lundi 27 juin 2022

[Flaten, Isabelle] Triste Boomer

 



 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Triste Boomer

Auteur : Isabelle FLATEN

Parution : 2022 (Nouvel Attila)

Pages : 200

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

« Trois mois. D’après maman, ça fait précisément trois mois aujourd’hui qu’on est enterrés dans ce fichu camp. Et ça fait presque quatre ans que j’ai quitté l’école Jacques-Prévert de Sarcelles. »

Fabien est un petit garçon heureux qui aime, le football, la poésie et ses copains, jusqu’au jour où ses parents rejoignent la Syrie. Ce roman poignant et d’une grande humanité raconte le cauchemar éveillé d’un enfant lucide, courageux et aimant qui va affronter l’horreur.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Rachid Benzine est islamologue. Il a déjà publié Les Nouveaux Penseurs de l’islam (Albin Michel, 2008) et Le Coran expliqué aux jeunes (Seuil, 2013) qui ont connu un grand succès.

 

Avis :

Après une existence insouciamment consacrée à ses succès professionnels et à un papillonnage sentimental, un homme sur le retour prend conscience du vide et de la solitude que l’âge lui réserve. Tandis que la mémoire de son ordinateur le renvoie au souvenir soudain nostalgique de ses anciennes amours, lui prend l’envie de renouer avec l’une d’elles, devenue châtelaine, avec l’espoir, qui sait, de peut-être la reconquérir.

Le synopsis est on ne peut plus classique, si ce n’est même basique. Pourtant, Isabelle Flaten nous a concocté une petite perle d’humour et d’originalité qui se déguste avec autant de plaisir que de surprise amusée. Plutôt que de laisser les deux protagonistes principaux conter leurs délicates retrouvailles, elle a confié la narration à l’ordinateur du boomer, témoin de plus en plus amer, mais privilégié, des égarements de son propriétaire, et au portrait d’un ancêtre guindé, scandalisé par la modernité des mœurs qu’il observe depuis les murs de son château désormais ouvert aux visites du public.

C’est ainsi que le récit qui prend de plus en plus allégrement la tournure d’un fantaisiste et moderne conte de fées, autour d’un prince plus très charmant et d’une Cendrillon quinquagénaire qui a sauvé son château grâce aux gains d’un jeu télévisé sur les « people », se révèle une excellente comédie, où l’auteur s’amuse d’aussi bon coeur que ses lecteurs. Pendant que dans leurs très réjouissants monologues, entrecoupés des commérages des pipelettes de voisines, un symbole de la modernité et un représentant du temps jadis commentent de manière décalée les faits et gestes de deux de nos semblables, l’histoire prend une coloration de plus en plus satirique, soulignant avec la plus grande malice nos travers contemporains : jeunisme, féminisme à tout crin et vague woke, engouement pour le développement personnel, le coaching et les thérapies alternatives, greenwashing, numérisation de nos vies…

Un délicieux moment que cette lecture enlevée, drôle et piquante, dont l’original parti pris narratif permet de nous renvoyer un très impertinent reflet de la société d’aujourd’hui. (4/5)

 

 

Citations : 

L’existence est si mal fichue que la lumière nous vient peu avant l’extinction des feux, se dit-elle. Plus Salomé vieillit, plus elle saisit ce qui lui a échappé et songe à ce parcours qui aurait pu être le sien si elle avait su comment s’y prendre. C’est ainsi, il faut de la maturité avant la cueillette. 


Déjà au IIe siècle, Claude Galien de Pergame alertait : « La femelle est plus imparfaite que le mâle pour une première raison capitale, c’est qu’elle est plus froide. » Tous les médecins s’accordent sur ce point : les organes féminins sont fragiles et influent sur le cerveau, pour preuve, il a souvent été nécessaire d’avoir recours à l’hystérectomie pour calmer les dérèglements. Dieu sait si j’évitais feu mon épouse Adélaïde de Mercueil quand elle était sujette à ses menstrues. Pardonnez ma pédanterie si j’en réfère au docteur Murat qui, en 1812, pointe « l’entier empire du viscère (l’utérus) sur les actions et affections de la femme » dans son Dictionnaire des sciences médicales. Propos corroborés dans le Dictionnaire de la médecine pratique de 1914 : « De l’orifice génital suintent en permanence des humeurs douteuses. Pour pallier cette source d’infection, rien ne remplace la semence mâle. » Or je ne m’explique pas – sinon par symptôme de dégénérescence – qu’à l’heure où plus personne n’ignore les faiblesses congénitales du sexe féminin, il leur soit accordé autant de liberté. Il est grand temps de relire Nietzsche : « Elles sont une propriété, un bien qu’il faut mettre sous clé, des êtres faits pour la domesticité et qui n’atteignent leur perfection que dans une situation subalterne. » Ou Émile de Jean-Jacques Rousseau : « Toute l’éducation des femmes doit être relative aux hommes. Leur plaire, leur être utiles, se faire aimer et honorer d’eux, les élever jeunes, les soigner grands, les consoler, leur rendre la vie agréable et douce : voilà les devoirs des femmes dans tous les temps, et ce qu’on doit leur apprendre dès leur enfance. » 


Priez, Seigneur, pour que Salomé se reprenne et qu’elle relise ses mails aussi ! C’est bien ainsi que se nomment ces missives électro-véhiculées que l’on écrit en tapant sur les petits carrés de la machine à ordiner, n’est-ce pas ? 


