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dimanche 14 juillet 2024

[Smith, Zadie] L'imposture

 


 

 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : L'imposture (The Fraud)

Auteur : Zadie SMITH

Traduction : Laetitia DEVAUX

Parution : en anglais en 2023,
                  en français en 2024 (Gallimard)

Pages : 546

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :

Eliza Touchet est loin d’être une femme ordinaire dans l’Angleterre victorienne de la fin du XIXe siècle. Non seulement, après avoir perdu son mari, elle vit en concubinage à peine masqué avec son cousin par alliance — dont elle se retrouve contrainte de corriger les innombrables romans-fleuves écrits dans la veine de Charles Dickens, le talent en moins —, mais elle est aussi farouchement indépendante et politisée.
Abolitionniste de la première heure, Eliza s’enthousiasme pour un intrigant procès qui déchaîne les passions à Londres : Sir Roger, grand héritier de l’empire Tichborne, disparu en mer des années auparavant, a brusquement refait surface et réclame son dû. À ses côtés, un ancien esclave de la colonie jamaïcaine ayant appartenu à la famille Tichborne témoigne en sa faveur. Mais ce revenant, si grossier et inculte, peut-il vraiment être Sir Roger, comme il le clame ? Et pourquoi cet homme noir prend-il ainsi sa défense ?
Avec L’imposture, Zadie Smith nous entraîne vers un monde victorien fascinant où réalité et fiction se mêlent dans un style très vivant. Au cœur de ce roman historique aux résonances très actuelles naît une grande héroïne qui ose se confronter au passé colonial brutal de l’Angleterre.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Zadie Smith, née à Londres en 1975, a la double nationalité britannico-jamaïcaine. Son premier roman, Sourires de loup, paru en 2001, a connu un succès phénoménal. Ont suivi notamment L’homme à l’autographe (2005), De la beauté (2007), Ceux du Nord-Ouest (2014), Swing Time, élu roman étranger préféré des libraires en 2018 (palmarès Livres Hebdo), Grand Union (2021) et Feel Free (2023), un recueil d’essais. L’imposture signe son retour très attendu au roman, et a été encensé dès sa parution en Grande-Bretagne.

 

Avis :  

Britannique de mère jamaïcaine, Zadie Smith investit pour la première fois le roman historique pour évoquer les hypocrisies d’une Angleterre victorienne que son moralisme affiché n’a pas empêchée, entre autres, de s’enrichir de l’esclavage dans ses colonies.

Les dessous véritables de cette société en apparence si à cheval sur la morale et les conventions, c’est une femme, contrainte sa vie durant de masquer son intelligence et ses idées avancées dans un milieu patriarcal misogyne, qui s’en fait ici le révélateur. Cousine par alliance du romancier William Harrison Ainsworth, la vraie Eliza Touchet fut sa gouvernante, sa correctrice et la brillante hôtesse de ses soirées littéraires, prisées par Dickens et le gratin des auteurs de l’époque. Se glissant dans sa peau en trichant un peu sur les dates pour les besoins de l’intrigue, Zadie Smith en fait un personnage de fiction lucide et sans illusions, dont les commentaires acérés dessinent en creux une société anglaise hypocritement stratifiée, sous ses faux-semblants moraux, autour de la suprématie blanche et masculine de ses classes aisées.

Veuve laissée sans ressources par son défunt mari, Eliza n’a d’autre choix que de faire profil bas pour bénéficier de l’hospitalité de son cousin. Brillante et de fort tempérament, elle est vite devenue, même si tenue pour transparente en tant que femme, la clef de voûte de la maisonnée. Intendance, mais aussi révision des romans aussi insipides que caricaturaux d’un écrivain pourtant bouffi de prétention – se gargarisant de faire partie de la coterie intellectuelle et littéraire de l’époque, il ne fait que propager les idées toutes faites de son milieu, se plaisant par exemple à dépeindre une Jamaïque exotiquement idéalisée à cent lieues des sordides réalités de l’esclavage sucrier –, et enfin secrète béquille affective – un grand amour lesbien assez vite réprimé la lie d’abord à la première Madame Ainsworth, avant qu’elle ne devienne cette fois la maîtresse à tendance sado-masochiste de Monsieur Ainsworth – : c’est tout l’envers du décor que, elle-même obligée par son statut de se draper, à l’inverse de sa nature et de son rôle réel, de modestie et d’invisibilité, elle gère dans l’ombre pour permettre au maître de maison de briller sans vergogne, convaincu de sa légitime supériorité de gentleman.

Tout accoutumée qu’elle soit à se réfréner silencieusement pour se conformer aux attentes sociales, elle est d’autant plus fascinée par les initiatives militantes, comme le boycott du sucre, qu’en cette première moitié de XIXe siècle, quelques poignées de femmes ont choisi de mener en faveur de l’abolitionnisme. Mais, c’est en approchant le témoin clé de l’affaire Tichborne – dont le réel et retentissant procès, symbole de la revanche des classes laborieuses, passionna le pays dans les années 1860 et 1870 – qu’elle découvre le vrai visage, bien loin de ce que l’on en présente alors couramment, de la production sucrière jamaïcaine. Cet homme, Andrew Bogle, esclave dans une plantation anglaise en Jamaïque, fut serviteur chez les Tichborne, une famille aristocratique dont l’héritier disparu dans un naufrage réapparaît quelques décennies plus tard sous les traits d’un boucher à l’accent cockney venu d’Australie. L’imposture semble flagrante, pourtant le procès s’éternise et enflamme la société victorienne. L’histoire personnelle de Bogle obtenue en confidence servira de déclencheur chez Eliza. Bien décidée cette fois à ne faire aucune concession avec la vérité, cette femme contrainte à la dissimulation sa vie durant choisira l’écriture pour libérer sa voix et enfin sortir de sa propre imposture.

Avec ses chapitres courts rivalisant d’esquives entre réalité et fiction en incessants allers-retours temporels, L’imposture empile mensonges et faux-semblants à tous les étages, collectifs comme individuels, pour dénoncer ces complexes et honteux phénomènes de société finissant par parer le plus vil et le plus inacceptable 
en l’occurrence l’esclavage mais aussi toutes les formes de sujétion, sexiste et sociale  des couleurs d’une moralité naturelle et sereine. (4/5)

 

Citations : 

Au fil des ans, elle était parvenue à la conclusion qu’il était inutile de se dresser contre l’ignorance crasse, de même qu’on ne pouvait reprocher à un nourrisson non baptisé de ne pas connaître le Christ. « S’il savait ce que je sais, il ressentirait ce que je ressens », voilà ce qu’elle se répétait souvent pour rester saine d’esprit.
 

