J'ai beaucoup aimé
Titre : Rapatriement
Auteur : Eve GUERRA
Parution : 2024 (Grasset)
Pages : 216
Présentation de l'éditeur :
Annabella Morelli, vingt-trois ans, habite dans le Vieux Lyon, loin du
Congo-Brazzaville où elle est née. Elle est étudiante, amoureuse et se
rêve poétesse. Ses parents : un ouvrier franco-italien exilé en Afrique ;
une villageoise congolaise, devenue mère trop jeune.
De son
enfance, Annabella se rappelle l’odeur du karité, les danses endiablées
et les éclats de rire. Jusqu’au Noël de ses sept ans où la colère de son
père explose et sa mère quitte le domicile familial : Annabella grandit
vite, dans l’ombre de son père et de ses excès. Lorsqu’elle apprend la
mort de ce dernier, resté en Afrique, son monde s’effondre pour la
deuxième fois.
Confrontée à la question du rapatriement du
corps en France, Annabella enquête, se perd, fouille et démêle bien plus
que ce qu’elle cherchait. Secrets de famille, mensonges, corruption.
Jusqu’à la dernière page, nul ne sera épargné, pas même elle.
Un premier roman haletant qui signe la naissance d’une écrivaine.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Eve Guerra a 34 ans. Elle grandit au Congo Brazzaville qu’elle fuit
pendant la guerre civile. Elle est aujourd’hui enseignante de latin, de
grec ancien et de français, chroniqueuse pour Lire et auteure d’un recueil de poésie. Rapatriement est son premier roman.
Avis :
Dans un premier roman d’inspiration autobiographique, Eve Guerra raconte les difficultés de construction identitaire d’une jeune métisse, accablée par une histoire de transmission familiale difficile.
Lorsque, deux ans après avoir résolument coupé les ponts avec lui, la narratrice apprend par courriel la mort de son père en Afrique, c’est comme si la digue entre elle et le passé cédait brutalement, déclenchant en elle un véritable raz-de-marée. Sous l’effet du choc, tout semble d’ailleurs s’être liquéfié autour d’elle, tandis que, fuyant la rue où tout soudain lui fait obstacle, elle appelle sa tante et l’entend répéter « Le corps ! On ne pourra peut-être pas rapatrier le corps de ton père. »
Décédé dans des circonstances troubles et sans un sou vaillant, cet ouvrier-mécanicien franco-italen expatrié au Congo, au Gabon, puis au Cameroun, avait rejoint les rangs de ces marginaux désargentés qui ne peuvent plus rentrer en France. D’une très jeune Congolaise lui était née Annabella, aujourd’hui étudiante à Lyon ne vivant plus que pour la littérature et ses ambitions de futur écrivain, sûre de se construire une vie neuve sur le mensonge et l’oubli. C’est donc la souffrance de la perte plombée par la culpabilité de la rupture, comme dans une dernière chance de renouer le lien perdu, que la jeune femme se lance dans les démarches chaotiques du rapatriement.
Alors que, dans son hébétude, les goûts, les sensations et les couleurs du passé viennent supplanter ceux d’un présent au goût soudain de poussière, lui reviennent pêle-mêle son enfance dans la brousse, loin des cercles chics des expatriés bon teint ; les bras tendres et joyeux de sa mère africaine bientôt soumise à la violence d’une séparation la privant de tout droit sur sa fille ; enfin l’amour désormais exclusif l’attachant longtemps à son père, jusqu’à ce que, pleine d’orgueil et se rêvant libre, elle se choisisse un avenir rien qu’à elle, gommant son identité plurielle et un héritage cousu de violence et de non-dit.
Il n’aura fallu rien moins que le malheur pour qu’Annabella quitte ses illusions d’affranchissement du passé et, enfin consciente de sa vulnérabilité et de sa dépendance à ses racines et aux siens, commence à reprendre contact avec la réalité. Alors seulement l’étudiante comprendra-t-elle, bien plus modestement qu’avant, que « La littérature ne donne les clés du monde que si l’on se rend capable de l’interpréter, elle ne sauve que parce qu’elle réintègre l’individu dans le collectif et la transmission, et il est là le salut par la littérature : c’est de faire de nous des individus parmi les hommes, sauvant ‘’deux fois ce qu’ils savent en le transmettant’’ (Beauvoir). » Et c’est profondément transformée qu’après avoir touché le fond, elle pourra entreprendre de se réconcilier avec elle-même en même temps qu’avec les autres.
