mercredi 5 février 2025

[Echenoz, Jean] Bristol

 



 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Bristol

Auteur : Jean ECHENOZ

Parution : 2025 (Minuit)

Pages : 208

 

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

- Alors qu'est-ce que vous faites dans la région, dites-moi un peu, s'inquiète le commandant Parker.
- Disons que c'est pour un film que je suis en train de tourner, indique Robert. Comme vous voyez.
- On ne m'en avait pas averti, regrette le commandant, mais voilà qui m'intéresse beaucoup. Et quel genre de film, au juste ?
- Toujours pareil, expose Robert, l'amour et l'aventure. Avec l'Afrique et ses mystères, vous voyez le genre.
- Ah oui, soupire le commandant Parker, je vois en effet très bien le genre. Et pour votre histoire d'amour, vous avez pris quelle actrice ?
- Céleste, dit Robert. Céleste Oppen.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Jean Echenoz est né à Orange (Vaucluse) en 1947. Prix Médicis 1983 pour Cherokee. Prix Goncourt 1999 pour Je m'en vais.

 

Avis :

Il y avait eu Gérard Fulmar, il y a maintenant Robert Bristol, le tout dernier anti-héros dont Jean Echenoz s’amuse à mettre en scène la banale médiocrité avec tous les codes du roman d’action. Voici donc Bristol, cinéaste de bas étage pris par mégarde dans une presque affaire policière, ou quand le prosaïsme se déguise en film et en roman.

Il faut bien du talent pour faire un tout à partir de rien, ou disons de peu. Echenoz est passé maître à ce jeu, mais pas son personnage, cinéaste à petits budgets et acteurs obscurs, qui avec « le moins doit faire imaginer le plus ». Tout à sa frugale préparation du tournage d’un navet en Afrique australe, le voilà qui ne prête guère attention à ce qui se passe dans son voisinage, à commencer par la défenestration d’un homme nu, à l’identité mystérieuse, depuis l’étage supérieur de son immeuble parisien. A vrai dire, ce triste fait divers n’aurait aucune raison de le concerner, si l’ennui ranci d’une voisine et la complaisance négligente d’un officier de police judiciaire ne venaient faire de lui, si terne et insignifiant soit-il, le possible méchant d’une histoire peut-être louche. Quand on disait qu’un rien peut devenir quelque chose…

Ayant d’ores et déjà réussi la mise en abyme de deux non-histoires, celle d’un mauvais film dans un décor en toc et, pendant les pauses du tournage, les piètres tribulations d’un faux malfaiteur, l’auteur n’en a pas pourtant pas fini avec les jeux de mise en scène de son pas grand-chose de départ. Laissant régulièrement la narration au second plan, il multiplie les décalages, interpelle le lecteur, le prend à partie sur sa manière de raconter certaines scènes, commente ses choix et ses hésitations, ajoutant encore une couche à son mille-feuilles, celle qui nous en rend, lui et nous, partie prenante. Et puis, les détails comptant autant que la structure, il parfait jubilatoirement le tout en y glissant des allusions discrètes à d’autres œuvres, démentant aussitôt se prendre au sérieux en faisant en même temps assaut d’une érudition ostensiblement saugrenue. Un rien habille le creux, surtout les mots savants…

De fausses histoires aux velléités d’intrigue, des losers mal déguisés en personnages, enfin des cinéastes et des écrivains jouant aux maquignons avec leurs œuvres : c’est avec la plus totale dérision, dans une connivence complice et amusée, que Jean Echenoz se joue des pires trivialités pour démontrer par l’absurde, en vrai virtuose de la langue et des mots, que l’on peut bien, en effet, faire du rien une œuvre d’art. (4/5)

 

Citations :

Si Bristol se prête volontiers aux propos tourbillonnaires de Severinsen, sans doute est-ce qu’il la trouve distrayante, pourquoi pas séduisante malgré son âge qui n’est pas loin du sien – son prénom dit assez qu’il n’est pas un jeune homme, on n’appelle plus personne Robert depuis longtemps. Peut-être désirable, bavarde assurément : ce sont maintenant l’usure du tapis d’escalier, les nouvelles boîtes aux lettres à prévoir et le caractère abrupt de la gardienne qu’évoque Michèle Severinsen à jet continu. Sous cette averse, Bristol émet des avis brefs autant qu’inefficaces comme on essaie d’ouvrir un parapluie rétif, avant de mettre un terme à ce monologue comme on arrache un sparadrap : d’un seul coup vif, c’est mieux. Il a descendu trois étages et traversé le hall, puis il fait un peu froid dans la rue des Eaux.


Tout dépend de l’angle et du cadrage et plus tard, à la post-production, un peu de musique derrière et trois effets spéciaux feront l’affaire. Car ainsi va le cinématographe où le moins doit faire imaginer le plus. C’est le règne de la partie pour le tout, l’empire de la synecdoque où rien n’arrive à l’extérieur du cadre : hors de son rectangle où se déroule une guerre sans merci, riche en clameurs sauvages, corps démantelés et sang giclant un peu partout, il n’y a que deux types dont l’un tient une perche et l’autre un réflecteur, l’un regarde sa montre et l’autre s’éponge le front.

 

 

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