C’était peut-être à cause de ce que les vieilles femmes appelaient « le changement ». Une illusion féminine particulière, à ne pas prendre au sérieux, mais apparemment impossible à éviter. Dans l’esprit de Mrs Touchet, cela constituait la dernière haie à franchir dans le steeple-chase imposé aux dames :  
Les humiliations vécues en tant que filles.
Le tri entre les belles, les ordinaires et les laides.
La crainte de finir vieille fille.
Les épreuves du mariage ou de la maternité – ou bien leur absence.
 La disparition de cette beauté autour de laquelle tout semblait tourner.
Le changement de vie.
 

Elle ne pouvait que constater qu’avec l’âge, les frontières tracées autour de sa personne s’estompaient et fluctuaient. Alors que chez beaucoup de gens de sa connaissance, les hommes notamment, les frontières ne faisaient que se renforcer. Ils édifiaient de nouvelles barrières, voire des murs, ou des créneaux. Eliza ne manquait jamais de se féliciter de cette différence.


 

mercredi 1 mai 2024

[Tremain, Rose] Lily

 




J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Lily

Auteur : Rose TREMAIN

Traduction : Françoise du SORBIER

Parution :  en anglais en 2021
                   en français en 2023 (JC Lattès)

Pages : 336

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :

Londres, 1850. Par une nuit glaciale, un bébé est abandonné devant les grilles d’un parc. Sauvée par un jeune policier, la petite fille est emmenée à l’hospice des Enfants trouvés. Après des années d’un traitement cruel et brutal, Lily retrouve sa liberté dans le Londres de l’époque victorienne. Pourtant elle cache un terrible secret…
Quand Lily et le policier se rencontrent à nouveau, elle est convaincue qu’il détient la clé de son bonheur. Mais ne pourrait-il tout aussi bien être celui qui découvrira son crime, la condamnant ainsi à mort ?
Avec Lily, Rose Tremain explore avec brio les thèmes du rejet et de la culpabilité dans une remarquable fresque qui laisse place à la rédemption comme à la vengeance.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Rose Tremain, une des plus grandes romancières anglaises contemporaines, a remporté de prestigieux prix littéraires, dont le Femina Étranger pour Le Royaume interdit et le Orange Prize pour Retour au pays. Elle a été anoblie par la reine.

 

 

Avis :

Lily a dix-sept ans et rêve la nuit du gibet qui l’attend. Elle a commis un meurtre et, assaillie par la culpabilité et l’angoisse, redoute à chaque instant d’être découverte, en même temps qu’elle espère presque le soulagement des aveux. Alors sa courte vie lui revient en flash-back...

Abandonnée à la naissance, en 1850, aux portes d’un parc londonien, Lily est sauvée du froid et des loups par un jeune policier qui la dépose au Foundling Hospital, cet établissement créé par un philanthrope un bon siècle plus tôt pour recueillir les enfants trouvés. Conformément à la règle de l’institution, le bébé est confié à une nourrice à la campagne, avant de revenir à l’orphelinat six ans plus tard. Brutale et impréparée, la transition est rude entre le cadre aimant et rassurant de cette famille paysanne que Lily avait cru sienne, et la sévérité dépourvue d’humanité des surveillantes, convaincues de devoir mater « des animaux sauvages » nés de « mères dénaturées ».

Aussitôt surnommée « Miss Désobéissance », la fillette devient la cible privilégiée de la plus terrible de ces femmes, Nurse Maud, auteur intouchable de multiples sévices, répétés sa vie durant sur des générations d’enfants jusqu’à ce que parfois mort s’ensuive. Placée à l’adolescence chez une perruquière du demi-monde, Lily reste obsédée par les trois grands marqueurs de son existence : le mystère de sa naissance, l’affection perdue de sa nourrice et la cruauté criminelle de sa tortionnaire. Au point de se rendre coupable du pire, juste au moment où le policier qui la sauva réapparait dans sa vie…

S’inspirant librement de l’histoire du Foundling Hospital pour nous immerger dans l’Angleterre victorienne de Dickens et des soeurs Brontë, Rose Tremain nous propose un récit, fidèle à la tradition romantique, qui fait la part belle à la sensibilité et aux sentiments, au travers d’une héroïne déchirée entre sa conscience et sa volonté de vengeance, entre sa culpabilité et ses espoirs de rédemption, et bien sûr, par les affres d’un amour impossible. Par son abandon, Lily se retrouve coincée dans d’inextricables limbes, comme si pas véritablement née au monde : d’un côté, l’affreuse Nurse Maud, incarnation du Mal absolu, décidée à entraîner au fond de l’enfer cette proie condamnée par un rejet originel ; de l’autre, une mosaïque de personnages tous bons et aimables malgré les duretés de leur quotidien, représentations de ce monde désirable duquel son statut d’enfant abandonnée l’a irrémédiablement chassée. Pour détruire le Mal, Lily devra se compromettre à son tour, se fermant possiblement à jamais le Paradis d’Amour dans lequel elle espérait enfin entrer.

Alors, condamnation ou rédemption, mise au rebut définitive ou nouvelle chance ? Ce sera au lecteur de choisir d’ouvrir ou de fermer la porte laissée entrebâillée à la fin du roman… (4/5)

 

 

Citations :

Elle essaya de se retourner, d’appeler Nellie. Une main se plaqua sur sa bouche et la surveillante lança d’une voix méprisante :
— Pas de ça ! Nous ne tolérons pas la sentimentalité. Vous êtes l’enfant d’une mère dénaturée et vous devriez remercier à genoux Notre Seigneur Jésus d’avoir été sauvée grâce à nous. C’est tout ce à quoi vous devez penser désormais : que vous avez été sauvée.
Lily essaya encore de se retourner et de se libérer de l’étreinte de sa gardienne, de courir vers l’endroit où était allée Nellie avec son panier de jonc et la couverture de laine au crochet, mais elle ne la vit pas.
— Ça suffit ! dit la surveillante. Elle est partie et vous ne la retrouverez pas. Il n’y a pas d’adieux émus ici. Nous les interdisons. Votre mère nourricière a fait son devoir, c’est tout. Maintenant, elle prend en charge un autre bébé et vous serez oubliée.


