mardi 11 février 2025

[Zamora, Javier] Solito

 




Coup de coeur 💓💓

 

Titre : Solito

Auteur : Javier ZAMORA

Traduction : Carole d'YVOIRE

Parution : en anglais (Etats-Unis) en 2022,
                   en français en 2024 (Gallimard)

Pages : 496

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur : 

Du haut de ses neuf ans, Javier quitte ses grands-parents, ses copains d’école et son pays d’origine, El Salvador, pour retrouver ses parents déjà installés clandestinement aux États-Unis. Seul, il part pour un périple de 3 000 kilomètres à travers le Guatemala, le Mexique, la mer et le désert, au bout duquel l’attendent le rêve américain et sa vie de famille tant désirée.
Vécue et observée à hauteur d’enfant, cette épopée hors norme semée de nombreux dangers et épreuves est avant tout teintée d’émerveillement et d’espoir. Car Javier poursuit vaillamment son long chemin, suivant les passeurs et les autres migrants, découvrant de magnifiques couchers de soleil ou de somptueuses étendues de cactus, mais aussi le meilleur et le pire dont l’humain est capable.
Devenu un phénomène mondial, Solito est un témoignage rare, poignant et universel sur le sort des migrants. L’écriture sensible de Javier Zamora, associée à son jeu avec la langue hispanique, offre une expérience de lecture singulière et particulièrement vivante.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Javier Zamora est d’origine salvadorienne et vit aux États-Unis depuis qu’il a traversé la frontière clandestinement, seul, à l’âge de neuf ans. Après des études à Stanford et Harvard, il est devenu poète et a publié un recueil de poésie remarqué, Unaccompanied. Solito, best-seller du New York Times depuis sa parution en 2022, a conquis des centaines de milliers de lecteurs et a fait de Zamora une figure qui porte la voix des migrants.

 

Avis :

En 1999 alors qu’il avait neuf ans, Javier Zamora quittait le Salvador, seul et clandestin, pour rejoindre ses parents en Californie. Fuyant la guerre civile, son père avait été le premier de la famille, huit ans plus tôt, à immigrer illégalement aux Etats-Unis. Sa mère n’avait pas tardé à le rejoindre, laissant l’enfant à la garde de ses grands-parents. Faute de visa pour leur fils, ils avaient engagé un « coyote », autrement dit un passeur, pour le cornaquer au long des 3000 kilomètres de son périple à travers le Guatemala, le Mexique et le désert du Sonora, là où il devrait franchir illégalement la frontière vers « las Unitades ».

Prévu pour durer deux semaines, le voyage truffé d’embûches et d’épreuves devait en réalité en prendre huit. Miraculeusement sauf mais durablement traumatisé, il lui faudrait un peu plus de vingt ans pour que, désormais diplômé de Stanford et légalisé résident permanent aux Etats-Unis, devenu activiste en faveur de la cause des migrants, il trouve la force d’affronter ses souvenirs, d’abord dans un recueil de poésie, Unaccompanied, publié en 2017 et salué par la critique, ensuite dans ce premier roman, best-seller du New York Times en 2022, point d’orgue d’une longue thérapie en même temps qu’impressionnante réussite littéraire.

Narré à hauteur d’enfant, sans jamais de commentaire ni de point de vue extérieurs, le récit immerge le lecteur au plus près du vécu, dans une spontanéité sincère et candide qui, quoi qu’il arrive toujours prête à s’émerveiller, fût-ce à propos des poissons volants du Pacifique ou de la variété des cactus dans le désert, considère avec le même naturel aussi bien les mille détails matériels des éprouvantes conditions du voyage que les plus terribles dangers qui le jalonnent. C’est donc bien plus horrifié que lui, l’enfant qui ne comprendra sans doute pleinement que bien plus tard tout ce par quoi il est passé, que l’on voit son premier coyote disparaître dans la nature, les suivants l’abandonner avec d’autres migrants au beau milieu du désert du Sonora, la Migra le refouler deux fois à la frontière des Etats-Unis et plusieurs armes le braquer comme un redoutable criminel.

