samedi 25 février 2023

[Collins, W. Wilkie] Passion et repentir (La morte vivante)

 



J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Passion et repentir
            (La morte vivante)
            (The New Magdalen)

Auteur : W. Wilkie COLLINS

Traduction : Eric CHEDAILLE

Parution : en anglais en 1873,
                  en français en
2007 (Phébus)

Pages : 352

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :     

Sur le front franco-allemand, pendant la guerre de 1870, le hasard réunit deux jeunes Anglaises. Lorsqu’un obus frappe l’une d’entre elles l’autre décide aussitôt d’usurper son identité pour rompre avec un passé infamant et vivre enfin une vie meilleure. Au début, tout se passe pour le mieux. Mais, très vite, les événements vont prendre un tour inattendu… On peut faire confiance au génial Collins (1824-1889), rival et ami de Dickens, pour nous concocter une nouvelle fois un suspense diabolique et mettre à vif les nerfs de ses lecteurs. Ce féministe convaincu nous donne ici un de ses plus beaux portraits de femmes : celui de Mercy, pécheresse repentie et amoureuse, confrontée à toutes les bassesses et à toutes les hypocrisies de la bonne société victorienne, mais qui finit néanmoins par accepter les plus durs sacrifices pour faire triompher le bon droit et la vérité. Ce roman, jamais encore traduit en France, ravira tous les fans de l’auteur, qui y retrouveront les qualités inimitables de Pierre de lune et de La Dame en blanc. Un inédit à déguster d’urgence !

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

« Il a introduit dans l’'espace romanesque les plus mystérieux des mystères : ceux qui se cachent derrière nos propres portes. » Cet éloge du grand Henry James s'’adresse à William Wilkie Collins, considéré comme le précurseur du roman policier anglais et, plus largement, comme l’'inventeur du thriller. William Wilkie Collins est né à Londres en 1824. Soumis dès son enfance aux délires d’'un père tyrannique (le peintre paysagiste William Collins), il se réfugie très tôt dans l’'écriture, ce qui a le don d'’irriter son géniteur, lequel met tout en oeœuvre pour tuer dans l’œ'oeuf cette « vocation absurde » : on envoie le rebelle se former à la dure comme apprenti dans une fabrique de thé, puis on l’'oblige à faire son droit. Même après sa mort, la figure du père continuera de tourmenter l’'écrivain en exigeant par testament, et comme clause nécessaire pour hériter, qu'’il lui consacre une « biographie officielle ». Ce devoir accompli en 1848, William Wilkie Collins intègre en 1852 la revue Household Words dont s'’occupe Charles Dickens avec lequel il partage une passion commune pour le théâtre. Ces premières tentatives littéraires ne connaissent qu'’un succès d'’estime. Une nuit d'’été 1855 pourtant, alors que Wilkie Collins, son frère Charles et le peintre Millais passent devant la grille d'’une grande maison de Londres, une jeune femme en blanc, très belle, les supplie de lui venir en aide avant de disparaître. Fasciné, Collins mène l’'enquête pour découvrir que cette femme, Caroline Graves, est séquestrée avec son bébé par un mari à demi-fou. Il la délivre et sera son amant jusqu’à sa mort. Ce qui aurait pu rester un fait divers romanesque inspire à Wilkie Collins l'’intrigue de son premier chef-d'oe’œuvre, La Dame en blanc, publié en feuilleton dans All the Year Round de novembre 1859 à octobre 1860. Le public ne s’'y trompe pas : le succès est énorme et la foule s’'arrache chaque livraison. Les romans qui suivront confirmeront le talent de conteur de William Wilkie Collins qui touche à la consécration avec Pierre de lune publié en 1868 et dont il se dit qu'’il inspira fortement Charles Dickens pour son roman inachevé The Mystery of Edwin Drood. En proie à d’'intenses souffrances nerveuses, de plus en plus dépendant de l'’opium, Wilkie Collins se retire pourtant peu à peu de la scène publique et termine sa vie en reclus. Il meurt en 1889.

 

 

Avis :

Parce qu’ils traitaient de thèmes choquants, comme ici la prostitution, dans un milieu bourgeois qui, à l’époque victorienne, s’en pensait totalement préservé, les livres de Wilkie Collins furent qualifiés de « romans à sensation », un genre nouveau préfigurant le roman policier et le roman à suspense. C’est en effet peu de dire qu’entre usurpation d’identité, vengeance et amour impossible, cette histoire à rebondissements réserve bien des surprises et des émotions, dans une mise en scène mêlant drame et vaudeville pour une acide critique sociale.

Une jeune Anglaise, infirmière volontaire sur le front franco-allemand de 1870 pour échapper à son passé, décide d’usurper l’identité de l’une de ses compatriotes, fauchée lors d’un bombardement. Rebaptisée Grace Roseberry, la voici introduite auprès de la riche et vieille Lady Janet Roy, dont, de lectrice et dame de compagnie, elle devient bientôt la fille adoptive, promise à un beau mariage. Tout à ses rêves d’une vie enfin meilleure, libérée de la réputation d’infamie qui lui collait à la peau après une enfance et une adolescence marquées par la misère et par la déchéance, elle ignore encore, contrairement au lecteur qui détient une information capitale, qu’elle n’en a pas fini avec l’ancienne Mercy Merrick...