Pendant qu’elles s’occupaient à empeser les délicates guimpes blanches, les religieuses se mirent à leur poser des questions sur l’hospice des Enfants trouvés, la façon dont s’y déroulaient les journées. Et quand Bridget déclara : « Personne ne nous aime, là-bas », elles tendirent leurs mains rougies par la vapeur, lui effleurèrent la tête et dirent : « Vous ne devez pourtant pas en souffrir, car Dieu est amour et cela doit vous suffire. »

 

 

Du même auteur sur ce blog :

 
 

 


 

samedi 25 février 2023

[Collins, W. Wilkie] Passion et repentir (La morte vivante)

 



J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Passion et repentir
            (La morte vivante)
            (The New Magdalen)

Auteur : W. Wilkie COLLINS

Traduction : Eric CHEDAILLE

Parution : en anglais en 1873,
                  en français en
2007 (Phébus)

Pages : 352

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :     

Sur le front franco-allemand, pendant la guerre de 1870, le hasard réunit deux jeunes Anglaises. Lorsqu’un obus frappe l’une d’entre elles l’autre décide aussitôt d’usurper son identité pour rompre avec un passé infamant et vivre enfin une vie meilleure. Au début, tout se passe pour le mieux. Mais, très vite, les événements vont prendre un tour inattendu… On peut faire confiance au génial Collins (1824-1889), rival et ami de Dickens, pour nous concocter une nouvelle fois un suspense diabolique et mettre à vif les nerfs de ses lecteurs. Ce féministe convaincu nous donne ici un de ses plus beaux portraits de femmes : celui de Mercy, pécheresse repentie et amoureuse, confrontée à toutes les bassesses et à toutes les hypocrisies de la bonne société victorienne, mais qui finit néanmoins par accepter les plus durs sacrifices pour faire triompher le bon droit et la vérité. Ce roman, jamais encore traduit en France, ravira tous les fans de l’auteur, qui y retrouveront les qualités inimitables de Pierre de lune et de La Dame en blanc. Un inédit à déguster d’urgence !

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

« Il a introduit dans l’'espace romanesque les plus mystérieux des mystères : ceux qui se cachent derrière nos propres portes. » Cet éloge du grand Henry James s'’adresse à William Wilkie Collins, considéré comme le précurseur du roman policier anglais et, plus largement, comme l’'inventeur du thriller. William Wilkie Collins est né à Londres en 1824. Soumis dès son enfance aux délires d’'un père tyrannique (le peintre paysagiste William Collins), il se réfugie très tôt dans l’'écriture, ce qui a le don d'’irriter son géniteur, lequel met tout en oeœuvre pour tuer dans l’œ'oeuf cette « vocation absurde » : on envoie le rebelle se former à la dure comme apprenti dans une fabrique de thé, puis on l’'oblige à faire son droit. Même après sa mort, la figure du père continuera de tourmenter l’'écrivain en exigeant par testament, et comme clause nécessaire pour hériter, qu'’il lui consacre une « biographie officielle ». Ce devoir accompli en 1848, William Wilkie Collins intègre en 1852 la revue Household Words dont s'’occupe Charles Dickens avec lequel il partage une passion commune pour le théâtre. Ces premières tentatives littéraires ne connaissent qu'’un succès d'’estime. Une nuit d'’été 1855 pourtant, alors que Wilkie Collins, son frère Charles et le peintre Millais passent devant la grille d'’une grande maison de Londres, une jeune femme en blanc, très belle, les supplie de lui venir en aide avant de disparaître. Fasciné, Collins mène l’'enquête pour découvrir que cette femme, Caroline Graves, est séquestrée avec son bébé par un mari à demi-fou. Il la délivre et sera son amant jusqu’à sa mort. Ce qui aurait pu rester un fait divers romanesque inspire à Wilkie Collins l'’intrigue de son premier chef-d'oe’œuvre, La Dame en blanc, publié en feuilleton dans All the Year Round de novembre 1859 à octobre 1860. Le public ne s’'y trompe pas : le succès est énorme et la foule s’'arrache chaque livraison. Les romans qui suivront confirmeront le talent de conteur de William Wilkie Collins qui touche à la consécration avec Pierre de lune publié en 1868 et dont il se dit qu'’il inspira fortement Charles Dickens pour son roman inachevé The Mystery of Edwin Drood. En proie à d’'intenses souffrances nerveuses, de plus en plus dépendant de l'’opium, Wilkie Collins se retire pourtant peu à peu de la scène publique et termine sa vie en reclus. Il meurt en 1889.

 

 

Avis :

Parce qu’ils traitaient de thèmes choquants, comme ici la prostitution, dans un milieu bourgeois qui, à l’époque victorienne, s’en pensait totalement préservé, les livres de Wilkie Collins furent qualifiés de « romans à sensation », un genre nouveau préfigurant le roman policier et le roman à suspense. C’est en effet peu de dire qu’entre usurpation d’identité, vengeance et amour impossible, cette histoire à rebondissements réserve bien des surprises et des émotions, dans une mise en scène mêlant drame et vaudeville pour une acide critique sociale.

Une jeune Anglaise, infirmière volontaire sur le front franco-allemand de 1870 pour échapper à son passé, décide d’usurper l’identité de l’une de ses compatriotes, fauchée lors d’un bombardement. Rebaptisée Grace Roseberry, la voici introduite auprès de la riche et vieille Lady Janet Roy, dont, de lectrice et dame de compagnie, elle devient bientôt la fille adoptive, promise à un beau mariage. Tout à ses rêves d’une vie enfin meilleure, libérée de la réputation d’infamie qui lui collait à la peau après une enfance et une adolescence marquées par la misère et par la déchéance, elle ignore encore, contrairement au lecteur qui détient une information capitale, qu’elle n’en a pas fini avec l’ancienne Mercy Merrick...

En vérité, bien plus que la cascade d’événements contraires qui, instaurant un suspense implacable, vont venir menacer sa position nouvellement acquise, ce sont les scrupules et la mauvaise conscience de la jeune femme qui ne tardent pas à empoisonner son existence. Et tandis que, non sans rappeler le théâtre, la mise en scène enchaîne péripéties et quiproquos sur le rythme vif de ce qui aurait pu se transformer en comédie vaudevillesque si les déchirements de Mercy n’avaient définitivement donné au récit le ton d’une tragédie, le véritable propos de Wilkie Collins s’affirme bien vite une virulente critique des hypocrisies bien-pensantes de la si corsetée société victorienne.

