vendredi 18 décembre 2020

[O'Connor, Joseph] Le bal des ombres

 


 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Le bal des ombres (Shadowplay)

Auteur : Joseph O'CONNOR

Traductrice : Carine CHICHEREAU

Parution : en anglais (Irlande) en 2019
                   en français en 2020 

Editeur : Rivages

Pages : 550

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Joseph O'Connor rejoint le catalogue des Editions Rivages après de longues années passées chez Phébus, où il était l'un des auteurs emblématiques. Grand romancier irlandais, il revient à la veine historique qui a fait son succès avec ce roman malicieux sur la vie de Bram Stoker, le créateur du mythique Dracula. Mais il refuse toute biographie romancée trop linéaire et se lance dans une fiction inventive, surprenante, qui évoque aussi une figure légendaire du théâtre anglais, l'actrice Ellen Terry, sorte de Sarah Bernhardt londonienne, figure féministe et puissante. Roman d'amour, roman sur les mystères et les errances de la création, ce texte est une célébration de l'Art de raconter et de vivre des histoires.

  

Un mot sur l'auteur : 

Né en 1963, Jospeh O'Connor commence sa carrière comme journaliste, avant de devenir écrivain. Il est aujourd'hui considéré comme une figure de la littérature irlandaise contemporaine.

 

 

Avis :

En 1878 à Londres, le grand tragédien Henry Irving reprend le Lyceum Theatre, alors en piteux état. Il en confie l’administration à celui qui deviendra son bras droit, Bram Stoker, futur auteur de Dracula, et engage dans sa troupe la plus célèbre actrice anglaise de l’époque, Ellen Terry. Le trio, bientôt inséparable, s’acharne à redresser l’établissement et s’achemine peu à peu vers une réussite suffisamment retentissante pour s’exporter outre-atlantique. Bram Stoker désespère toutefois de rencontrer un jour le succès littéraire…

Loin de la biographie linéaire, ce récit foisonnant ressuscite ses personnages historiques avec le plus grand naturel, recréant la chair et l’émotion autour du squelette des faits réels, dans une évocation d’autant plus crédible qu’elle nous baigne en même temps dans une magistrale restitution du Londres victorien. L’ambiance du roman est ainsi particulièrement prégnante, tant celle, brumeuse et polluée, de la capitale anglaise, pas tout à fait aussi scandalisée du procès d’Oscar Wilde que terrifiée par l’ombre de Jack l’Eventreur, que celle, effervescente et passionnée, d’un théâtre de la fin du XIXe siècle aux mains de personnalités explosives aux égos démesurés.

Au fur et à mesure du parcours des trois protagonistes principaux, entre doute et ambition, ombre et lumière, le texte prend une teinte de plus en plus mélancolique pour le lecteur témoin de leur ascension puis de leur vieillissement, et, globalement, du curieux cheminement qu’emprunte parfois la gloire, tantôt capricieuse, tantôt généreuse, souvent inaccessible et même ironiquement tardive, lorsque, posthume, elle vient couronner un homme finalement convaincu de son insignifiance et mort dans un hospice pour indigents.

Fresque historique, histoire d’amour et d’amitié, récit gothique et odyssée autour du mystère de la création, ce roman aux multiples facettes tient l’intérêt éveillé de bout en bout. Il réussit à émouvoir quant au dépassement de la finitude humaine par l’immortalité de l’oeuvre passée à la postérité. (4/5)


Citations :  

« Jouer la comédie, c’est ma profession, ce qui me nourrit. Mais l’art est aussi spirituel, c’est une chambre secrète de l’âme. Il est difficile de savoir où elle se trouve, ou encore où se trouve la clef qui en ouvre la porte, par conséquent parfois il faut briser cette porte avec violence. Voilà ce que signifie avoir du style. C’est la force. Une fois entré dans son propre style, les proportions changent. La pièce peut se transformer en n’importe quel lieu : une forêt, un océan, une cellule de prison, le monde des fées, un nombre de sphères tournant l’une à l’intérieur de l’autre, tout cela en même temps, chacune sur un axe dont l’autre ne sait rien. En tout cas, voilà comment on voit les choses ici. Être un artiste, c’est savoir que les fantômes existent. »

Jamais assez de temps pour aller jusqu’au bout d’une histoire. Jamais assez d’argent pour prendre le temps d’y réfléchir. L’argent est tout. Il ne le savait pas auparavant. Ce dont un écrivain a besoin, c’est de temps, d’avoir la permission d’échouer s’il le faut, de s’abstraire des tourments que vous inflige la nécessité de payer un loyer. L’argent est une fiction, mais elle est tout de même nécessaire. C’est la seule fiction qui existe.

Vous savez, être comédien, ce n’est pas faire semblant d’être quelqu’un d’autre, mais trouver l’autre en nous, et le mettre en avant. Ça n’a rien de compliqué, les enfants le font ; vous n’avez qu’à les regarder lorsqu’ils jouent. Ce n’est pas paraître, c’est être. Je l’ai appris dans mon enfance, mon père était un comédien itinérant qui jouait la pantomime. Jamais il ne me disait : « Joue à être une fée. » Non, il me disait : « Aujourd’hui, tu es une fée, Len. Envole-toi. »

Le neuvième cercle de l’enfer de Dante, la fosse la plus profonde, est réservée aux pécheurs les plus infâmes, traîtres à ceux qui les ont bien traités, qui dans le donjon d’Hadès le plus sale, le plus brûlant, souffre l’éternelle dégradation des ingrats. S’il existait un dixième cercle, il serait réservé aux seules créatures encore plus méprisables et impardonnables : les auteurs qui font la promotion de leurs propres ouvrages.

Quand on est jeune, on n’imagine pas que le temps soit une monnaie. Plus tard, on s’aperçoit qu’on n’a plus grand-chose sur son compte.

– Ah, c’est pour ça qu’existent les histoires, Nolly. Pour savoir ce que ça fait d’être une autre personne.  
– Pourquoi voudrait-on cela ?  
– Parce que parfois c’est éreintant d’être soi.

– Vous savez ce que mon vieux père disait à propos du mariage, Mr Stoker ? Tu as le droit de regarder dans la vitrine du bijoutier, à condition de ne pas la casser pour tout rafler.

Ce qu’ils appellent la vie est un vaisseau fantôme. Ce vaisseau compte bien des cabines. Des petites. Des grandes. Certaines sont destinées aux princes. D’autres aux pauvres. Elles sont innombrables. Il y en a toujours une autre. Voilà comment ils échappent à la prison du moi. Pour voir le monde à travers le hublot de la cabine d’un autre.

 Il n’aime pas se souvenir, trop de douleur, de déceptions. Il est important de se maintenir à flot, les yeux braqués sur l’horizon, toujours. Le passé est un fou qui se noie ; lancez-lui une corde, il vous entraînera avec lui. 

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire