J'ai aimé
Titre : Nous aurons été vivants
Auteur : Laurence TARDIEU
Année de parution : 2019
Editeur : Stock
Pages : 272
Présentation de l'éditeur :
Est-ce Lorette, partie il y a sept ans sans laisser la moindre trace ni
mot d’explication, qui se tient, en ce matin d’avril 2017, de l’autre
côté du boulevard ? Hannah, sa mère, croit un instant l’apercevoir.
Peut-être a-t-elle rêvé. Mais, dès lors, plus rien ne peut se passer
comme avant : violent séisme intérieur, la vision a fait rejaillir tout
ce qu’elle avait tenté d’oublier. Ce même jour, plusieurs destins,
chacun lié à Hannah, voient leur existence basculer.
Une journée particulière, donc, mais aussi trente ans de la vie intime d’Hannah Bauer, femme, artiste, mère, prise dans les soubresauts de son histoire familiale et de celle de l’Europe, Nous aurons été vivants est un hymne à la vie.
Une journée particulière, donc, mais aussi trente ans de la vie intime d’Hannah Bauer, femme, artiste, mère, prise dans les soubresauts de son histoire familiale et de celle de l’Europe, Nous aurons été vivants est un hymne à la vie.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Laurence Tardieu est l’auteur d’une dizaine de livres. Elle a notamment
publié Le Jugement de Léa (Arléa, prix du roman des libraires Leclerc
2004) et, chez Stock, Puisque rien ne dure (prix Alain-Fournier), Rêve
d’amour, Un temps fou et La Confusion des peines.
Avis :
Cela fait sept ans que sa fille est partie sans plus donner de nouvelles, lorsque Hannah croit soudain l’apercevoir en train de monter dans un bus. Aussitôt, c’est comme l’éclatement d’une bulle : tout ce qu’Hannah tentait désespérément de refouler au fond de sa mémoire revient brutalement à la surface. Au travers de prégnants flash-back, les souvenirs, angoisses, espoirs, blessures, affluent en un long tracé plein d’ombres, jusqu’à ce que, peu à peu, la conscience de l'impact d’un grave traumatisme familial se fasse dans son esprit et lui ouvre enfin de nouvelles perspectives : alors, Hannah commence à comprendre et à admettre pourquoi sa fille l’a quittée sans explication et ce qui l’empêche, elle, de vivre pleinement son existence.
Pourquoi n'ai-je pu ressentir de réelle sympathie pour les personnages, pourtant si humains ? Est-ce en raison de la mélancolie d'Hannah, dont la longue introspection a fini par me sembler pesante et déprimante malgré le cheminement de l'héroïne vers la résilience et la lumière ? Ou parce que je n'ai pas affronté de gaieté de coeur les thèmes, abordés avec une si grande justesse, du temps qui passe et du temps qui reste, de l'écoulement de la vie et des différentes chances qu'elle peut offrir et qu'il faut savoir saisir ?
Quoi qu'il en soit, même minant, jamais le récit n'est ennuyeux, et surtout, il est admirablement porté par l'évident talent littéraire de l'auteur. Sous l’apparent désordre des flash-back se cache une construction habile où chaque détail est soigneusement pesé, tandis que les longues phrases fluides et rythmées témoignent d'une très jolie plume, fine et sensible, toute en délicatesse et subtilité.
Laurence Tardieu signe ici un roman de grande facture, qui lui permet indéniablement de figurer dans la cour des grands, en tout cas parmi les écrivains à suivre. (3/5)
Citations :
Tu sais, quand je regarde les gens autour de moi, les gens qui commencent à vieillir, je me dis que la vie doit être un sacré rouleau compresseur, et que si tu n’as pas dans ton existence quelque chose de puissant, quelque chose qui possède un souffle, qui te met chaque jour en mouvement, eh bien avant même que tu ne t’en rendes compte tu es devenu aussi plat et ratatiné qu’une galette. Pour moi, cette chose puissante, c’est la peinture. Plus, même, que la peinture : la création.
Comme c’est étrange d’apprendre plus de dix ans après la mort de quelqu’un qui n’était pas un proche mais a compté à un moment de notre vie, et dont on avait gardé un souvenir solaire.
Oui, lui aussi aura peur. Car à cet instant il ressent, comme jamais, le miracle qu’il y a à être en vie. A quoi cela tient-il ? A quoi cela tient-il d’être d’un côté ou de l’autre de la frontière des vivants ?
...je vais entrer dans la dernière saison de ma vie et je voudrais retourner des années en arrière, redeenir un enfant, celui qu’on protège et qui n’a pas à se soucier du poids du destin, la vie est passée trop vite, comme un songe, demain tout sera déjà fini et tout aura été perdu, est-ce que pour toi ça a été la même chose, la vie aussi passée comme un songe, est-ce pour tout le monde pareil sans qu’on vous prévienne avant, on passe de quinze à soixante ans sans s’en apercevoir, on vous dit qu’il y aura des étapes, du temps, de la chair, mais en fait il n’y a rien, rien qu’un pauvre éclair aussitôt avalé par la nuit, les vies comme les histoires d’amour sont des mythes…
- Non, Paul, tu te trompes : bien sûr que le temps passe. Il passe comme un train lancé à toute berzingue et qui ne s’arrête dans aucune gare. Il passe et laisse derrière lui des terres brûlées, qui ne revivront plus, dont personne ne fera rien. J’ai perdu mon enfance, j’ai perdu le monde de mon enfance et celui de ma jeunesse. J’ai perdu mon adolescence. À chaque instant je perds quelque chose. Et toi aussi. Et nous tous. Cela n’existe plus. Cela n’existera plus jamais. Je ne peux pas m’y habituer. Je ne peux pas le supporter. Je ne le pourrai jamais. Lorsque j’y pense, j’ai l’impression de n’appartenir à rien, de flotter dans la nuit.
… on croit pendant longtemps que la vie nous offrira plusieurs autres chances, en tout cas au moins une seconde. Or le temps passe et très vite d’un coup il est trop tard, et la vie n’a pas offert de seconde chance. La vie est simplement passée. Chaque jour, chaque mois, chaque année vécue fait que le présent devient épais, très épais, et très lourd, il s’encombre de tout ce qui a été vécu et ne peut plus se transformer en un tournemain comme s’il était de cristal, lesté par aucun poids.
C’est drôle comme la perception des choses change lorsqu’on les observe par le prisme de l’appareil, songe-t-elle. Non pas qu’on les ressente moins fortement ou plus intensément, mais elles nous apparaissent soudain uniques, comme détachées de toutes les autres choses qui existent par ailleurs. Elles semblent exister encore plus, mais uniquement en cet instant où on les découvre dans le viseur. Ce qui saute alors au visage, c’est le caractère éphémère du vivant : on capte une chose et dans le même temps nous apparaît la certitude de son effacement, de sa disparition prochaine – et, en regard, celle de notre propre disparition.
Comme c’est étrange d’apprendre plus de dix ans après la mort de quelqu’un qui n’était pas un proche mais a compté à un moment de notre vie, et dont on avait gardé un souvenir solaire.
Oui, lui aussi aura peur. Car à cet instant il ressent, comme jamais, le miracle qu’il y a à être en vie. A quoi cela tient-il ? A quoi cela tient-il d’être d’un côté ou de l’autre de la frontière des vivants ?
...je vais entrer dans la dernière saison de ma vie et je voudrais retourner des années en arrière, redeenir un enfant, celui qu’on protège et qui n’a pas à se soucier du poids du destin, la vie est passée trop vite, comme un songe, demain tout sera déjà fini et tout aura été perdu, est-ce que pour toi ça a été la même chose, la vie aussi passée comme un songe, est-ce pour tout le monde pareil sans qu’on vous prévienne avant, on passe de quinze à soixante ans sans s’en apercevoir, on vous dit qu’il y aura des étapes, du temps, de la chair, mais en fait il n’y a rien, rien qu’un pauvre éclair aussitôt avalé par la nuit, les vies comme les histoires d’amour sont des mythes…
- Non, Paul, tu te trompes : bien sûr que le temps passe. Il passe comme un train lancé à toute berzingue et qui ne s’arrête dans aucune gare. Il passe et laisse derrière lui des terres brûlées, qui ne revivront plus, dont personne ne fera rien. J’ai perdu mon enfance, j’ai perdu le monde de mon enfance et celui de ma jeunesse. J’ai perdu mon adolescence. À chaque instant je perds quelque chose. Et toi aussi. Et nous tous. Cela n’existe plus. Cela n’existera plus jamais. Je ne peux pas m’y habituer. Je ne peux pas le supporter. Je ne le pourrai jamais. Lorsque j’y pense, j’ai l’impression de n’appartenir à rien, de flotter dans la nuit.
… on croit pendant longtemps que la vie nous offrira plusieurs autres chances, en tout cas au moins une seconde. Or le temps passe et très vite d’un coup il est trop tard, et la vie n’a pas offert de seconde chance. La vie est simplement passée. Chaque jour, chaque mois, chaque année vécue fait que le présent devient épais, très épais, et très lourd, il s’encombre de tout ce qui a été vécu et ne peut plus se transformer en un tournemain comme s’il était de cristal, lesté par aucun poids.
C’est drôle comme la perception des choses change lorsqu’on les observe par le prisme de l’appareil, songe-t-elle. Non pas qu’on les ressente moins fortement ou plus intensément, mais elles nous apparaissent soudain uniques, comme détachées de toutes les autres choses qui existent par ailleurs. Elles semblent exister encore plus, mais uniquement en cet instant où on les découvre dans le viseur. Ce qui saute alors au visage, c’est le caractère éphémère du vivant : on capte une chose et dans le même temps nous apparaît la certitude de son effacement, de sa disparition prochaine – et, en regard, celle de notre propre disparition.
On ne s’étonne pas de retrouver chaque matin le même paysage familier, mais lorsqu’on revient bien des années après dans un lieu qu’on a parfaitement connu, le retrouver intact a quelque chose de poignant, songe Hannah. Et ce n’est pas seulement lié à l’émotion de retrouver inchangés les arbres, la lumière, les odeurs, les rochers… C’est aussi parce qu’on ne peut s’empêcher de penser : durant tout le temps où ce paysage continuait à demeurer, voilà tous les événements qui se sont produits dans ma vie : j’ai perdu ma mère, j’ai eu un enfant, j’ai exposé plusieurs fois mes œuvres, j’ai eu une longue pneumonie, je suis partie deux mois à Moscou… Comme si, face à ce paysage retrouvé inaltéré, le film de notre existence défilait en accéléré. Le temps a passé sur nos vies éphémères.
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