L’on s’apercevra de la véritable nature des êtres derrière les masques, la femme déchue devenue usurpatrice démontrant une noblesse de coeur en tout point plus admirable que la terrible et suffisante bassesse confite sous la noblesse de titre. « Quel beau mérite de vivre honorablement quand votre existence n’est qu’une suite de biens et de jouissances ? » Coincée dans le rôle d’une pécheresse par les circonstances et l’injustice, la droite et scrupuleuse Mercy triomphera-t-elle des préjugés mesquins d’une bonne société qui confond convenances et moralité, et qui, dans sa présomptueuse tartuferie, s’autorise en toute bonne conscience les comportements les plus abjects ?

Dans la langue si joliment tournée et délicieusement surannée du XIXe siècle, Passion et repentir est un classique au suspense terriblement addictif, non dénué d’humour dans sa mise en scène, parfaite pour le théâtre, d’une tragédie née des hypocrisies morales de la société victorienne. L’on pourra aisément faire le parallèle avec le quasi contemporain La lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne, dénonçant quant à lui, également à propos d’une histoire de moeurs, l’hypocrisie du puritanisme américain. (4/5)

 

 

Citations : 

« Comment pouvez-vous raisonnablement penser, demanda-t-il, que ce soient les journaux qui aient causé la guerre ? 
– Ils en sont tout à fait responsables, répondit Lady Janet. – Quoi !… vous ne comprenez donc pas le siècle, dans lequel vous vivez ! Est-ce que personne fait quelque chose aujourd’hui, y compris la guerre, sans désirer que les journaux en parlent ? Ce qu’on fait en vue des journaux ?… Mais tout cela se conjugue : Je souscris à une œuvre de charité ; tu donnes une attestation ; il prononce un discours ; nous souffrons d’une douleur ; vous faites une découverte ; ils vont à l’église et s’y marient. Eh bien, je, tu, il, nous, vous, ils, tous ne veulent qu’une seule et même chose… qu’on s’occupe d’eux dans les journaux. Rois, soldats, diplomates, font-ils exception à la règle générale de l’humanité ? Pas le moins du monde ! Je vous le dis sérieusement, si les journaux d’Europe avaient les uns et les autres résolu de ne pas faire la plus petite allusion imprimée à la guerre entre la France et l’Allemagne, c’est ma ferme conviction que la guerre aurait pris fin depuis longtemps déjà faute d’encouragement. Que la plume cesse de faire des réclames au sabre, et le sabre se remettra au fourreau. Pas de comptes rendus…, plus de combats. 

– Vos idées ont au moins le mérite d’être d’une nouveauté piquante, Lady Janet, dit Horace, trouveriez-vous quelque inconvénient à les voir exposées dans les journaux ? 
 
 
Cela me fait pitié, se disait-elle, d’entendre vanter la vertu de femmes qui n’ont jamais su ce que c’est que la tentation ! Quel beau mérite de vivre honorablement quand votre existence n’est qu’une suite de biens et de jouissances ? Sa mère a-t-elle connu le dénûment ? Ses sœurs ont-elles été abandonnées dans la rue ?


Le domestique attendait toujours, non comme un être humain qui prend intérêt à ce qui se passe, mais comme il convient à un véritable valet de chambre, c’est-à-dire un objet mobilier artistement construit pour se mouvoir, aller et venir au moyen d’un ressort.  
Julian toucha le ressort, et, s’adressant à l’automate qui portait le nom de James :  
« Où est cette dame à présent ? demanda-t-il.  
– Dans la salle à manger, monsieur.  
– Bien. Attendez au dehors jusqu’à ce que je sonne. »  
Les jambes du meuble vivant le portèrent sans bruit hors de la chambre.  
Julian se tourna vers sa tante.


Julian avait encore à apprendre que le courage d’une femme est chose mobile et diverse, suivant la diversité des circonstances.
Demandez-lui de traverser avec vous un pré où paissent des génisses, et, neuf fois sur dix, elle refusera tout net.
Demandez-lui, sur un navire en feu, de donner un exemple de courage même aux hommes qui se désespèrent et qui pleurent, et il est certain, neuf fois sur dix, qu’elle sera héroïque.

 

vendredi 16 septembre 2022

[Fajardo, José Manuel] Haine

 




J'ai aimé

 

Titre : Haine (Odio)

Auteur : José Manuel FAJARDO

Traducteur : Claude BLETON

Parution : en espagnol en 2020
                   en français en 2021 (Métailié)

Pages : 112

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

La haine que nous voyons se déchaîner sur les réseaux sociaux n’a rien de neuf, elle utilise juste de nouveaux canaux techniques. Ce court roman nous amène à distinguer ses invariants à travers la puissance de la littérature.

Au XIXe siècle, dans les rues de Londres plongées dans le brouillard et la misère, se promène un fabricant de cannes aigri, ne trouvant aucune reconnaissance sociale, qui va s’enfoncer de plus en plus dans les bas-fonds de la ville.

Au début du XXIe siècle, dans la banlieue parisienne, nous assistons à la transformation d’un jeune homme frustré et incapable d’affronter les autres autrement que par la colère et la violence.

La mise en miroir de ces personnages révèle l’image des démons de la haine de l’autre à travers deux époques, les tire de l’anonymat, et montre les traces de leurs chemins cachés et mortifères parmi nous. L’auteur se livre à un exorcisme littéraire de notre époque. Un texte fort, pertinent et original.

  

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

José Manuel FAJARDO est né à Grenade en 1957. Journaliste et historien de formation, il a vécu au Pays basque, en France et au Portugal. Il est l’auteur, entre autres, de Lettre du bout du monde, Les Imposteurs, Les Démons à ma porte et L’Eau à la bouche, ainsi que d’essais historiques. Il est le traducteur de Céline.

