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samedi 23 novembre 2024

[Magee, Michael] Retour à Belfast

 



 J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Retour à Belfast
            (Close to Home)

Auteur : Michael MAGEE

Traduction : Paul MATTHIEU

Parution : en anglais (Irlande) en 2023
                  en français (Albin Michel)
                  en 2024

Pages : 432

 

 


 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

« Il est coincé ici pour toujours, pas vrai ? Comme une souris prise au piège, il continuera à se tortiller dans les rues de Belfast jusqu’à son dernier souffle. »
Après des études à Liverpool, Sean Maguire est de retour à Belfast parmi les siens. Il retrouve le quartier ouvrier où il a grandi, dans une ville meurtrie par plusieurs décennies de conflit entre catholiques et protestants, et où la prospérité promise par les accords de paix se fait toujours attendre. Sean n’a qu’une hâte : repartir dès que possible.
Mais il est vite rattrapé par ses vieilles habitudes : les nuits blanches, l’alcool et la coke, l’argent emprunté, les loyers impayés et les boulots précaires. Jusqu’à ce qu’à ce moment fatidique où, lors d’une soirée, il commet un acte impardonnable. Pourra-t-il échapper à un destin tout tracé ?

Écrit au cordeau, ce premier roman aborde avec une remarquable lucidité des sujets très contemporains : masculinité toxique, déterminisme social et secrets de famille. À travers ce roman d’apprentissage extrêmement poignant, c’est le portrait de l’Irlande du Nord que brosse Michael Magee.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Né en 1990 à Belfast, Michael Magee est le rédacteur en chef du magazine littéraire Tangerine, basé en Irlande du Nord. Ses textes ont été publiés dans The Stinging Fly, Lifeboat et The 32: The Anthology of Irish Working-Class Voices. Retour à Belfast, son premier roman, qui sera traduit en plus d’une dizaine de langues, a été récompensé par plusieurs prix et unanimement salué par la presse anglo-saxonne.

 

Avis : 

Peu importe le diplôme universitaire qu’il ramène de Liverpool, la même sempiternelle mouise attend le narrateur Sean Maguire à son retour chez lui, dans la banlieue défavorisée de Belfast où il a grandi. Réduit à partager avec son ami Ryan un squat minable, leur emploi à mi-temps au bar d’une boîte de nuit ne suffisant même pas à remplir leur frigo, les deux jeunes gens tentent d’oublier leur vie d’expédients et de rapines au supermarché en la brûlant par les deux bouts, dans de folles soirées où l’alcool et la drogue leur procurent ivresse et oubli.

Le pire reste pourtant à venir quand une bagarre de trop envoie Sean au tribunal. Condamné à une lourde amende et à une peine d’intérêt général, viré à la fois de son boulot et de son logement, Sean est obligé de retourner loger chez sa mère. Cette fois l’électrochoc est tel que l’ex-étudiant en lettres se met à l’écriture, narrant une jeunesse dans une Belfast plombée par le passé qui a beaucoup à voir avec celle de l’auteur.

Au gouffre personnel qui menace de plus en plus d’engloutir le personnage répond celui d’une histoire familiale marquée par la violence et la misère, sur le fond encore douloureux d’une Irlande du Nord traumatisée par les « Troubles ». Car, depuis un quart de siècle que se sont achevées les trois décennies de la guerre civile, le taux de suicide, le nombre de dépressions et la consommation d’alcool, de drogues et de médicaments y connaissent en vérité une croissance exponentielle, en même temps que la ségrégation spatiale et sociale entre catholiques et protestants continue de s’aggraver.

