J'ai beaucoup aimé
Titre : Un degré de séparation
Auteur : Pablo MEHLER
Parution : 2024 (Liana Lévi)
Pages : 192
Présentation de l'éditeur :
Frederic Altman, un écrivain américain ayant connu la notoriété, n’est
plus en mesure d’écrire la moindre ligne et ce sans motif apparent. Des
années après son effondrement créatif, pour ne pas dire son effondrement
tout court, la découverte d’une vieille photo dans les affaires de sa
mère récemment décédée fait remonter à la surface les questionnements
non résolus sur le secret de sa filiation. La photo, sur laquelle figure
sa mère avec un jeune homme, a été prise à l’époque de sa naissance.
Cet inconnu serait-il son père? Son imagination et son désir de saisir
la vérité s’animent. Tout en revenant sur les épisodes marquants de son
enfance de fils unique au sein d’une famille meurtrie par la guerre et
l’exil, l’écrivain-narrateur entame une recherche minutieuse qui l’amène
jusqu’à un éminent chercheur parisien. La résolution de cette quête lui
paraît désormais indispensable à son équilibre, et pourrait même
raviver son inspiration. Mais si le secret peut être toxique, la vérité
est parfois plus difficile à appréhender qu’on ne le pense.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Pablo Mehler, né aux États-Unis de parents argentins, a passé la majeure
partie de sa vie en France où sa famille a émigré à la fin des années
1960. Il a été producteur de films et se consacre aujourd’hui à
l’écriture. Il est l’auteur d’un recueil de nouvelles et d’un
long-métrage en cours de production. Un degré de séparation est son
premier roman.
Avis :
Comble de l’ironie pour lui qui enseigne l’écriture créative à l’université, le célèbre écrivain américain Frédéric Altman, aussi prolifique qu’il ait pu être jusqu’ici, ne parvient plus à écrire. En plein doute et au bord de l’effondrement, le voilà de surcroît laissé à ses désormais insolubles interrogations lorsque sa mère s’éteint en EHPAD et emporte avec elle le secret de sa naissance. Instable et sujette aux addictions, cette femme trop dévorée par ses propres manques affectifs pour assumer un enfant, qui plus est sans père, l’avait très vite oublié dans son pensionnat pour se consacrer corps et âme à son métier de critique littéraire, façon comme une autre de combler un vide émotionnel creusé par la peur de souffrir. « La culture et les idées, plutôt que les doutes et la tendresse. À prendre ou à laisser. » C’est ainsi qu’avec la littérature pour seule monnaie d’échange avec sa mère, le narrateur avait fini par devenir écrivain, colmatant à son tour les carences et les non-dits par l’invention d’histoires inspirées de la sienne. De quelles souffrances sa mère se protégeait-elle donc ? Surtout, qui était cet homme, dont elle s’obstinait à fuir le souvenir jusqu’à priver son fils ne serait-ce que du plus petit indice identitaire ?
Mais une petite photographie, retrouvée dans les maigres affaires de la morte, vient peut-être ouvrir la piste de la dernière chance. Jeune et pour une fois souriante, sa mère s’y tient radieuse aux côtés d’un inconnu. Intrigué, Frédéric Altman entame une longue quête qui, en même temps qu’il se souvient et essaie de reconstituer le parcours maternel, l’emmène, depuis les archives de l’université Columbia, à New York, sur les traces de l’étudiant de la photo, un Français devenu à Paris un scientifique de renommée internationale.
Alors qu’en incessants allers retours entre hier et aujourd’hui, l’on observe le narrateur se débattre avec les béances d’une filiation en passe d’engloutir ce qu’il pensait pourtant être devenu, l’introspection se fait quête de sens et recherche d’une issue. Il faut d’abord accepter les contours de l’impasse pour ne pas s’y laisser enfermer, isolé des autres par l’expérience du manque et de la perte, puis trouver la nouvelle voie menant à la résilience et à la façon de tenir debout au-dessus de l’abîme. Dans son désarroi, le personnage apprend à faire avec les parois auxquelles il se cogne – ce degré de séparation qui est propre à chacun de nous et sur lequel nous bâtissons notre rapport au monde et à autrui. Alors peut-être pourra-t-il trouver dans l’écriture cette planche de salut qu’à sa manière, sa mère avait désespérément cherchée dans le métier de critique littéraire.
D’une grande finesse psychologique, ce premier roman très maîtrisé explore fort joliment la perte, la quête de soi et les ressorts de la création artistique dans un récit aussi poignant qu’addictif. (4/5)
Citation :
Elle parlait du roman aussi bien que si elle l’avait relu la veille. Elle était si exaltée que je me suis demandé si c’était bien à moi qu’elle s’adressait. Camus nous avait fait oublier notre querelle et j’ai ressenti une forme d’apaisement à l’idée que le reste de mon séjour ne serait plus assombri par notre dispute. Et effectivement. Son indifférence habituelle a repris son cours et a perduré jusqu’à la fin de l’été. Mon intérêt pour la littérature me réhabilitait à ses yeux. C’était bien peu de chose mais cela avait le mérite d’exister. Il n’y avait pas de place pour les sentiments, pour les émotions, pour les joies ou les peines. La culture et les idées, plutôt que les doutes et la tendresse. À prendre ou à laisser.
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