J'ai beaucoup aimé
Titre : La folie de ma mère
Auteur : Isabelle FLATEN
Parution : 2021 (Le Nouvel Attila)
Pages : 128
Présentation de l'éditeur :
Et si tout souvenir de famille n’était que fiction ? Une femme découvre
une fois devenue adulte qu’elle est née de père inconnu. Une double
enquête commence, à la fois sur l’identité de son père mais aussi sur
les raisons du mensonge de sa mère. Chaque parcelle de la vie de cette
mère excessive et trouble, professeure de collège libertaire, cache une
ombre lourde de sens. Un récit pudique et sobre, où la force des
souvenirs d’enfance emporte le lecteur dans un rire noir omniprésent.
Un mot sur l'auteur :
Isabelle Flaten est née à Strasbourg en 1957. Elle a publié 7 romans et reçu le prix Erckmann-Chatrian 2019 pour Adelphe.
Avis :
Dans un récit qui s’adresse à sa mère morte, l’auteur raconte au temps présent leur impossible et chaotique relation, au fur et à mesure que cette femme excessive et bipolaire s’enfonce de plus en plus nettement dans la folie.
L’anormalité de cette relation mère-fille est posée dès le désarçonnant incipit. « Une dame me propose un yaourt. Elle a l’air gentille. Je plonge la petite cuillère dans le pot. La dame m’arrête : on dit merci maman. » L’auteur a trois ans, ne connaît du mari de sa mère que ses torgnoles, puis sa disparition prématurée. Lui reste les extravagances et les contradictions d’une mère qui la néglige, absorbée qu’elle est par son mode de vie féministe et libertaire, marqué par l’instabilité et par l’exaltation de l’utopie. Tantôt trimballée comme un paquet au fil d’incessants va-et-vient entre Paris et Strasbourg, tantôt remisée chez des parents, l’enfant grandit en marge d’un tourbillon où elle ne trouve pas sa place, au rythme d’une relation maternelle inadaptée, cyclothymique et terriblement dénuée d’écoute, qui fait des ravages sur sa jeune personnalité.
Démarrée à hauteur d’enfant, la narration épouse l’évolution du regard de l’adolescente, puis de la femme qui, à l’âge adulte, aura encore à prendre toute la mesure des mensonges qui auront jusqu’alors présidé à son existence. Dans ses efforts désespérés pour comprendre cette mère de plus en plus insaisissable, dont, par-dessus tout, elle continue à rechercher l’amour, elle ne pourra que se heurter à son impuissance à rejoindre cette femme dont les troubles psychiques et dépressifs ne cessent de croître, l’entraînant inexorablement sur la terrible pente de la folie. Ne resteront bientôt plus à la narratrice que les mots de ce récit, adressé à une ombre définitivement hors d’atteinte, pour exprimer enfin toute sa souffrance, ses interrogations, et son amour manqué.
Le résultat est un livre d’une grande beauté, qui, sans rancune ni pathos, explore dans un élan de compassion douloureuse le gouffre qui n’a finalement avalé que l’une de ces deux femmes maladroitement accrochées l’une à l’autre. Sauvée par les livres et l’écriture, c’est par ce biais que l'auteur trouve ici le moyen d’enfin jeter un pont entre elles deux, dans une bouleversante déclaration d’amour. (4/5)
L’anormalité de cette relation mère-fille est posée dès le désarçonnant incipit. « Une dame me propose un yaourt. Elle a l’air gentille. Je plonge la petite cuillère dans le pot. La dame m’arrête : on dit merci maman. » L’auteur a trois ans, ne connaît du mari de sa mère que ses torgnoles, puis sa disparition prématurée. Lui reste les extravagances et les contradictions d’une mère qui la néglige, absorbée qu’elle est par son mode de vie féministe et libertaire, marqué par l’instabilité et par l’exaltation de l’utopie. Tantôt trimballée comme un paquet au fil d’incessants va-et-vient entre Paris et Strasbourg, tantôt remisée chez des parents, l’enfant grandit en marge d’un tourbillon où elle ne trouve pas sa place, au rythme d’une relation maternelle inadaptée, cyclothymique et terriblement dénuée d’écoute, qui fait des ravages sur sa jeune personnalité.
Démarrée à hauteur d’enfant, la narration épouse l’évolution du regard de l’adolescente, puis de la femme qui, à l’âge adulte, aura encore à prendre toute la mesure des mensonges qui auront jusqu’alors présidé à son existence. Dans ses efforts désespérés pour comprendre cette mère de plus en plus insaisissable, dont, par-dessus tout, elle continue à rechercher l’amour, elle ne pourra que se heurter à son impuissance à rejoindre cette femme dont les troubles psychiques et dépressifs ne cessent de croître, l’entraînant inexorablement sur la terrible pente de la folie. Ne resteront bientôt plus à la narratrice que les mots de ce récit, adressé à une ombre définitivement hors d’atteinte, pour exprimer enfin toute sa souffrance, ses interrogations, et son amour manqué.
Le résultat est un livre d’une grande beauté, qui, sans rancune ni pathos, explore dans un élan de compassion douloureuse le gouffre qui n’a finalement avalé que l’une de ces deux femmes maladroitement accrochées l’une à l’autre. Sauvée par les livres et l’écriture, c’est par ce biais que l'auteur trouve ici le moyen d’enfin jeter un pont entre elles deux, dans une bouleversante déclaration d’amour. (4/5)
Citations :
Une dame me propose un yaourt. Elle a l’air gentille. Je plonge la petite cuillère dans le pot. La dame m’arrête : on dit merci maman.
Je ne sais plus qui tu es, ni pourquoi tu fais tout ça. Et encore moins qui je suis. Sinon un truc bancal.
J’ai un refuge depuis toute petite, une forteresse, j’habite dans les livres. (...)
Pour le moment c’est un trésor, une nouvelle famille aux ramifications inépuisables qui me mènent dès mes douze ans aux Thibault de Roger Martin du Gard, aux Rougon-Macquart d’Émile Zola, à L’Enfance de Gorki, ou en des terres insoupçonnées, féroces, la Chine de Pearl Buck et de Lucien Bodard. Qui m’apportent aussi quelques déconvenues puisées dans ta bibliothèque, des romans abscons : Le Maître et Marguerite de Boulgakov vite lâché ou des livres qui n'en sont pas : La Métamorphose de Kafka, l’histoire d’un type qui se prend pour un cancrelat, en devient un pour de vrai, une sorte de monstre qui se nourrit de pourriture et qui forcément dégoûte et effraie tout le monde. Moi la première : je déteste les insectes et ne vois pas l’intérêt de raconter des bêtises pareilles. Dans d’autres romans comme Madame Bovary ou Anna Karénine, des hommes et des femmes s’embrassent, se déshabillent et puis plus rien. À la page suivante ils sont rhabillés et prennent le petit déjeuner. Après ils montent à cheval et pour finir il la quitte et elle se tue. Je me promets de ne jamais tomber amoureuse. Mais je lis sans cesse. C’est ma grande aventure, un frisson au tournant de la première page, souvent l’émerveillement au bout de la route et l’empreinte du voyage qui colle au corps comme une seconde peau. Et il en est toujours ainsi, les portes des librairies se confondent avec celles du paradis.
Tu es soumise à une force mystérieuse dont tu ne saisis pas l’essence, la raison de tout ceci. Tu n’y peux rien, la vie t’est insupportable, tu voudrais disparaître. Et moi qui voudrais te ressusciter, te retrouver telle que tu m’es apparue si souvent, heureuse d’exister. Qui donnerait tout pour déloger ce diable qui t’empêche d’être toi, faire resurgir ta véritable nature, la femme généreuse, enjouée et facile à vivre que tu peux être quand l’enfer t’offre un répit.
Souvent je rêve de te ressusciter, que nous puissions vivre ensemble tout ce que nous n’avons pas vécu.
Je ne sais plus qui tu es, ni pourquoi tu fais tout ça. Et encore moins qui je suis. Sinon un truc bancal.
J’ai un refuge depuis toute petite, une forteresse, j’habite dans les livres. (...)
Pour le moment c’est un trésor, une nouvelle famille aux ramifications inépuisables qui me mènent dès mes douze ans aux Thibault de Roger Martin du Gard, aux Rougon-Macquart d’Émile Zola, à L’Enfance de Gorki, ou en des terres insoupçonnées, féroces, la Chine de Pearl Buck et de Lucien Bodard. Qui m’apportent aussi quelques déconvenues puisées dans ta bibliothèque, des romans abscons : Le Maître et Marguerite de Boulgakov vite lâché ou des livres qui n'en sont pas : La Métamorphose de Kafka, l’histoire d’un type qui se prend pour un cancrelat, en devient un pour de vrai, une sorte de monstre qui se nourrit de pourriture et qui forcément dégoûte et effraie tout le monde. Moi la première : je déteste les insectes et ne vois pas l’intérêt de raconter des bêtises pareilles. Dans d’autres romans comme Madame Bovary ou Anna Karénine, des hommes et des femmes s’embrassent, se déshabillent et puis plus rien. À la page suivante ils sont rhabillés et prennent le petit déjeuner. Après ils montent à cheval et pour finir il la quitte et elle se tue. Je me promets de ne jamais tomber amoureuse. Mais je lis sans cesse. C’est ma grande aventure, un frisson au tournant de la première page, souvent l’émerveillement au bout de la route et l’empreinte du voyage qui colle au corps comme une seconde peau. Et il en est toujours ainsi, les portes des librairies se confondent avec celles du paradis.
Tu es soumise à une force mystérieuse dont tu ne saisis pas l’essence, la raison de tout ceci. Tu n’y peux rien, la vie t’est insupportable, tu voudrais disparaître. Et moi qui voudrais te ressusciter, te retrouver telle que tu m’es apparue si souvent, heureuse d’exister. Qui donnerait tout pour déloger ce diable qui t’empêche d’être toi, faire resurgir ta véritable nature, la femme généreuse, enjouée et facile à vivre que tu peux être quand l’enfer t’offre un répit.
Souvent je rêve de te ressusciter, que nous puissions vivre ensemble tout ce que nous n’avons pas vécu.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire