explosive de désespoirs extrêmes, et dans le rythme effréné de traques infernales. Point n’est besoin d’aller chercher très loin pour trouver l’enfer : il brûle dans l’intimité de la violence conjugale, et dans la solitude de victimes convaincues de leur insignifiance méprisable et coupable. Ce livre incarne leur terreur et leur tourment dans un récit vertigineux aux allures de cyclone psychologique. Coup de coeur. (5/5)
Citations :
Et est-ce véritablement de la chance d’ouvrir les yeux et de deviner l’aube d’un autre jour, au fond ? Est-ce de la chance que tout recommence chaque fois ? Quand on a une vie de merde, se réveiller le matin n’est pas forcément une bonne nouvelle. Il n’y a pas de retour au meilleur – juste le pire qui s’accumule.
La femelle du coucou pond ses œufs dans le nid des autres oiseaux. C’est la meilleure façon qu’elle ait trouvée de faire des paquets de bébés coucous chaque année, qu’elle ne pourrait pas élever elle-même en aussi grand nombre – mais aussi parce que le coucou est une espèce qui migre sans cesse et ne reste pas suffisamment longtemps au même endroit pour préparer un nid, couver ses œufs et nourrir ses petits une fois éclos. La femelle éjecte un œuf du nid de l’oiseau hôte et pond le sien – un seul – à la place. Lorsque le poussin coucou naît, aveugle et sans plumes, la première chose qu’il fait est de jeter hors du nid les œufs non éclos ou les bébés oiseaux autres que lui. Ainsi, il reste seul nourri. Ce qui est fascinant, c’est la taille du coucou : très vite, il devient plus gros que les parents adoptifs qui l’alimentent. Il ressemble à un ogre qui pourrait les engloutir d’un coup de bec. Or, il ne le fait pas. De leur côté, jamais les parents trompés n’arrêtent de le nourrir, semblant ignorer que ce poussin-là est un imposteur, alors même que son apparence n’a rien à voir avec la leur. Bref, le coucou est une belle saloperie. De là vient aussi le coucou que l’on adressait, il y a longtemps, aux mariés trompés ou aux couples adultères – et qui s’est transformé en cocu.
Lorsqu’il pond dans le nid d’espèces méfiantes, le coucou a la capacité stupéfiante de changer la forme ou la couleur de ses œufs pour que les rouges-queues ou les rouges-gorges, ses hôtes préférés, n’y voient que du feu.
En haut des arbres, cela roucoule, cela piaille, cela roule dans les gorges, cela strie l’air d’une force impossible pour des corps si dérisoires. Si un homme chantait avec proportionnellement la même puissance de voix qu’un merle, on ne pourrait pas se tenir à moins de vingt mètres de lui, au risque d’avoir les tympans crevés.
(…) elle a compris qu’elle devait choisir. C’était être la meilleure toute seule, ou être moyenne avec les autres. Quand on est enfant, on n’a pas toutes les données en main, on ne sait pas encore que tout est composition, ruse, compromis. On n’a pas la force. Clémence a décidé de ne plus être seule. Ses notes se sont effondrées, elle s’est appliquée à faire des erreurs, à mimer des trous de mémoire, à ne pas connaître les réponses, il y a eu quelques amies. Jamais beaucoup. Parce que là aussi, on ne le dit pas aux enfants : c’est la nature. Il y a des gens qui n’ont qu’à ouvrir les bras pour que les autres se précipitent. Et puis il y a ceux pour qui ouvrir les bras est déjà un immense effort, et personne ne s’y trompe – personne ne vient, personne n’accourt.