 

 

Avis :

Jack Wildwood est fabricant de cannes dans le chaud et misérable quartier de Soho, à Londres, au XIXe siècle. Coincé dans un impossible intermédiaire entre la lie des bas-fonds mal-famés où il réside et le luxe superbement méprisant de ses clients aux mœurs par ailleurs passablement corrompues, il sent chaque jour grandir sa rancoeur et son dégoût d’autrui. Harcha vit de nos jours dans une zone pestiférée de la banlieue parisienne. Enfant d’immigrés algériens, il est en proie à une révolte croissante, lui que le déterminisme social et les préjugés raciaux renvoient sans échappatoire à l’humiliation, au rejet et à la pauvreté de sa cité ghetto. Une pichenette du destin suffit à les faire basculer, l'un comme l'autre, dans la violence.

Deux hommes, deux époques, mais un dénominateur commun : la haine, née de la frustration et de la colère. Jack et Harcha se trouvent tous deux à une croisée de chemins décisive. Alors qu’ils aspirent de toutes leurs forces à s’extirper du monde d’en-bas, dont ils côtoient avec effroi l’infernale indigence et les maux associés, celui d’en-haut, indifférent à leur cruelle désillusion, les repousse avec mépris du mauvais côté du miroir. En porte-à-faux dans une société qu’ils estiment ne pas leur concéder de juste place, en mal d’identité comme de reconnaissance, ils s’emplissent peu à peu d’une rage entretenue par le désespoir, l’injustice et l’humiliation, qui ne demande bientôt plus qu’une étincelle pour exploser. Et puisque ce monde ne mérite que leur dégoût, Jack et Harcha vont chacun tenter de le punir et de le purifier à leur manière : nous sommes à la veille de la longue série de crimes de Jack l’Eventreur à Londres, et des attentats terroristes de 2015 à Paris.

Le texte est court, efficace, presque clinique. Si le parallèle entre ces personnages séparés de deux siècles a de quoi surprendre, il a le mérite d’illustrer, on ne peut plus clairement, comment le sentiment d’exclusion et la rancoeur à l’égard d’une société perçue comme déviante et injuste, peut engendrer de réactions violentes et destructrices. Ce qui différencie les deux époques est que ce qui restait le coup de folie d’un individu au XIXe siècle, peut faire aujourd’hui boule de neige au travers des réseaux sociaux, ces poings levés se retrouvant aisément armés par d’opportunistes manipulateurs. En tous les cas, à y regarder de plus près, force est de constater que, loin de subir d’exogènes attaques ennemies, c’est en son propre sein que la société occidentale forge les facteurs de la violence qui la frappe de nos jours.

Rien de tel que les images fortes pour supporter un propos. A priori incongru, le parallèle historique choisi par l’auteur permet d’envisager sous un jour éclairant la fragilité de certains esprits face aux manipulations à but terroriste. Et comme à cet intérêt s’adjoint le plaisir d’un texte bien écrit et truffé de références littéraires, l’on aurait bien tort de bouder ce surprenant petit livre. (3,5/5)

 

Citations :

À la tombée de la nuit, la ville plongeait dans un épais brouillard qui semblait plutôt monter du fleuve que tomber du ciel, une purulence de ses eaux pestilentielles, un brouillard qui rampait dans les ruelles et virait au jaunâtre, comme s’il prélevait au passage la crasse des quais et des quartiers portuaires, malgré les derniers rayons du soleil qui lui arrachaient encore quelques éclats de cuivre trompeurs. À l’aube, sa densité était oppressante et avec l’arrivée du matin il se transformait paresseusement en brume légère qui ne s’évaporait que lorsque la journée était bien avancée. Londres devenait alors une ville concrète, réelle, si réelle qu’elle en devenait insupportable. Pour cette raison sans doute, les habitants des quartiers les plus pauvres finissaient par apprécier la brume qui enveloppait leurs nuits. Elle était la mère sévère qui les emmitouflait et occultait les misères de leur vie, une ardoise sur laquelle ils pouvaient dessiner leurs rêves en attendant que le soleil soulève le voile au matin et que la ville, populeuse, fébrile, aussi bouillonnante qu’une marmite que les eaux de la Tamise ne pouvaient refroidir, montre son visage féroce. Une ville auréolée d’un halo de corruption, qui flottait avec une densité particulière sur les bâtiments noirs de crasse de Soho, une deuxième brume invisible au regard, mais perceptible aux émois de la peau, qui se hérissait au spectacle de ses rues

Sa haine était devenue aussi naturelle que sa respiration, un sentiment dépourvu de toute connotation morale, une seconde peau dont il n’avait même pas conscience.


 

vendredi 18 décembre 2020

[O'Connor, Joseph] Le bal des ombres

 


 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Le bal des ombres (Shadowplay)

Auteur : Joseph O'CONNOR

Traductrice : Carine CHICHEREAU

Parution : en anglais (Irlande) en 2019
                   en français en 2020 

Editeur : Rivages

Pages : 550

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Joseph O'Connor rejoint le catalogue des Editions Rivages après de longues années passées chez Phébus, où il était l'un des auteurs emblématiques. Grand romancier irlandais, il revient à la veine historique qui a fait son succès avec ce roman malicieux sur la vie de Bram Stoker, le créateur du mythique Dracula. Mais il refuse toute biographie romancée trop linéaire et se lance dans une fiction inventive, surprenante, qui évoque aussi une figure légendaire du théâtre anglais, l'actrice Ellen Terry, sorte de Sarah Bernhardt londonienne, figure féministe et puissante. Roman d'amour, roman sur les mystères et les errances de la création, ce texte est une célébration de l'Art de raconter et de vivre des histoires.

  

Un mot sur l'auteur : 

Né en 1963, Jospeh O'Connor commence sa carrière comme journaliste, avant de devenir écrivain. Il est aujourd'hui considéré comme une figure de la littérature irlandaise contemporaine.

 

 

Avis :

En 1878 à Londres, le grand tragédien Henry Irving reprend le Lyceum Theatre, alors en piteux état. Il en confie l’administration à celui qui deviendra son bras droit, Bram Stoker, futur auteur de Dracula, et engage dans sa troupe la plus célèbre actrice anglaise de l’époque, Ellen Terry. Le trio, bientôt inséparable, s’acharne à redresser l’établissement et s’achemine peu à peu vers une réussite suffisamment retentissante pour s’exporter outre-atlantique. Bram Stoker désespère toutefois de rencontrer un jour le succès littéraire…

Loin de la biographie linéaire, ce récit foisonnant ressuscite ses personnages historiques avec le plus grand naturel, recréant la chair et l’émotion autour du squelette des faits réels, dans une évocation d’autant plus crédible qu’elle nous baigne en même temps dans une magistrale restitution du Londres victorien. L’ambiance du roman est ainsi particulièrement prégnante, tant celle, brumeuse et polluée, de la capitale anglaise, pas tout à fait aussi scandalisée du procès d’Oscar Wilde que terrifiée par l’ombre de Jack l’Eventreur, que celle, effervescente et passionnée, d’un théâtre de la fin du XIXe siècle aux mains de personnalités explosives aux égos démesurés.