En vérité, bien plus que la cascade d’événements contraires qui, instaurant un suspense implacable, vont venir menacer sa position nouvellement acquise, ce sont les scrupules et la mauvaise conscience de la jeune femme qui ne tardent pas à empoisonner son existence. Et tandis que, non sans rappeler le théâtre, la mise en scène enchaîne péripéties et quiproquos sur le rythme vif de ce qui aurait pu se transformer en comédie vaudevillesque si les déchirements de Mercy n’avaient définitivement donné au récit le ton d’une tragédie, le véritable propos de Wilkie Collins s’affirme bien vite une virulente critique des hypocrisies bien-pensantes de la si corsetée société victorienne.

L’on s’apercevra de la véritable nature des êtres derrière les masques, la femme déchue devenue usurpatrice démontrant une noblesse de coeur en tout point plus admirable que la terrible et suffisante bassesse confite sous la noblesse de titre. « Quel beau mérite de vivre honorablement quand votre existence n’est qu’une suite de biens et de jouissances ? » Coincée dans le rôle d’une pécheresse par les circonstances et l’injustice, la droite et scrupuleuse Mercy triomphera-t-elle des préjugés mesquins d’une bonne société qui confond convenances et moralité, et qui, dans sa présomptueuse tartuferie, s’autorise en toute bonne conscience les comportements les plus abjects ?

Dans la langue si joliment tournée et délicieusement surannée du XIXe siècle, Passion et repentir est un classique au suspense terriblement addictif, non dénué d’humour dans sa mise en scène, parfaite pour le théâtre, d’une tragédie née des hypocrisies morales de la société victorienne. L’on pourra aisément faire le parallèle avec le quasi contemporain La lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne, dénonçant quant à lui, également à propos d’une histoire de moeurs, l’hypocrisie du puritanisme américain. (4/5)

 

 

Citations : 

« Comment pouvez-vous raisonnablement penser, demanda-t-il, que ce soient les journaux qui aient causé la guerre ? 
– Ils en sont tout à fait responsables, répondit Lady Janet. – Quoi !… vous ne comprenez donc pas le siècle, dans lequel vous vivez ! Est-ce que personne fait quelque chose aujourd’hui, y compris la guerre, sans désirer que les journaux en parlent ? Ce qu’on fait en vue des journaux ?… Mais tout cela se conjugue : Je souscris à une œuvre de charité ; tu donnes une attestation ; il prononce un discours ; nous souffrons d’une douleur ; vous faites une découverte ; ils vont à l’église et s’y marient. Eh bien, je, tu, il, nous, vous, ils, tous ne veulent qu’une seule et même chose… qu’on s’occupe d’eux dans les journaux. Rois, soldats, diplomates, font-ils exception à la règle générale de l’humanité ? Pas le moins du monde ! Je vous le dis sérieusement, si les journaux d’Europe avaient les uns et les autres résolu de ne pas faire la plus petite allusion imprimée à la guerre entre la France et l’Allemagne, c’est ma ferme conviction que la guerre aurait pris fin depuis longtemps déjà faute d’encouragement. Que la plume cesse de faire des réclames au sabre, et le sabre se remettra au fourreau. Pas de comptes rendus…, plus de combats. 

– Vos idées ont au moins le mérite d’être d’une nouveauté piquante, Lady Janet, dit Horace, trouveriez-vous quelque inconvénient à les voir exposées dans les journaux ? 
 
 
Cela me fait pitié, se disait-elle, d’entendre vanter la vertu de femmes qui n’ont jamais su ce que c’est que la tentation ! Quel beau mérite de vivre honorablement quand votre existence n’est qu’une suite de biens et de jouissances ? Sa mère a-t-elle connu le dénûment ? Ses sœurs ont-elles été abandonnées dans la rue ?


Le domestique attendait toujours, non comme un être humain qui prend intérêt à ce qui se passe, mais comme il convient à un véritable valet de chambre, c’est-à-dire un objet mobilier artistement construit pour se mouvoir, aller et venir au moyen d’un ressort.  
Julian toucha le ressort, et, s’adressant à l’automate qui portait le nom de James :  
« Où est cette dame à présent ? demanda-t-il.  
– Dans la salle à manger, monsieur.  
– Bien. Attendez au dehors jusqu’à ce que je sonne. »  
Les jambes du meuble vivant le portèrent sans bruit hors de la chambre.  
Julian se tourna vers sa tante.


Julian avait encore à apprendre que le courage d’une femme est chose mobile et diverse, suivant la diversité des circonstances.
Demandez-lui de traverser avec vous un pré où paissent des génisses, et, neuf fois sur dix, elle refusera tout net.
Demandez-lui, sur un navire en feu, de donner un exemple de courage même aux hommes qui se désespèrent et qui pleurent, et il est certain, neuf fois sur dix, qu’elle sera héroïque.

 

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