La femelle du coucou pond ses œufs dans le nid des autres oiseaux. C’est la meilleure façon qu’elle ait trouvée de faire des paquets de bébés coucous chaque année, qu’elle ne pourrait pas élever elle-même en aussi grand nombre – mais aussi parce que le coucou est une espèce qui migre sans cesse et ne reste pas suffisamment longtemps au même endroit pour préparer un nid, couver ses œufs et nourrir ses petits une fois éclos. La femelle éjecte un œuf du nid de l’oiseau hôte et pond le sien – un seul – à la place. Lorsque le poussin coucou naît, aveugle et sans plumes, la première chose qu’il fait est de jeter hors du nid les œufs non éclos ou les bébés oiseaux autres que lui. Ainsi, il reste seul nourri. Ce qui est fascinant, c’est la taille du coucou : très vite, il devient plus gros que les parents adoptifs qui l’alimentent. Il ressemble à un ogre qui pourrait les engloutir d’un coup de bec. Or, il ne le fait pas. De leur côté, jamais les parents trompés n’arrêtent de le nourrir, semblant ignorer que ce poussin-là est un imposteur, alors même que son apparence n’a rien à voir avec la leur. Bref, le coucou est une belle saloperie. De là vient aussi le coucou que l’on adressait, il y a longtemps, aux mariés trompés ou aux couples adultères – et qui s’est transformé en cocu.
Lorsqu’il pond dans le nid d’espèces méfiantes, le coucou a la capacité stupéfiante de changer la forme ou la couleur de ses œufs pour que les rouges-queues ou les rouges-gorges, ses hôtes préférés, n’y voient que du feu.
En haut des arbres, cela roucoule, cela piaille, cela roule dans les gorges, cela strie l’air d’une force impossible pour des corps si dérisoires. Si un homme chantait avec proportionnellement la même puissance de voix qu’un merle, on ne pourrait pas se tenir à moins de vingt mètres de lui, au risque d’avoir les tympans crevés.
(…) elle a compris qu’elle devait choisir. C’était être la meilleure toute seule, ou être moyenne avec les autres. Quand on est enfant, on n’a pas toutes les données en main, on ne sait pas encore que tout est composition, ruse, compromis. On n’a pas la force. Clémence a décidé de ne plus être seule. Ses notes se sont effondrées, elle s’est appliquée à faire des erreurs, à mimer des trous de mémoire, à ne pas connaître les réponses, il y a eu quelques amies. Jamais beaucoup. Parce que là aussi, on ne le dit pas aux enfants : c’est la nature. Il y a des gens qui n’ont qu’à ouvrir les bras pour que les autres se précipitent. Et puis il y a ceux pour qui ouvrir les bras est déjà un immense effort, et personne ne s’y trompe – personne ne vient, personne n’accourt.
Telles ces maisons humides qu’un propriétaire décide un jour de drainer et dont les façades, soudain, se lézardent de longues fissures : quand on a appris à vivre dans un univers bancal, il est parfois dangereux que l’équilibre revienne.
Elle ne sait pas si c’est elle qui provoque cela, la transparence. Elle ne sait pas si elle est contagieuse. Mais c’est là, sur elle, en elle. Pas la transparence des grands glaciers ou des mers superbes : celle des invisibles. De ceux qui voudraient qu’on les voie, en vain. C’est dérangeant d’y penser, à cette transparence qui a toujours accompagné Clémence. Cela se sent à plein de choses insignifiantes. Cela s’accumule comme les chagrins, l’impression que les autres passent à travers son corps, à travers son regard, et que rien ne les arrête – rien ne justifie qu’ils s’y arrêtent.
Mais quoi, quand on ouvre les mains et qu’il n’y a rien dedans, quand on fouille au fond de son crâne et qu’on ne trouve que le chagrin, le vide et la colère ? C’est idiot de dire qu’une fois au creux de la vague, on ne peut que remonter, tellement idiot parce qu’il faut de l’élan pour cela, il faut du courant, et souvent, quand on est au creux de la vague, on se noie. À vrai dire, une fois en bas, il y a beaucoup plus de risques de couler pour de bon que de chances de remonter à la surface.