Au fur et à mesure du parcours des trois protagonistes principaux, entre doute et ambition, ombre et lumière, le texte prend une teinte de plus en plus mélancolique pour le lecteur témoin de leur ascension puis de leur vieillissement, et, globalement, du curieux cheminement qu’emprunte parfois la gloire, tantôt capricieuse, tantôt généreuse, souvent inaccessible et même ironiquement tardive, lorsque, posthume, elle vient couronner un homme finalement convaincu de son insignifiance et mort dans un hospice pour indigents.

Fresque historique, histoire d’amour et d’amitié, récit gothique et odyssée autour du mystère de la création, ce roman aux multiples facettes tient l’intérêt éveillé de bout en bout. Il réussit à émouvoir quant au dépassement de la finitude humaine par l’immortalité de l’oeuvre passée à la postérité. (4/5)


Citations :  

« Jouer la comédie, c’est ma profession, ce qui me nourrit. Mais l’art est aussi spirituel, c’est une chambre secrète de l’âme. Il est difficile de savoir où elle se trouve, ou encore où se trouve la clef qui en ouvre la porte, par conséquent parfois il faut briser cette porte avec violence. Voilà ce que signifie avoir du style. C’est la force. Une fois entré dans son propre style, les proportions changent. La pièce peut se transformer en n’importe quel lieu : une forêt, un océan, une cellule de prison, le monde des fées, un nombre de sphères tournant l’une à l’intérieur de l’autre, tout cela en même temps, chacune sur un axe dont l’autre ne sait rien. En tout cas, voilà comment on voit les choses ici. Être un artiste, c’est savoir que les fantômes existent. »

Jamais assez de temps pour aller jusqu’au bout d’une histoire. Jamais assez d’argent pour prendre le temps d’y réfléchir. L’argent est tout. Il ne le savait pas auparavant. Ce dont un écrivain a besoin, c’est de temps, d’avoir la permission d’échouer s’il le faut, de s’abstraire des tourments que vous inflige la nécessité de payer un loyer. L’argent est une fiction, mais elle est tout de même nécessaire. C’est la seule fiction qui existe.

Vous savez, être comédien, ce n’est pas faire semblant d’être quelqu’un d’autre, mais trouver l’autre en nous, et le mettre en avant. Ça n’a rien de compliqué, les enfants le font ; vous n’avez qu’à les regarder lorsqu’ils jouent. Ce n’est pas paraître, c’est être. Je l’ai appris dans mon enfance, mon père était un comédien itinérant qui jouait la pantomime. Jamais il ne me disait : « Joue à être une fée. » Non, il me disait : « Aujourd’hui, tu es une fée, Len. Envole-toi. »

Le neuvième cercle de l’enfer de Dante, la fosse la plus profonde, est réservée aux pécheurs les plus infâmes, traîtres à ceux qui les ont bien traités, qui dans le donjon d’Hadès le plus sale, le plus brûlant, souffre l’éternelle dégradation des ingrats. S’il existait un dixième cercle, il serait réservé aux seules créatures encore plus méprisables et impardonnables : les auteurs qui font la promotion de leurs propres ouvrages.

Quand on est jeune, on n’imagine pas que le temps soit une monnaie. Plus tard, on s’aperçoit qu’on n’a plus grand-chose sur son compte.

– Ah, c’est pour ça qu’existent les histoires, Nolly. Pour savoir ce que ça fait d’être une autre personne.  
– Pourquoi voudrait-on cela ?  
– Parce que parfois c’est éreintant d’être soi.

– Vous savez ce que mon vieux père disait à propos du mariage, Mr Stoker ? Tu as le droit de regarder dans la vitrine du bijoutier, à condition de ne pas la casser pour tout rafler.

Ce qu’ils appellent la vie est un vaisseau fantôme. Ce vaisseau compte bien des cabines. Des petites. Des grandes. Certaines sont destinées aux princes. D’autres aux pauvres. Elles sont innombrables. Il y en a toujours une autre. Voilà comment ils échappent à la prison du moi. Pour voir le monde à travers le hublot de la cabine d’un autre.

 Il n’aime pas se souvenir, trop de douleur, de déceptions. Il est important de se maintenir à flot, les yeux braqués sur l’horizon, toujours. Le passé est un fou qui se noie ; lancez-lui une corde, il vous entraînera avec lui.



Du même auteur sur ce blog :  

 
 

 

 

vendredi 6 septembre 2019

[Cox, Michael] Le livre des secrets. La vie cachée d'Esperanza Gorst





Coup de coeur 💓

 

Titre : Le livre des secrets. La vie cachée
           d'Esperanza Gorst (The Glass of Time)

Auteur : Michael COX

Traducteurs : Jean et Claude DEMANUELLI

Parution : 2008 en anglais
                2009 en français (Seuil)

Pages : 588

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :   

Paris, 1876. Esperanza Gorst, jeune orpheline de dix-neuf ans, choyée par sa mère adoptive et par son précepteur, est chargée par ses bienfaiteurs d’une étrange mission : se rendre en Angleterre dans la grande demeure d’Evenwood pour y devenir la femme de chambre de la baronne Emily Tansor et gagner sa confiance.

Car en vérité, la tâche d’Esperanza est de découvrir les secrets sombres et inquiétants que sa nouvelle maîtresse dissimule, des secrets qui puisent leur origine dans une grave injustice commise vingt ans plus tôt et à laquelle les propres intérêts d’Esperanza sont liés. Bientôt, la baronne tombe sous son charme et aspire à devenir son amie. Mais la jeune fille ne perd pas de vue son plan et mène une enquête minutieuse dont elle consigne les moindres détails, à l’intention de ses protecteurs bien-aimés, dans son «Livre des secrets».

Peu à peu, les dissimulations de Lady Tansor sont révélées au grand jour tandis qu’Esperanza est prise dans un réseau compliqué d’intrigues, de mensonges, de meurtres et de trahisons.

