dimanche 28 juillet 2019

[Norek, Olivier] Entre deux mondes






 

Coup de coeur 💓

Titre : Entre deux mondes

Auteur : Olivier NOREK

Année de parution : 2017

Editeur : Michel Lafon

Pages : 413






 

 

Présentation de l'éditeur : 

Ce polar est monstrueusement humain, "forcément" humain : il n'y a pas les bons d'un côté et les méchants de l'autre, il y a juste des peurs réciproques qui ne demandent qu'à être apaisées. Bouleversant.

Fuyant un régime sanguinaire et un pays en guerre, Adam a envoyé sa femme Nora et sa fille Maya à six mille kilomètres de là, dans un endroit où elles devraient l'attendre en sécurité. Il les rejoindra bientôt, et ils organiseront leur avenir.
Mais arrivé là-bas, il ne les trouve pas. Ce qu'il découvre, en revanche, c'est un monde entre deux mondes pour damnés de la Terre entre deux vies. Dans cet univers sans loi, aucune police n'ose mettre les pieds.
Un assassin va profiter de cette situation.
Dès le premier crime, Adam décide d'intervenir. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'il est flic, et que face à l'espoir qui s'amenuise de revoir un jour Nora et Maya, cette enquête est le seul moyen pour lui de ne pas devenir fou.

Bastien est un policier français. Il connaît cette zone de non-droit et les terreurs qu'elle engendre. Mais lorsque Adam, ce flic étranger, lui demande son aide, le temps est venu pour lui d'ouvrir les yeux sur la réalité et de faire un choix, quitte à se mettre en danger.



Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Engagé dans l'humanitaire pendant la guerre en ex-Yougoslavie, puis capitaine de police à la section Enquête et Recherche de la police judiciaire du 93 pendant dix-huit ans, Olivier Norek est l'auteur de la trilogie du capitaine Coste (Code 93, Territoires et Surtensions) et du bouleversant roman social Entre deux mondes, largement salués par la critique, lauréats de nombreux prix littéraires et traduits dans près de dix pays. 
Il a aussi publié Surface, qui nous entraîne dans une enquête aussi déroutante que dangereuse. Un retour aux sources du polar, brutal, terriblement humain, et un suspense à couper le souffle.


Avis :

2016. Adam, policier de son état, fuit la Syrie pour des raisons politiques : il a d’abord dû faire partir sa femme et sa fille en catastrophe, après leur avoir donné rendez-vous à Calais, où elles doivent l’attendre dans le quartier des femmes de la «jungle». Mais lorsqu’il y arrive à son tour, aucune trace de Nora et de Maya. Au bord du désespoir, confronté à la violence quotidienne de cette zone de non-droit qu’est le camp, il survit tant bien que mal en prenant sous son aile un petit garçon soudanais, seul et livré au pire, et en établissant un lien mi-amical, mi-professionnel avec Bastien, qui vient d’intégrer les forces de police de la ville. Pour le Français, la découverte de la situation de blocage à Calais et de son rôle impossible de maintien de l’ordre, est un choc déstabilisant qui va le pousser à prendre des décisions difficiles et dangereuses, dictées par sa conscience.

Aux atrocités vécues par Adam en Syrie et par Kilani au Soudan, au sort souvent tragique imposé aux migrants par des passeurs sans foi ni loi, répondent les terribles et dangereuses conditions de vie au sein de la jungle de Calais où la police ne pénètre jamais, l’impasse dans laquelle se retrouvent les migrants prêts à tout pour franchir la Manche, le désarroi des Calaisiens qui voient leur ville péricliter et son activité économique menacée, l’action sisyphéenne des associations humanitaires, le malaise des forces de l’ordre locales qui, impuissantes, ne peuvent que, jour après jour, tenter de protéger le trafic roulier pris d’assaut par des hordes aux abois.

Le titre est éminemment bien choisi. Il traduit à lui seul le dramatique surréalisme de ces vies de migrants, indéfiniment coincées dans un infernal entre-deux, comme suspendues dans des limbes sans issue régies par la seule loi meurtrière du plus fort, et où ne subsistent que misère, violence, désespoir et folie. Derrière l’intrigue policière se profile un véritable roman de société, où apparaissent tour à tour les points de vue de tous les protagonistes, sans parti-pris ni stigmatisme, dans un récit documenté, étayé par un an d’enquête, et où rien n’est inventé.