Pour exprimer la dislocation intérieure de son personnage, Eve Guerra bouscule langue et syntaxe, entremêlant pensées, dialogues et narration en un tout sans frontières. Tout en ruptures et fulgurances, le rythme épouse le désarroi et le chaos émotionnel, s’emballe, hoquète ou s’éparpille en un précipité de mots et de morceaux de phrases, qui, sans jamais s’égarer ni perdre le lecteur, n’en acquiert que plus de naturel, d’énergie et même de poésie. La performance est d’autant plus remarquable que Rapatriement est un premier roman, d’ailleurs couronné en tant que tel par le Goncourt 2024. Une bien belle entrée en littérature. (4/5)
Lorsque, deux ans après avoir résolument coupé les ponts avec lui, la narratrice apprend par courriel la mort de son père en Afrique, c’est comme si la digue entre elle et le passé cédait brutalement, déclenchant en elle un véritable raz-de-marée. Sous l’effet du choc, tout semble d’ailleurs s’être liquéfié autour d’elle, tandis que, fuyant la rue où tout soudain lui fait obstacle, elle appelle sa tante et l’entend répéter « Le corps ! On ne pourra peut-être pas rapatrier le corps de ton père. »
Décédé dans des circonstances troubles et sans un sou vaillant, cet ouvrier-mécanicien franco-italen expatrié au Congo, au Gabon, puis au Cameroun, avait rejoint les rangs de ces marginaux désargentés qui ne peuvent plus rentrer en France. D’une très jeune Congolaise lui était née Annabella, aujourd’hui étudiante à Lyon ne vivant plus que pour la littérature et ses ambitions de futur écrivain, sûre de se construire une vie neuve sur le mensonge et l’oubli. C’est donc la souffrance de la perte plombée par la culpabilité de la rupture, comme dans une dernière chance de renouer le lien perdu, que la jeune femme se lance dans les démarches chaotiques du rapatriement.
Alors que, dans son hébétude, les goûts, les sensations et les couleurs du passé viennent supplanter ceux d’un présent au goût soudain de poussière, lui reviennent pêle-mêle son enfance dans la brousse, loin des cercles chics des expatriés bon teint ; les bras tendres et joyeux de sa mère africaine bientôt soumise à la violence d’une séparation la privant de tout droit sur sa fille ; enfin l’amour désormais exclusif l’attachant longtemps à son père, jusqu’à ce que, pleine d’orgueil et se rêvant libre, elle se choisisse un avenir rien qu’à elle, gommant son identité plurielle et un héritage cousu de violence et de non-dit.
Il n’aura fallu rien moins que le malheur pour qu’Annabella quitte ses illusions d’affranchissement du passé et, enfin consciente de sa vulnérabilité et de sa dépendance à ses racines et aux siens, commence à reprendre contact avec la réalité. Alors seulement l’étudiante comprendra-t-elle, bien plus modestement qu’avant, que « La littérature ne donne les clés du monde que si l’on se rend capable de l’interpréter, elle ne sauve que parce qu’elle réintègre l’individu dans le collectif et la transmission, et il est là le salut par la littérature : c’est de faire de nous des individus parmi les hommes, sauvant ‘’deux fois ce qu’ils savent en le transmettant’’ (Beauvoir). » Et c’est profondément transformée qu’après avoir touché le fond, elle pourra entreprendre de se réconcilier avec elle-même en même temps qu’avec les autres.
Pour exprimer la dislocation intérieure de son personnage, Eve Guerra bouscule langue et syntaxe, entremêlant pensées, dialogues et narration en un tout sans frontières. Tout en ruptures et fulgurances, le rythme épouse le désarroi et le chaos émotionnel, s’emballe, hoquète ou s’éparpille en un précipité de mots et de morceaux de phrases, qui, sans jamais s’égarer ni perdre le lecteur, n’en acquiert que plus de naturel, d’énergie et même de poésie. La performance est d’autant plus remarquable que Rapatriement est un premier roman, d’ailleurs couronné en tant que tel par le Goncourt 2024. Une bien belle entrée en littérature. (4/5)
Citations :
À mon tour, j’enfonçais un couteau dans le cœur de mon père. Je le faisais parce que j’en étais enfin capable. J’étais enfin capable de fuir, capable de partir.
Son père l’avait rejeté.
Toutes les femmes qu’il aimait l’avaient abandonné.
Et maintenant, c’était à mon tour.
Et comme eux, j’avais mes raisons.
Qui peut bien tuer celui qu’il aime sans avoir une bonne excuse ?
Son père l’avait rejeté.
Toutes les femmes qu’il aimait l’avaient abandonné.
Et maintenant, c’était à mon tour.
Et comme eux, j’avais mes raisons.
Qui peut bien tuer celui qu’il aime sans avoir une bonne excuse ?
La littérature ne donne les clés du monde que si l’on se rend capable de l’interpréter, elle ne sauve que parce qu’elle réintègre l’individu dans le collectif et la transmission, et il est là le salut par la littérature : c’est de faire de nous des individus parmi les hommes, sauvant « deux fois ce qu’ils savent en le transmettant » (Beauvoir).