Les fils de l’intrigue sont si habilement noués que le lecteur adorera ce «vingt ans après» sans avoir lu le premier volet, La Nuit de l’infamie.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Né en 1948 dans le Northamptonshire, Michael Cox est mort le 31 mars 2009. Il avait été responsable des livres de référence chez Oxford University Press et était l’auteur d’un certain nombre d’ouvrages et d’anthologies remarqués. Le Livre des secrets est le second volet de La Nuit de l’infamie (Seuil, 2008).

 

 

Avis :

1876 en Angleterre. Vingt ans se sont écoulés depuis l’épilogue du premier volet de cette histoire, La nuit de l’infamie. On en retrouve avec plaisir les protagonistes, dans cette suite qui peut être lue indépendamment, même si l’on en apprécie sans doute mieux les détails avec le premier tome en tête.

La narratrice est cette fois Esperanza Gorst. La jeune femme vient de se faire engager comme femme de chambre de la baronne Tansor, actuelle propriétaire du domaine d’Evenwood. Elle devient vite indispensable à son impérieuse maîtresse et prend bientôt une place grandissante au sein du manoir. Mais qui est-elle vraiment ? Au fur et à mesure de sa familiarisation avec les habitants d’Evenwood, au fil des informations que ses tuteurs lui adressent peu à peu maintenant qu’elle approche de sa majorité, elle découvre, en même temps que le lecteur, les secrets longtemps cachés qui lui permettront peut-être d’accomplir son destin, et, enfin, de réparer les torts subis par le narrateur de La nuit de l’infamie.

Ce second opus ne dépare pas le premier : on s’y délecte tout autant du style classique d’écriture rappelant les grands auteurs du dix-neuvième siècle, de la construction habile et tortueuse de l’histoire qui entretient le mystère tout au long de ces nouvelles six cents pages, de l’atmosphère victorienne admirablement restituée, et des personnages incarnés avec justesse et précision.

Michael Cox nous offre donc à nouveau un excellent moment de suspense érudit et de dépaysement historique, captivant jusqu’à la dernière ligne, et qui vous fera regretter d’en être déjà parvenu à son terme. Nouveau coup de coeur. (5/5)

 

 

Vous aimerez aussi le premier volet de cette histoire:

jeudi 5 septembre 2019

[Cox, Michael] La nuit de l'infamie. Une confession




Coup de coeur 💓

 

Titre : La nuit de l'infamie. Une confession
          (The Meaning of Night)

Auteur : Michael COX

Traductrice : Claude DEMANUELLI

Parution : 2005 en anglais (John Murray)
                2007 en français (Seuil)

Pages : 576

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :   

« Après avoir tué l’homme aux cheveux roux, je suis allé chez Quinn m’offrir une soupe d’huîtres… »

Ainsi débute l’extraordinaire confession d’Edward Glyver, fin lettré, bibliophile averti, grand fumeur d’opium et assassin à ses heures.
Par une nuit brumeuse d’octobre 1854, près du Strand, à Londres, il vient de tuer froidement un inconnu. Cet acte est la répétition générale du meurtre projeté de celui qu’il appelle son « ennemi ».
Edward Glyver se sent promis depuis toujours à un grand destin. Or une découverte fortuite le persuade qu’il a raison. Un grand destin l’attend, assorti d’une influence et d’une richesse immenses. Et la vie qu’il a menée jusqu’ici n’est qu’un mensonge, à commencer par le nom qu’il porte. Désormais il ne doit reculer devant rien pour recouvrer son identité véritable et l’héritage dont il a été spolié à sa naissance. Désormais, le meurtre et la duplicité, l’amour, la trahison et la vengeance vont jalonner la route qui le conduit – qui nous conduit – de Londres, la plus grande ville de l’époque, avec sa splendeur et sa misère, jusqu’à Evenwood, la plus sublime, la plus enchanteresse des demeures d’Angleterre. Mais, à chaque pas, un autre le précède et l’entraîne irrésistiblement : Phoebus Daunt, son ennemi mortel.

La Nuit de l’infamie reflète une formidable fascination pour l’ère victorienne et ses grands maîtres. Ce livre se rattache aux conventions du roman victorien à suspense, avec son intrigue à rebondissements et à sensations fortes. Il rend hommage au pouvoir de la narration et tient le lecteur en haleine de l’étonnante première ligne à la dernière révélation.

 

 

Un mot sur l'auteur :

Né en 1948 et décédé en 2009, Michael Cox est un biographe et romancier anglais.

Diplômé de l'Université de Cambridge, il est d'abord parolier et musicien, puis travaille dans l'édition. Il publie en 1983 une imposante biographie de M.R. James, écrivain érudit médiévaliste, puis plusieurs anthologies oxfordiennes de nouvelles. En 1991 et 2002, il sort A Dictionary of Writers and their Works et The Oxford Chronology of English Literature, une somme bibliographique contenant 30000 titres de 4000 auteurs de 1474 à l’année 2000.  

En 2004, il commence à perdre la vue à la suite d'un cancer. Il se hâte de finaliser l'ébauche du roman victorien sur lequel il travaillait depuis une trentaine d’années et qui est finalement publié en 2005 : La Nuit de l’infamie. La suite sort en 2008 : Le livre  des secrets. Michael Cox travaille au troisième volet lorsqu'il meurt de son cancer. 

 

 

Avis :

1854 à Londres. Le narrateur Edward Glyver, la trentaine, n’est plus que haine et esprit de vengeance à l’égard de Phoebus Daunt, homme ambitieux et sans scrupules qui, profitant d’un trouble secret de famille remontant à la génération de leurs parents, lui a tout pris : son nom, son identité, sa fortune, son amour. Désespéré et résolu à le tuer, Edward commence par assassiner un Londonien choisi au hasard, histoire de se faire la main et de tester ses nerfs. Il nous livre ensuite le contenu de ses carnets, où il relate les évènements qui ont précédé, depuis son enfance jusqu’à l’irrémédiable, en passant par sa découverte progressive de secrets imbriqués et de leurs conséquences, par sa recherche fiévreuse d’éléments de preuve, et par son impuissance face à l’habileté et à la détermination diabolique de son adversaire.

Ce long récit de près de six cents pages distille savamment le mystère au fil de ses rebondissements intriqués, piquant sans relâche la curiosité du lecteur très vite absorbé par cette histoire noire et influencée par les plus grands romans victoriens.