Chacun se retrouvera dans la honte et l’impuissance des personnages décrits sans complaisance ni sentimentalisme, dans toutes leurs ambiguïtés, leurs doutes et leurs failles. Comment ne pas frémir ni s’horrifier, et en même temps se sentir dépassé, par ce récit d’une actualité toujours brûlante, car, si la jungle de Calais a été démantelée, le problème des migrants est resté entier, simplement morcelé en une foule de petites jungles moins visibles.

Ce roman coup de poing à la lecture hallucinante et perturbante est avant tout un état des lieux, une photographie objective d’un problème de société resté sans solution, mais qui ne peut que peser sur nos consciences. Coup de coeur. (5/5)



Citations :

Le flux des migrants ne s’est pas arrêté avec la fermeture du camp de Sangatte en 2003. Il s’est évidemment poursuivi, sans plus nulle part où les accueillir, et avec toujours la même volonté de passer en Angleterre. Et donc, de rester pas loin des ports pour traverser la Manche. Résultat, ils se sont mis à squatter chaque maison vide, chaque immeuble abandonné, les jardins, les parcs, les ponts et c’est vite devenu invivable. Alors il a fallu trouver un endroit pour les parquer. Le long de la côte, à l’écart du centre-ville, entre une forêt et les dunes, il y avait un ancien cimetière qui jouxtait une décharge. L’État a fait place nette à coups de bulldozer et on a invité les migrants à s’y installer il y a un an de ça. Au début, ils sont arrivés discrètement, une petite centaine de curieux tout au plus, puis l’info a traversé la planète et ils sont venus par milliers. La Jungle était née.
 – C’est légèrement inapproprié. Qui a trouvé le nom ?
 – N’y voyez pas de racisme, ce sont les migrants iraniens eux-mêmes. Quand ils sont arrivés sur place, ils ont vu un morceau de forêt, alors ils ont appelé l’endroit «la Forêt». En langue perse, jangal. Ici, on a entendu «jungle», prononcé à l’anglaise. Un simple quiproquo. Ensuite, ils y ont été consciencieusement oubliés. Mais pas par tout le monde. Les médias se sont emparés du sujet et bientôt, Calais n’était plus une des villes trésors de la côte d’Opale, mais celle des migrants et du problème de leur accueil. Le tourisme s’est cassé la gueule en un temps record, même les Anglais hésitent à venir depuis que leurs tabloïds parlent de guerre civile. L’immobilier a perdu près de quarante pour cent et les magasins se sont mis à fermer. Notre plus grosse économie et notre vivier d’emplois ici, c’est notre port. Dix millions de passagers par an traversent la Manche via Calais et c’est aussi le premier port d’Europe pour le trafic roulier.
 – Ce sont des bateaux cargos qui chargent les camions vers l’Angleterre, précisa Erika à l’attention de Bastien qui n’avait rien d’un marin. 
– Mais les chauffeurs routiers sont morts de trouille et les sociétés de transport cherchent d’autres ports pour éviter Calais.
– Juste à cause des migrants ? s’étonna Bastien.
Lizion lui adressa un regard de biais, comme s’il avait mal évalué l’ampleur de ses lacunes. Sa voix se fit presque condescendante.
– Vous savez comment ils essaient de monter dans les camions tout de même ? Les assauts sur les poids lourds. Les agressions de chauffeurs. Les accidents provoqués comme des attaques de diligence. Les barrages et les incendies sur l’autoroute. Ça vous parle ?
 