Quinze ans : pour les autres, c’est plus que le temps nécessaire pour guérir de cette chose inguérissable. Au début, tout le monde comprend, tout le monde s’immobilise, priant seulement que cela n’arrive qu’ailleurs. Mais si une vie s’est arrêtée, les autres continuent. L’existence les reprend. Il y a juste une place vide. Le temps du deuil – quelle affreuse, quelle impossible expression. Le temps de cela n’est pas concevable, il est infini, il ne se répare pas ni ne cesse. Colin n’est jamais revenu. Il n’y a pas eu de miracle. Alors Gabriel a fait semblant, pour que les autres se rassurent, pour ne pas sombrer tout à fait.
Semblant de guérir. Seulement ce n’est pas vrai, il n’est pas apaisé. Il ne veut pas l’être. Il se contente de mentir, pour qu’on lui foute la paix. Le jour, il mime, il feint, il joue. Il brille, il ouvre les bras, il éclate, tout le monde l’aime. Personne ne se doute que la blessure à l’intérieur, plus que cicatriser, est devenue un abîme. Le soir, l’alcool colmate la plaie à grand-peine pour tenir un soleil de plus, des petites révolutions d’aube en aube, au moment où les ténèbres cèdent. Gabriel est une marionnette, un chiffon. Le destin l’agite chaque jour, l’obligeant à vivre, pantin superbe qui parle et rit et rayonne, sidérant les autres – un spectre de lumière, une illusion d’or et de sang.
Elle ne sait pas si c’est elle qui provoque cela, la transparence. Elle ne sait pas si elle est contagieuse. Mais c’est là, sur elle, en elle. Pas la transparence des grands glaciers ou des mers superbes : celle des invisibles. De ceux qui voudraient qu’on les voie, en vain. C’est dérangeant d’y penser, à cette transparence qui a toujours accompagné Clémence. Cela se sent à plein de choses insignifiantes. Cela s’accumule comme les chagrins, l’impression que les autres passent à travers son corps, à travers son regard, et que rien ne les arrête – rien ne justifie qu’ils s’y arrêtent.
Mais quoi, quand on ouvre les mains et qu’il n’y a rien dedans, quand on fouille au fond de son crâne et qu’on ne trouve que le chagrin, le vide et la colère ? C’est idiot de dire qu’une fois au creux de la vague, on ne peut que remonter, tellement idiot parce qu’il faut de l’élan pour cela, il faut du courant, et souvent, quand on est au creux de la vague, on se noie. À vrai dire, une fois en bas, il y a beaucoup plus de risques de couler pour de bon que de chances de remonter à la surface.
Quinze ans : pour les autres, c’est plus que le temps nécessaire pour guérir de cette chose inguérissable. Au début, tout le monde comprend, tout le monde s’immobilise, priant seulement que cela n’arrive qu’ailleurs. Mais si une vie s’est arrêtée, les autres continuent. L’existence les reprend. Il y a juste une place vide. Le temps du deuil – quelle affreuse, quelle impossible expression. Le temps de cela n’est pas concevable, il est infini, il ne se répare pas ni ne cesse. Colin n’est jamais revenu. Il n’y a pas eu de miracle. Alors Gabriel a fait semblant, pour que les autres se rassurent, pour ne pas sombrer tout à fait.
Semblant de guérir. Seulement ce n’est pas vrai, il n’est pas apaisé. Il ne veut pas l’être. Il se contente de mentir, pour qu’on lui foute la paix. Le jour, il mime, il feint, il joue. Il brille, il ouvre les bras, il éclate, tout le monde l’aime. Personne ne se doute que la blessure à l’intérieur, plus que cicatriser, est devenue un abîme. Le soir, l’alcool colmate la plaie à grand-peine pour tenir un soleil de plus, des petites révolutions d’aube en aube, au moment où les ténèbres cèdent. Gabriel est une marionnette, un chiffon. Le destin l’agite chaque jour, l’obligeant à vivre, pantin superbe qui parle et rit et rayonne, sidérant les autres – un spectre de lumière, une illusion d’or et de sang.
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