lundi 17 février 2025

[Incardona, Joseph] Stella et l'Amérique

 





J'ai aimé

 

Titre : Stella et l'Amérique

Auteur : Joseph INCARDONA

Parution :  2024 (Finitude)

Pages : 224

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Stella fait des miracles. Au sens propre. Elle guérit malades et paralytiques, comme dans la Bible. Le Vatican est aux anges, pensez donc, une sainte, une vraie, en plein vingt et unième siècle ! Le seul hic, c’est le modus operandi : Stella guérit ceux avec qui elle couche. Et Stella couche beaucoup, c’est même son métier…
Pour Luis Molina, du Savannah News, c’est sûr, cette histoire sent le Pulitzer. Pour le Vatican, ça sentirait plutôt les emmerdements. Une sainte-putain, ça n’est pas très présentable. En revanche, une sainte-martyre dont on pourrait réécrire le passé…
Voilà un travail sur mesure pour les affreux jumeaux Bronski, les meilleurs pour faire de bons martyrs. À condition, bien sûr, de réussir à mettre la main sur l’innocente Stella. C’est grand, l’Amérique.

Avec sa galerie de personnages excentriques tout droit sortis d’un pulp à la Tarantino et ses dialogues jubilatoires dignes des frères Coen, Joseph Incardona fait son cinéma.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Joseph Incardona (né en 1969) est Suisse d’origine italienne. Il est l’auteur d’une quinzaine de romans ou de recueils de nouvelles. Il est aussi scénariste pour la BD, le cinéma ou la télévision, dramaturge et réalisateur (un long métrage en 2013 et plusieurs courts métrages).

 

 

Avis :

Après les dessous des banques suisses dans La soustraction des possibles et les dérives des jeux de téléréalité dans Les corps solides, l’écrivain franco-suisse redouble d’inventivité et de loufoquerie pour un road trip déjanté dans une Amérique de tous les clichés où le pire est toujours possible.

A dix-neuf ans, Stella l’Américaine dispense tellement d’amour que l’incroyable se produit : à son contact, les guérisons miraculeuses se multiplient et la foule se presse déjà à la porte de son camping-car, elle qui vit modestement dans le sillage d’un cirque ambulant. Ravie de l’aubaine, l’Église se voit aussitôt prête à prononcer les mots « santa subito », quand apparaît un obstacle de taille. Les amours de Stella sont tarifées, elle est « une sorte de Vierge à l’envers » qui, la sensualité incarnée, n’a trouvé, face au regard des hommes, qu’une « seule façon […] de n’appartenir à personne […] : se donner à tout le monde. » Dès lors la femme à abattre pour le Vatican – quoi de mieux qu’une martyre pour faire une sainte ? –, la voilà pourchassée par deux terribles tueurs à gage, les frères Bronski tout droit sortis d’un film à la Tarantino. Heureusement, aux côtés de la Bête face aux Truands, deux Bons vont tâcher de la défendre : le Père Brown – ex-Navy Seal – et Luis Molina, un journaliste à qui cette affaire inespérée pourrait bien valoir le Pulitzer.

N’hésitant pas à commenter ironiquement l’écriture de cette fantaisie où le dingue le dispute au burlesque, l’auteur joue avec jubilation de son idée folle, complètement à rebours du dogme de l’Église, pour en même temps rire, constamment au bord du pastiche, de la manie américaine du héros et des archétypes dans la construction de la mythologie nationale. Et tandis qu’il multiplie les clins d’oeil aussi bien à la littérature pulp et hard-boiled qu’au cinéma des frères Coen ou de Tarantino, il emplit son roman de freaks passés irrémédiablement à la trappe du rêve américain.

Plus loufoquerie que véritable satire, cette comédie à l’américaine à l’humour résolument déjanté ne restera peut-être pas l’ouvrage le plus mémorable de l’auteur. Elle n’en offre pas moins une lecture plutôt drôle et récréative, que l’on imagine aisément portée à l’écran. (3/5)

 

 

Citations :

Frankie rencontra peu de monde sur son chemin, croisant surtout des pick-up délabrés pilotés par des jeunes gens avinés ainsi que les habituels sans-abri étendus sur leurs cartons au bord des trottoirs. A chicken in every pot, a car in every garage, martelait autrefois Herbert Hoover. De tous les slogans présidentiels, peut-être le plus naïf. Tout ça datait presque d’un siècle, maintenant. Une évolution sociale qui revenait, lente et irréversible, à son point de départ, l’ellipse vers la pauvreté. Et dans le flux de l’Histoire, Frankie Malone s’efforçait de se maintenir sur la ligne de flottaison, celle d’une dignité dans la défaite.