L’archiduchesse avait poussé l’expérience jusqu’à bannir toute forme d’autorité sous son toit et s’en remettre à cette notion chimérique de responsabilité individuelle. Faute d’instructions fermes, les domestiques se la coulaient douce, ça gobelottait sec en cuisine et le service s’en ressentait. Un soir au souper, feu son époux l’archiduc Archibald a tapé un poing si rageur sur la table qu’il a envoyé valser le râble de chevreuil sauce infecte puis exigé que son épouse se reprenne et reprenne les commandes du personnel sur-le-champ. Ce qui aussitôt fut fait. Et illustre parfaitement ce que je vous disais en préambule. Quand le maître aboie, son épouse la ferme et le monde tourne rond. Et Freud ne me contredirait pas, lui qui a énoncé dans une conférence – je ne suis plus certain de la source : « Les femmes sont intellectuellement inférieures, elles ont un surmoi plus faible, elles sont peu douées pour la sublimation, elles sont narcissiques, envieuses, rigides. »
 
 
Les littératures de tout temps, des Liaisons dangereuses au Rouge et le Noir en passant par La Dame aux camélias, regorgent de désillusions amoureuses. Certaines midinettes contemporaines exploitent le filon sans scrupules, flouent les lecteurs naïfs en concluant la romance par une happy end dans le but de les fidéliser. Et ça fonctionne, il suffit de regarder les ventes de Barbara Cartland ou des titres de la collection Harlequin. La plupart des philosophes ont été eux aussi abusés bien sûr. Mais certains esprits un peu plus éclairés que d’autres ont saisi l’ampleur de la manipulation et tenté d’avertir leur prochain. Avec maladresse pour quelques-uns ou de manière sournoise pour d’autres à cause de la censure qui sévissait à leur époque, mais il suffisait de lire entre les lignes pour décoder le message. Ainsi Søren Kierkegaard : « Il est trop peu d’en aimer une seule… En aimer le plus grand nombre possible, voilà qui est jouir, voilà qui est vivre. » L’amour sert d’enrobage au désir pour en dissimuler l’essence foutraque et multiple, ce qui confirme mon postulat de départ. Et du même Kierkegaard : « Quand deux êtres s’éprennent l’un de l’autre, il importe d’avoir le courage de rompre ; car on a tout à perdre en persistant et rien à y gagner. » Si seulement Salomé pouvait m’entendre et cesser ses sottises tant qu’il est encore temps. La notion d’amour résulte bel et bien d’un ingénieux artifice à visée productiviste pour assurer la régénérescence de la race, et en aucun cas altruiste. Oh ! je n’ignore pas qu’à l’heure actuelle, inquiet de voir son troupeau de fidèles s’évanouir, l’inventeur du Verbe entreprend sûrement mais en sourdine d’y intégrer des ouailles de toutes sortes, sans distinction d’inclinations. Il va même parfois dans certains temples jusqu’à bénir des unions que de mon temps on appelait contre nature. Jamais je n’aurais passé la bague au doigt à un galant de mon espèce, c’eût été cautionner la chimère sentimentale.
 
 
Un fléau de plus de cette foutue modernité qui forcément me rend nostalgique à mon tour de ce bon vieux temps où l’on savait encore dresser les mioches à coups de trique, par ailleurs un savoir-faire ancestral déjà inscrit dans le Livre des proverbes : « La folie est ancrée au cœur de l’enfant, le fouet bien appliqué l’en délivre » (22,15) et « Ne ménage pas à l’enfant la correction, si tu le frappes à la baguette, il n’en mourra pas » (23,13). Et me reviennent aussi ces recommandations édifiantes du cardinal et poète italien Antonio Pucci au XVIe siècle : « Quand le petit enfant fait des bêtises, corrige-le avec les verges et les paroles ; quand il aura passé sept ans, alors emploie le fouet et la ceinture de cuir. Et quand il aura plus de quinze ans, emploie le bâton et donne-lui des coups jusqu’à ce qu’il demande pardon. »


Je me suis alors aperçu à quel point le monde marchait sur la tête. Quid de l’avenir d’une femme si elle rechignait à l’enfantement, l’essence même de sa nature, la raison de sa présence sur terre, sa mission première et l’assurance de sa santé avant tout ? Pourquoi faut-il sans cesse en référer à Platon : « Chez les femmes, ce qu’on appelle la matrice ou utérus est […] un animal au-dedans d’elles, qui a l’appétit de faire des enfants ; et lorsque, malgré l’âge propice, il reste un long temps sans fruit, il s’impatiente et supporte mal cet état ; il erre partout dans le corps, obstrue les passages du souffle, interdit la respiration, jette en des angoisses extrêmes et provoque d’autres maladies de toutes sortes. » Ou encore Philippus Theophrastus Aureolus Bombast von Hohenheim, médecin, philosophe et alchimiste plus connu sous le nom de Paracelse : « Le vase qui conçoit et protège l’enfant est communément désigné sous le nom de matrice […] c’est à cause de ce vase que la femme a été constituée, et non pour la nécessité d’aucun autre membre ou partie. »


Parce que tous deux le savent, si l’amour meurt pour mille raisons, par lassitude, essoufflement, négligence, le leur allait mourir par stupidité s’ils continuaient à s’ignorer. Mais qui fera le premier pas ?

 

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