D’un réalisme brut quant au désenchantement d’une jeunesse laminée par son héritage traumatique et par le déterminisme social, ce premier roman de Michael Magee a beau nous asséner les réalités crues et cruelles d’un pays comme écorché vif, c’est quand même bien un formidable chant d’amour qu’il adresse à Belfast et à son âme meurtrie. (4/5)
 

 

Citation : 

Voilà ce qu’ils ont accepté de signer en 1998, la même saloperie avec laquelle ils auraient même pas daigné se torcher le cul y a quarante ans, et après on s’étonne que les gens traitent les mecs du Sinn Féin de vendus ? Ces connards ont concédé le statu quo, et regarde un peu où on en est. Regarde où en est ton père, et ceux de tous les autres. Ils sont tous devenus timbrés. Tu entres dans n’importe quel bar et ils sont là, avachis devant leur pinte, à débiter leurs histoires à la con sur ce qu’ils ont fait pour leur pays, et y a rien de surprenant à ça, avec toutes les horreurs qu’ils ont vécues. Mon paternel, c’est pareil. Tu le connais. Totalement parano. Incapable de sortir de chez lui sans se demander si quelqu’un va pas lui coller une balle dans la tête au coin de la rue. Il a perdu deux frères, putain. Comment tu voudrais qu’il réagisse autrement ?

dimanche 27 août 2023

[Ellis, Bret Easton] Les éclats

 



J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Les éclats (The Shards)        

Auteur : Bret Easton ELLIS

Traduction : Pierre GUGLIELMINA

Parution : en anglais (américain)
                  et en français en
2023
                  (Robert Laffont)

Pages : 616

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur : 

Los Angeles, 1981. Bret, dix-sept ans, plongé dans l’écriture de Moins que zéro, entre en terminale au lycée privé de Buckley. Avec Thom, Susan et Debbie, sa petite amie, il expérimente les rites de passage à l’âge adulte : alcool, drogue, sexe et jeux de dupes.
L’arrivée d’un nouvel élève fait voler leurs mensonges en éclats. Beau, charismatique, Robert Mallory a un secret. Et ce secret pourrait le lier au Trawler, un tueur en série qui sévit dans les parages. Terrorisé par toutes sortes d’obsessions, Bret se met à suivre Robert. Mais peut-il se fier à son imagination paranoïaque pour affronter un danger menaçant ses amis et lui-même, et peut-être la ville et le pays entier ?

Dans White, son livre précédent, Ellis écrivait : « Je grandissais au pied des collines de Sherman Oaks, mais juste au-dessous s’étendait la zone grisâtre du dysfonctionnement extrême. Je l’ai perçu à un âge très précoce et je m’en suis détourné en comprenant une chose : j’étais seul. » Les Éclats est le roman de ce détournement et de cette solitude.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Bret Easton Ellis est né à Los Angeles en 1964. Dès la publication de son premier livre Moins que zéro, en 1985, il connaît un succès foudroyant et s’impose comme l’un des écrivains majeurs de sa génération. Suivent Les Lois de l’attraction, American Psycho, Zombies, Glamorama, Lunar Park et Suite(s) impériale(s), tous parus au Éditions Robert Laffont. Traduite dans le monde entier, adaptée au cinéma, son œuvre est l’une des plus marquante de la littérature contemporaine.

 

 

Avis :

1980. Le narrateur Bret a dix-sept ans et entre en terminale au très sélect lycée privé de Buckley, à Los Angeles. Tout en écrivant son premier roman Moins que zéro qui paraîtra quelques années plus tard, il s’adonne à la frénésie d’alcool, de drogue et de sexe avec laquelle la jeunesse dorée californienne meuble le vide laissé par des parents bien trop accaparés par les paillettes et les dollars de l’industrie cinématographique. Mais l’arrivée d’un nouvel élève, le séduisant et charismatique Robert Mallory dont Bret se convainc bientôt qu’il pourrait bien avoir partie liée avec le tueur en série de jeunes filles qui sévit dans la ville, transforme ce qui semblait une autofiction en un thriller noir et paranoïaque.