Il aurait dû réfléchir : une prostituée ne pourrait jamais être une sainte. La compassion n’irait pas jusque-là. Le Saint-Siège avait mis près de deux mille ans à asseoir son mythe. La religion catholique romaine était devenue un État, elle avait ses employés, sa police secrète, ses intellectuels et ses gardes suisses. Elle avait ses banques, ses hommes d’affaires, ses investisseurs, sa presse, ses éditions et ses entreprises. Une multinationale gérant plus d’un milliard trois cents millions d’individus. Pas mal pour un jeune chevelu mort à 33 ans, vêtu d’une simple tunique et de sandales en cuir avec, pour seul outil, le verbe.


Une main dans la vôtre, fermez les yeux, voilà ; le toucher, réfléchissez-y bien, une main dans la vôtre quand cette main vous dit quelque chose, quand elle palpite, peu importe qu’elle soit douce ou rêche ou froide ou tiède, peu importe, quand cette main serre la vôtre, qu’elle demande, comme une quête, un peu de compassion. Une main, songez-y : c’est immense.


Le monde était vaste, si vaste que le bien et le mal réussissaient à y cohabiter dans toutes leurs nuances. Mais aussi vaste qu’il fût, l’un ne pouvait échapper à l’autre. L’un ne pouvait exister sans l’autre. Les récentes recherches démographiques estiment à plus de 108 milliards le nombre total d’êtres humains ayant vécu sur Terre. En dehors des quelque 547 individus ayant voyagé dans l’espace, personne n’a jamais échappé à l’attraction terrestre. Nos vies, nos corps, ce qu’il reste de notre poussière et de nos atomes. Tout est là depuis le début. Et avec, l’illusion un peu folle que tout ceci a un sens. Rien n’échappe à la force de gravité, ni les sentiments, pas plus que les idées. Corps et âmes retenus sur terre. Rien ne s’échappe au-delà de quelques dizaines de kilomètres autour du monde, l’atmosphère comme un voile posé autour de la Terre, cette prison depuis laquelle on peut distinguer les étoiles. Et en rêver la nuit, les yeux ouverts, la nuque douloureuse à force de lever la tête là où d’autres réalités se superposent et se confondent, ces distances que nous ne parcourrons jamais, ces milliards de milliards de kilomètres à traverser sans fin, l’espace en expansion. Il aurait pu lui dire, aussi, le Père Brown, que notre corps contient l’essentiel de toute la matière recensée à ce jour dans l’univers. Que rien n’existe en dehors de nous. Que tout existe en dehors de nous. Que cela devrait suffire pour nous rassurer. Le problème, pensait le Père Brown, c’est que cette fille focalisait l’attention sur elle, mais que, l’air de rien, elle balayait les certitudes fragiles que lui-même s’était forgées pour tenir jusqu’à la fin, jusqu’à la libération de l’âme, de l’âme prisonnière sous le ciel étoilé.


Alors, le saxophoniste revient ce soir dans son club où il n’était plus considéré que comme un souvenir ; lorsque le corps vieux et malmené empêche l’action et qu’on se met à raconter comment c’était quand on pouvait encore. Quand on ne fait plus que causer parce que la vie est ailleurs, comme quand on écrit parce que tout ce qui n’est pas dit se perd.


Trouver Stella Thibodeaux était la clé : une fois qu’il aurait bouclé son enquête, que l’article serait diffusé, il aurait les deux : la vie sauve et le Prix. Difficile d’expliquer tout ça à Maria. Difficile de lui faire comprendre que ces motivations, aussi risquées soient-elles, puissent animer un homme. Le monde, tel qu’il se présente, ne suffit pas

 

 

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2 commentaires:

  1. Bonjour! Je n'ai pas lu les tout derniers Joseph Incardona, mais je garde d'excellents souvenirs de la saga des "Pastrella", histoire d'un Italien de deuxième génération en Suisse, coincé entre deux identités et toujours tricard (ce qui ne l'empêche pas d'avoir de la ressource). J'essaierai de me procurer les ouvrages suivants.

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    1. Bonjour Fattorius.
      Des trois livres de cet auteur que j'ai lus, mon préféré est "Les corps solides". Bonne découverte !

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