mercredi 3 avril 2024

[Tomic, Ante] Qu'est-ce qu'un homme sans moustache ?

 



Coup de coeur 💓

 

Titre : Qu'est-ce qu'un homme
            sans moustache ?
            (Što je muškarac bez brkova)

Auteur : Ante TOMIC

Traduction : Marko DESPOT

Parution : en croate en 2000
                  en français en 2023
                  (Noir sur Blanc)

Pages : 208

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

« Un homme sans moustache est un homme sans âme », écrivait Confucius.
L’arrière-pays dalmate, son maquis, sa pierraille et son village, Smiljevo, avec ses deux mille habitants, son auberge, son église, son école primaire, son bureau de poste et ses deux épiceries. On y trouve une veuve joyeuse, un prêtre timide, alcoolique repenti, un épicier amateur de feuilletons mexicains, un général de l’armée croate, un émigré ayant fait fortune en Allemagne, un ivrogne, un poète haïku incompris, un ministre de la Défense et bien d’autres personnages hauts en couleur. Tout au long de ce roman d’amour hilarant, on découvre une population archaïque, obtuse, amoureuse d’agneaux à la broche, mais excessivement touchante dans son humanité. Ce premier roman d’Ante Tomić, douce satire de l’Église, de l’État et du machisme, aura lancé la carrière de l’auteur de Miracle à la Combe aux Aspics.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Originaire d’un petit village de Croatie, Ante Tomic, né en 1970, a obtenu un diplôme en philosophie et sociologie de l’université de Zadar. Devenu journaliste pour le quotidien Slobodna Dalmacija, il démontre un rare talent littéraire qui se confirme en 2000 dans son premier roman Što je muškarac bez brkova (Qu’est-ce qu’un homme sans moustache). Trois ans plus tard, il publie Ništa nas ne smije iznenaditi (Rien ne doit nous surprendre) qui décrit la vie des recrues dans l’Armée populaire yougoslave. Ces deux romans ont été adaptés à l'écran. En 2009 sort son roman le plus connu, Miracle à la Combe aux Aspics. Il est actuellement chroniqueur pour le journal Slobodna Dalmacija.

 

Avis :

Parce qu’un jour son penchant pour la bouteille l’a fait s’écrouler en pleine messe, le bon curé Don Stipan s’est retrouvé muté à Smiljevo, petite bourgade perdue au fin fond de l’arrière-pays dalmate, en Croatie. Bien déterminé à ne plus dévier du droit chemin, il y est pourtant confronté à de nouvelles tentations, pour nos plus grands éclats de rire.

Car c’est à un moment de franche rigolade que nous convie l’auteur, bien connu en Croatie, pour ce premier roman satirique, adapté au cinéma en 2005 et désormais traduit en français. Parue en 2000 alors que le pays se remettait de quatre ans de guerre (1991-1995), cette joyeuse pantalonnade volontiers sous la ceinture tourne en dérision l’Église, l’État, l’armée, ou encore le patriarcat, un peu comme Don Camillo la situation politique de l’Italie après-guerre.

Sur fond de quotidien croate, que, mêlé à ses truculents et désarmants personnages, Ante Tomic nous donne à percevoir à travers la chronique des faits divers dont se régale à haute voix l’aubergiste dans son bistrot-épicerie qui sert d’épicentre au village, se déploie ainsi une farce burlesque, aux traits vaudevillesques, confrontant dans ses quiproquos grivois les aspirations à la liberté du pays, incarnées par une jeune ingénue, une veuve joyeuse et un poète incompris, aux symboles de l’autorité, férocement tournés en ridicule sous les traits d’un père autocrate – revenu enrichi après avoir émigré en Allemagne –, d’un général galant, d’un ministre de la Défense narcoleptique et, bien sûr, d’un curé naïvement en butte à toutes les tentations.

Tout cela pour ironiser, après une guerre déclenchée par la déclaration d’indépendance de la Croatie, sur ce que le mot « indépendance » peut bien vouloir dire pour la majeure partie de la population : « L’adjectif « indépendante », estimé au plus haut point et prononcé de manière solennelle uniquement à la suite du mot « Croatie », est quasiment inconnu en toute autre occasion : on ne l’utilise jamais, jamais on ne remarque son inexistence dans l’homogénéité harmonieuse de la communauté. Dans le village où trois ou quatre générations partagent le même toit, où certains atteignent l’âge de la retraite sans avoir découvert la joie du rugissement autoritaire, personne n’est jeune et indépendant. Avec un tel système de valeurs, le fait que quelqu’un soit a) jeune, b) indépendant et, par dessus le marché, c) une femme pousse toute vieille baderne un peu plus émotive que la moyenne à bouffer son propre chapeau graisseux. »

Qu’est-ce qu’un homme sans moustache n’est pas seulement follement drôle. Si l’on y rit souvent, et de vrai bon coeur, c’est aussi un récit à plusieurs niveaux de lecture, à la fois tendre et féroce à l’égard de la Croatie, de son système patriarcal et de son pouvoir très proche de la puissante Église catholique croate. Un sujet plus que jamais d’actualité, si l’on s’en réfère au mouvement d'hommes ultra-catholiques, appelé "Soyez virils", qui, chaque mois, s’agenouillent en place publique en Croatie, pour prier, comme on peut le lire dans la presse, « contre l'avortement, pour l'autorité masculine et pour que les femmes s'habillent avec modestie ». Coup de coeur. (5/5)

 

 

Citations :  

Elle n’avait jamais essayé d’appréhender le caractère et la logique de cet autocrate coléreux, et encore moins de contredire son paternel. Même à présent qu’elle était blessée et exaspérée, il ne lui venait pas à l’idée de se rebeller, comme si le comportement de son géniteur était une manière de karma cosmique. Son père était pour cette pauvre jeune fille craintive ce que les maladies et les inondations sont pour les tribus africaines ou amazoniennes : une puissance terrible et inintelligible à laquelle on doit se soumettre, se résignant à sa sauvagerie, ou que l’on doit fuir.
 

Le concept de « jeune femme indépendante », idéal sacré de tous les magazines féminins émancipés, est aux antipodes de la vision du monde des habitants de Smiljevo. L’adjectif « indépendante », estimé au plus haut point et prononcé de manière solennelle uniquement à la suite du mot « Croatie », est quasiment inconnu en toute autre occasion : on ne l’utilise jamais, jamais on ne remarque son inexistence dans l’homogénéité harmonieuse de la communauté. Dans le village où trois ou quatre générations partagent le même toit, où certains atteignent l’âge de la retraite sans avoir découvert la joie du rugissement autoritaire, personne n’est jeune et indépendant. Avec un tel système de valeurs, le fait que quelqu’un soit a) jeune, b) indépendant et, par dessus le marché, c) une femme pousse toute vieille baderne un peu plus émotive que la moyenne à bouffer son propre chapeau graisseux.
 

Le lendemain matin, ayant retrouvé son sang-froid, il se rendit chez Stanislav. Le torrent fangeux de la haine qui épouvantait son entourage s’était tari. Il se sentait l’esprit clair, la colère ne l’étouffait plus. Pendant la nuit s’était opéré un changement qualitatif que seule la science juridique saurait décrire : le crime passionnel que l’émigré avait été sur le point de commettre s’était transformé en une envie de meurtre prémédité en tout point civilisée.


 

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