Aucune analyse ni leçon de morale, aucun pathos ni sensationnalisme donc, mais la seule candeur d’un enfant pour donner chair à la peur, la solitude, le froid, la soif, les jours d'attente sans fin, le manque d’argent et la dépendance à des passeurs douteux auxquels il faut bien se fier, la traque policière et l’inhumanité administrative, l’humiliation et la promiscuité avec les autres migrants, certains prêts à toutes les trahisons pour se sauver, d’autres merveilleux d’entraide et de solidarité, comme Patricia, sa fille Carla et le jeune homme Chino à qui Javier Zamora dédie son livre. Ce sont eux qui, le prenant sous leur aile et se faisant passer pour une famille, lui sauvent probablement la vie et lui permettent de parvenir à destination.

Ce récit dont jusqu’à la langue, mêlée de références à des marques locales, de paroles de chansons, enfin de termes et d’expressions hispaniques, salvadoriens et mexicains comparés, traduit l’arrachement identitaire et culturel de ce voyage vers une autre vie, n’est pas seulement un témoignage individuel éminemment touchant et saisissant. Il est aussi l’arbre qui permet de voir la forêt avec une acuité nouvelle, l’expression particulière d’une souffrance collective et la voix de tous ces migrants dont l’actualité politique américaine va désormais compliquer plus encore le sort.

Ecrit pour guérir, remercier et porter la voix des migrants, un livre qui, du haut de l’indiscutable sincérité d’un enfant, ne peut qu’emporter le lecteur dans un souffle d’effroi et de tendresse pour ses personnages et sensibiliser de manière magistrale à sa cause. Coup de coeur. (5/5)

 

Citations :

Pendant sept semaines (du 20 avril 1999 au 10 juin 1999), personne n’a su où j’étais. À Tecún Umán, Papy m’avait confié à Don Dago, et ce dernier n’avait jamais donné de nouvelles à ma famille au Salvador. Aucun des coyotes auxquels j’ai eu affaire n’a jamais téléphoné à mes parents en Californie. La première fois qu’ils ont su que j’étais vivant, c’est grâce à Marcelo qui a réussi à joindre mes parents le 1er juin 1999. Je ne sais pas comment il a pu arriver à Los Ángeles, mais il leur a dit que j’étais « entre de bonnes mains », que j’étais « tellement optimiste et certain de les revoir ». Avant de raccrocher, il avait ajouté : « Ne vous inquiétez pas, vous avez un petit garçon spécial. »
Mes parents en ont perdu le sommeil. La nuit, leur téléphone était posé à côté de leur lit et ils attendaient qu’il sonne. Ils ne pouvaient pas partir me chercher en voiture près de la frontière, car ils craignaient que la patrouille frontalière ne les arrête et ne les expulse. Tout ce qu’il leur restait à faire, c’était attendre en espérant que je parvienne à réussir la traversée, sain et sauf. Ils sont allés au travail comme d’habitude, appelant El Salvador deux fois par jour, ont emprunté de l’argent au cas où un pollero les contacterait, et ont poursuivi leurs cours d’anglais pour adultes étrangers au College of Marin.
 

Comme mes parents, j’ai refusé de ressasser tout ce qui m’était arrivé pendant ces sept semaines entre El Salvador et la Californie. Je n’ai jamais oublié Chino, Patricia, Carla, Chele, Marcelo, ni aucun de ceux que j’ai croisés sur ma route, mais me souvenir d’eux était trop douloureux. C’est uniquement grâce aux poèmes que j’écrivais, et plus tard à ce livre (qui aurait été impossible sans l’indéfectible soutien de mon psychothérapeute), que j’ai trouvé le courage nécessaire, une fois que je me suis senti assez guéri, pour revisiter les lieux, les personnes et les événements qui m’ont façonné. J’espère que ce texte me permettra de retrouver Chino, Patricia et Carla, que je découvrirai ce qui leur est arrivé après notre séparation et que j’apprendrai ce qu’a été leur vie dans ce pays. Je ne crois pas les avoir remerciés. Et je veux le faire aujourd’hui, en tant qu’adulte, d’avoir risqué leur peau pour cet enfant de neuf ans qu’ils ne connaissaient pas.


 

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