vendredi 16 septembre 2022

[Fajardo, José Manuel] Haine

 




J'ai aimé

 

Titre : Haine (Odio)

Auteur : José Manuel FAJARDO

Traducteur : Claude BLETON

Parution : en espagnol en 2020
                   en français en 2021 (Métailié)

Pages : 112

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

La haine que nous voyons se déchaîner sur les réseaux sociaux n’a rien de neuf, elle utilise juste de nouveaux canaux techniques. Ce court roman nous amène à distinguer ses invariants à travers la puissance de la littérature.

Au XIXe siècle, dans les rues de Londres plongées dans le brouillard et la misère, se promène un fabricant de cannes aigri, ne trouvant aucune reconnaissance sociale, qui va s’enfoncer de plus en plus dans les bas-fonds de la ville.

Au début du XXIe siècle, dans la banlieue parisienne, nous assistons à la transformation d’un jeune homme frustré et incapable d’affronter les autres autrement que par la colère et la violence.

La mise en miroir de ces personnages révèle l’image des démons de la haine de l’autre à travers deux époques, les tire de l’anonymat, et montre les traces de leurs chemins cachés et mortifères parmi nous. L’auteur se livre à un exorcisme littéraire de notre époque. Un texte fort, pertinent et original.

  

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

José Manuel FAJARDO est né à Grenade en 1957. Journaliste et historien de formation, il a vécu au Pays basque, en France et au Portugal. Il est l’auteur, entre autres, de Lettre du bout du monde, Les Imposteurs, Les Démons à ma porte et L’Eau à la bouche, ainsi que d’essais historiques. Il est le traducteur de Céline.

 

 

Avis :

Jack Wildwood est fabricant de cannes dans le chaud et misérable quartier de Soho, à Londres, au XIXe siècle. Coincé dans un impossible intermédiaire entre la lie des bas-fonds mal-famés où il réside et le luxe superbement méprisant de ses clients aux mœurs par ailleurs passablement corrompues, il sent chaque jour grandir sa rancoeur et son dégoût d’autrui. Harcha vit de nos jours dans une zone pestiférée de la banlieue parisienne. Enfant d’immigrés algériens, il est en proie à une révolte croissante, lui que le déterminisme social et les préjugés raciaux renvoient sans échappatoire à l’humiliation, au rejet et à la pauvreté de sa cité ghetto. Une pichenette du destin suffit à les faire basculer, l'un comme l'autre, dans la violence.

Deux hommes, deux époques, mais un dénominateur commun : la haine, née de la frustration et de la colère. Jack et Harcha se trouvent tous deux à une croisée de chemins décisive. Alors qu’ils aspirent de toutes leurs forces à s’extirper du monde d’en-bas, dont ils côtoient avec effroi l’infernale indigence et les maux associés, celui d’en-haut, indifférent à leur cruelle désillusion, les repousse avec mépris du mauvais côté du miroir. En porte-à-faux dans une société qu’ils estiment ne pas leur concéder de juste place, en mal d’identité comme de reconnaissance, ils s’emplissent peu à peu d’une rage entretenue par le désespoir, l’injustice et l’humiliation, qui ne demande bientôt plus qu’une étincelle pour exploser. Et puisque ce monde ne mérite que leur dégoût, Jack et Harcha vont chacun tenter de le punir et de le purifier à leur manière : nous sommes à la veille de la longue série de crimes de Jack l’Eventreur à Londres, et des attentats terroristes de 2015 à Paris.

Le texte est court, efficace, presque clinique. Si le parallèle entre ces personnages séparés de deux siècles a de quoi surprendre, il a le mérite d’illustrer, on ne peut plus clairement, comment le sentiment d’exclusion et la rancoeur à l’égard d’une société perçue comme déviante et injuste, peut engendrer de réactions violentes et destructrices. Ce qui différencie les deux époques est que ce qui restait le coup de folie d’un individu au XIXe siècle, peut faire aujourd’hui boule de neige au travers des réseaux sociaux, ces poings levés se retrouvant aisément armés par d’opportunistes manipulateurs. En tous les cas, à y regarder de plus près, force est de constater que, loin de subir d’exogènes attaques ennemies, c’est en son propre sein que la société occidentale forge les facteurs de la violence qui la frappe de nos jours.

Rien de tel que les images fortes pour supporter un propos. A priori incongru, le parallèle historique choisi par l’auteur permet d’envisager sous un jour éclairant la fragilité de certains esprits face aux manipulations à but terroriste. Et comme à cet intérêt s’adjoint le plaisir d’un texte bien écrit et truffé de références littéraires, l’on aurait bien tort de bouder ce surprenant petit livre. (3,5/5)

 

Citations :

À la tombée de la nuit, la ville plongeait dans un épais brouillard qui semblait plutôt monter du fleuve que tomber du ciel, une purulence de ses eaux pestilentielles, un brouillard qui rampait dans les ruelles et virait au jaunâtre, comme s’il prélevait au passage la crasse des quais et des quartiers portuaires, malgré les derniers rayons du soleil qui lui arrachaient encore quelques éclats de cuivre trompeurs. À l’aube, sa densité était oppressante et avec l’arrivée du matin il se transformait paresseusement en brume légère qui ne s’évaporait que lorsque la journée était bien avancée. Londres devenait alors une ville concrète, réelle, si réelle qu’elle en devenait insupportable. Pour cette raison sans doute, les habitants des quartiers les plus pauvres finissaient par apprécier la brume qui enveloppait leurs nuits. Elle était la mère sévère qui les emmitouflait et occultait les misères de leur vie, une ardoise sur laquelle ils pouvaient dessiner leurs rêves en attendant que le soleil soulève le voile au matin et que la ville, populeuse, fébrile, aussi bouillonnante qu’une marmite que les eaux de la Tamise ne pouvaient refroidir, montre son visage féroce. Une ville auréolée d’un halo de corruption, qui flottait avec une densité particulière sur les bâtiments noirs de crasse de Soho, une deuxième brume invisible au regard, mais perceptible aux émois de la peau, qui se hérissait au spectacle de ses rues

Sa haine était devenue aussi naturelle que sa respiration, un sentiment dépourvu de toute connotation morale, une seconde peau dont il n’avait même pas conscience.


 

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