Michael Cox aura mis trente ans à rédiger cet ouvrage : le résultat, truffé de références littéraires et latines, aussi habilement construit qu’un emboîtement de poupées russes et porté par un style délicieusement sorti tout droit du dix-neuvième siècle, vous immerge littéralement dans ses ambiances plus vraies que nature : des beaux quartiers jusqu’aux ruelles mal famées d’un Londres brumeux aux pavés luisants de pluie, où trottent de sombres fiacres et rôdent de menaçantes ombres, dans les recoins du majestueux manoir d’Evenwood et de son parc isolé, dans les tréfonds de vieilles bibliothèques renfermant jalousement leurs secrets, et même au creux d’un lugubre mausolée où reposent des disparus qui n’en finissent plus de hanter les vivants...

Cadre historique prégnant, style classique et érudit, intrigue mystérieuse, personnages marquants et bien campés : tout est réuni pour enchanter le lecteur qui, ravi de cet excellent et long moment de lecture, n’aura de cesse de poursuivre l’expérience avec la suite : Le livre des secrets. Coup de coeur. (5/5)

 

 

Vous aimerez aussi le second volet de cette histoire:

 

mercredi 6 mars 2019

[Hermary-Vieille, Catherine] Lola





Coup de coeur 💓💓

 

Titre : Lola

Auteur : Catherine HERMARY-VIEILLE

Editeur : Plon

Parution : 1994

Pages : 493








 

Présentation de l'éditeur :   

Brisant les coeurs sur son passage, déchaînant les passions, provoquant le scandale, Lola Montès eut sans nul doute l'une des existences les plus tumultueuses du XIXe siècle. Qui aurait pu deviner que cette fausse danseuse andalouse était née en Irlande et avait grandi à Calcutta ? À Varsovie, devant des centaines de spectateurs, elle défia le gouvernement russe. À Berlin, elle cravacha un gendarme prussien. À Munich, enfin, elle séduisit Louis Ier de Bavière et mit la ville en révolution. C'est ce destin hors du commun que retrace ce passionnant roman. Grâce à Catherine Hermary-Vieille, nous découvrons une femme exceptionnelle, refusant la fatalité, inventant sa vie avec liberté et insolence, parcourant le monde à la poursuite de la gloire et d'un impossible bonheur. Une figure tragique et inoubliable. "Près de cinq cents pages d'émotions fortes [...] L'Inde ici sent la mousson et le thé, les étoffes de Paris vous glissent entre les doigts, et l'Amérique des pionniers grince comme un chariot de western. On vole à Lola Montès un peu de ses folies, de sa splendeur et de sa misère." Renaud Matignon "Le Figaro".

 

 

Avis :

Certaines vies sont plus improbables que des romans. Si ce récit avait été une fiction, il aurait pu paraître trop romanesque et peu crédible. Mais il s'agit d'une biographie romancée bâtie sur une sérieuse documentation, comme sait si bien le faire Catherine Hermary-Vieille. 

Je ne connaissais pas Lola Montès, fausse danseuse espagnole et surtout courtisane au parcours tumultueux, qui vécut au XIXème siècle et acquit une sulfureuse notoriété. Elle fréquenta nombre de personnalités, comme Liszt, Dumas, Sand, et fut la maîtresse du roi Louis 1er de Bavière. Elle parcourut le monde au fil d'une vie aux multiples rebondissements, faisant preuve d'une audace fascinante. Croquant follement la vie, flambeuse et aventurière dans l'âme, cette femme fatale impressionne par son opportunisme, sa détermination et son courage, même s'ils reposent sur un orgueil démesuré et une intransigeance insupportable. 

Ce long récit qui transporte le lecteur aux quatre coins du monde m'a passionnée. Le rythme est alerte, les surprises se succèdent, tandis que se dessine le portrait étonnant d'une femme autant détestée qu'adulée, qui construisit sa force de caractère sur une terrible faille intérieure, et qui se brûla les ailes dans sa quête éperdue de notoriété et d'amour. Coup de coeur. (5/5)

vendredi 1 mars 2019

[Decoin, Didier] Une Anglaise à bicyclette






J'ai beaucoup aimé

Titre : Une Anglaise à bicyclette

Auteur : Didier DECOIN

Editeur : Stock

Parution : 2011

Pages : 375








Présentation de l'éditeur :

Tout commence par un massacre d’Indiens en décembre 1890 dans le Dakota du Sud. Jayson Flannery, un photographe anglais veuf de son état, recueille une petite fille de trois ans dont la mère a été victime du massacre. Il songe bien sûr à confier Emily à un orphelinat, s’apprête à reprendre son paquebot pour l’Angleterre, mais il ne repartira pas seul et décide d’enlever la petite Emily aux soeurs qui l’ont prise en charge.
On les retrouve tous les deux dans un manoir du Yorkshire où Jayson a toujours vécu. Emily grandit, va à l’école, apprend à lire. Tous dans le village se posent mille questions à son sujet. Jayson l’a-t-il adoptée, kidnappée ? Viendra-t-on un jour la chercher ? Un policier mène son enquête, s’obstine et s’entête à rechercher les véritables origines d’Emily...
 

Avis :

Un très bon cru de Didier Decoin, mais pourtant, pas de coup de coeur cette fois, en raison d'une petite déception sur la seconde moitié du livre. 
La relation du sauvetage de la petite Amérindienne Ehawee après le massacre de Wounded Knee, de son adoption par un photographe anglais, de ses difficultés d'intégration dans un village de la campagne britannique est passionnante. Sa passion pour la bicyclette est très intéressante en raison des réactions risibles qu'elle suscite : qu'une femme pédale est alors inconvenant, pire, jugé préjudiciable pour la santé psychique et sexuelle féminine. J'ai moins accroché à la partie évoquant la passion du spiritisme de Conan Doyle et la supercherie "paranormale" de deux fillettes. 
Au global, ce roman a tellement de facettes : le sort des Indiens, l'adoption d'une petite indienne dans l'Angleterre Victorienne, la photographie, la perversité supposée à l'époque de la pratique féminine de la bicyclette, le spiritisme et Conan Doyle..., qu'il m'a semblé manquer d'unité et surtout, d'un je ne sais quoi de crédibilité sur le dernier tiers. En conclusion, un très bon roman, qui rate de peu le coup de coeur chez moi. (4/5)