– Bon, je crois qu’on est d’accord pour dire que tous ces types dans la Jungle fuient la guerre ou la famine. On n’est pas sur une simple migration économique mais sur un exil forcé. Ce serait un peu inhumain de leur coller une procédure d’infraction à la législation sur les étrangers et de les renvoyer chez eux. On passerait pour quoi ? Mais d’un autre côté, c’est plutôt évident que personne ne veut se soucier de leur accueil puisqu’on les laisse dans une décharge aux limites de la ville. Alors on leur a créé le statut de « réfugiés potentiels ».
– C’est la première fois que j’entends ça, concéda Bastien en enfournant un euro dans la machine à café du palier.
– Cherchez pas, ça n’existe nulle part ailleurs et dans aucun texte de loi. C’est du fait maison Calais, spécialité locale. En gros, avec ce statut bâtard, on ne peut pas les interpeller. Logique, si on refuse de les intégrer à la France ce n’est pas pour les faire rentrer dans le système judiciaire. Mais on ne leur donne pas non plus la qualité complète de réfugiés, sinon, il faudrait s’en occuper. Donc avec cette appellation de réfugiés potentiels, ni on ne les arrête, ni on ne les aide. On les laisse juste moisir tranquilles en espérant qu’ils partiront d’eux-mêmes.


Leur but, c’est Youké, comme ils disent. United Kingdom. L’Angleterre. Ils restent persuadés que le travail au black y est intarissable et que les statuts de réfugié s’y distribuent comme des bons points.
– Et ce n’est pas le cas ?
– Il y a cinq ans peut-être, mais avec le Brexit, l’Angleterre s’est renfermée. Contractée même. Comme tous les pays riches qui n’ont qu’une seule trouille, c’est de voir l’autre partie du monde venir se décrotter les pompes sur leur paillasson. Quoi qu’il en soit, même si l’intégration là-bas est plus compliquée qu’avant, reste que pas mal de réfugiés ont réussi le passage. Donc les nouveaux aussi ont envie de retrouver leur famille.
– Mais s’ils la veulent, leur Angleterre, de quel droit on les retient ici ?
– Les accords du Touquet, lieutenant. Le texte place la frontière de l’Angleterre en France à Calais, et pas à Douvres. Et pour que ça reste comme ça, les British paient cher. Dernièrement, plus de vingt millions d’euros rien que pour mettre en place toute la ligne de barbelés qui protège la nationale et l’autoroute des attaques de migrants.
– C’est insensé, s’offusqua Bastien.
– Ouais. Les migrants fuient un pays en guerre vers lequel on ne peut décemment pas les renvoyer, mais de l’autre côté, on les empêche d’aller là où ils veulent. C’est une situation de blocage, on va dire.
 

Un genou au sol, Cortex comptabilisait les grenades lacrymogènes. Si Bastien avait déjà utilisé ce type de munitions, il n’en avait pourtant jamais vu autant. Il devait y en avoir environ deux cents, bien alignées, ordonnées, comme un essaim de guêpes prêtes à piquer. 
– Vous êtes sûrs que ça va être nécessaire ou c’est juste pour m’impressionner ? 
– Vous avez compris que les migrants, on n’a pas vraiment le droit de les interpeller, insista Passaro. Ou plutôt, ça n’arrange personne. Donc le seul job, c’est de les éloigner de l’autoroute pour qu’ils ne montent pas dans les camions ou agressent les chauffeurs. 
– On passe nos soirées à les allumer comme des lapins, poursuivit Cortex. C’est de la chasse, rien de plus, sauf qu’on ne ramène pas le gibier. On tire tellement de grenades lacrymo qu’elles arrivent toutes les semaines par palettes. Il y en a plus à Calais qu’à la réserve nationale du RAID. D’après le commissaire, on en a claqué pour près de deux millions d’euros en une année. Et pour zéro interpellation. Juste pour sécuriser la route vers le ferry ou vers le tunnel sous la Manche.


La violence est partout puisque la pauvreté est immense. Tu ne peux pas mettre ensemble près de dix mille hommes, venant des pays les plus dangereux de la Terre, quasiment enfermés, tributaires de la générosité des Calaisiens et des humanitaires, sans autre espoir qu’une traversée illégale, et croire que tout va bien se passer. Des morts, il y en a toutes les semaines. Les No Border les traînent aux limites de la Jungle, devant les CRS, mais parfois ils sont simplement enterrés entre les dunes et la forêt. Si un jour ils rasent la Jungle, il ne faudra pas creuser trop profond.

 
J’ai lu sur internet qu’on avait 208 fois plus de chance de gagner au loto que de naître en bonne santé, dans un pays démocratique et en paix, avec un toit sur la tête.


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