Aujourd’hui presque sexagénaire, l’auteur du très controversé livre-culte American Psycho revient après treize ans de silence avec un coup de maître : le voilà qui, à quatre décennies d’intervalle, revisite son premier roman et, obsédé par son introspection jusqu’à réinventer sans cesse son histoire sous une nouvelle forme, enrichie et exagérée par son imagination débridée d’écrivain, se joue de son lecteur, mais également de lui-même, en une vraie-fausse autobiographie délibérément confondante, un collage libre des fragments d’un passé dont il ne reste aujourd’hui que des éclats de mémoire distordue.

L’on pourra aimer ou détester l’écriture sans concession, directe et crue, qui ne s’embarrasse d’aucune pudeur pour décrire précisément les scènes de sexe et de meurtre. L’on restera immanquablement fasciné par cette fresque générationnelle qui restitue sans fard la Californie clinquante des années quatre-vingts, cachant, sous son faste ensoleillé et ses strass hollywoodiens, le vertige d’un vide existentiel, affectif et moral que l’individualisme et le matérialisme les plus effrénés ne réussissent qu’à fort mal exorciser dans une surenchère de plaisirs luxueux et une orgie de tranquillisants, d’alcool et de stupéfiants. L’écrivain s’en donne à coeur joie dans les réminiscences, exhumant marques et objets emblématiques de l’époque, sonorisant son texte de références musicales, usant du name-dropping autant que d’une topologie précise des lieux pour mieux revivre une jeunesse et une époque disparues.

De tout cela sourd une incommensurable nostalgie, celle d’un homme de presque soixante ans qui se souvient, comme d’un paradis perdu, de ses apprentissages de jeune adulte en un temps de liberté, sans téléphones portables ni réseaux sociaux, sans fusillades de masse ni politisation à outrance des moindres enjeux. Ne manque pas même au tableau, sans que cela semble choquer le jeune Bret, ce producteur de cinéma à la Weinstein, secrètement homosexuel et usant sans vergogne de ses promesses de scénarios pour parvenir à ses fins. Bret est gay lui aussi et doit cacher ses tensions sexuelles adolescentes derrière un personnage de façade et la couverture d’une petite amie. En même temps que cet empêchement à être lui-même finit par susciter une certaine compassion chez le lecteur, il participe au climat d’étrangeté paranoïaque qu’en admirateur de Stephen King le narrateur entretient en un suspense longtemps latent, avant qu’il n’explose en l’on ne sait s’il s’agit vraiment d’une réalité dans l’intrigue ou des fantasmes d’un Bret emporté jusqu'à la psychose par son imagination d’écrivain.

Travaillant ses obsessions avec une inlassable minutie, Bret Easton Ellis réussit un nouveau roman aussi malsain et sulfureux que brillant et virtuose : un pavé-fleuve dans la mare woke et un défi à la tyrannie de la censure et de la « cancel culture », comme on aimerait en voir davantage. (4/5)

 

 

Citation :

Matt était plus autonome que n’importe qui dans l’école, le seul qui vivait de façon indépendante, dans un pool house avec son propre garage, au fond de l’immense propriété sur Haskell Avenue. À ce moment de son adolescence, Matt n’était plus très souvent contrôlé par ses parents – en fait, je n’avais jamais entendu Matt mentionner l’un d’eux et je n’avais aucune idée de ce que faisait son père. Ron et Sheila Kellner ne savaient pas que Matt n’allait plus à l’école depuis deux jours parce qu’il avait été, précisément, invisible très souvent, une semaine entière s’écoulant parfois sans qu’ils puissent même l’apercevoir. Ce qu’évoque cette dynamique est un autre exemple extrême de ce que nombre d’adolescents expérimentaient à la fin des années 1970 et dans la décennie suivante, le fait de ne pas avoir le moindre rapport avec leurs parents pendant des jours ne semblait pas particulièrement bizarre ou anormal – mes parents, par exemple, étaient absents depuis deux mois, en croisière en Europe, à l’automne 1981, quand j’avais dix-sept ans, et ni eux ni moi n’avions le moindre problème ou la moindre inquiétude à ce sujet.