mercredi 23 juillet 2025

[Josse, Gaëlle] La nuit des pères

 



 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : La nuit des pères

Auteur : Gaëlle JOSSE

Parution : 2022 (Noir sur Blanc)

Pages : 192

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

« Tu ne seras jamais aimée de personne. Tu m'as dit ça, un jour, mon père. Tu vas rater ta vie. Tu m'as dit ça, aussi. De toutes mes forces, j'ai voulu faire mentir ta malédiction. »

Appelée par son frère Olivier, Isabelle rejoint le village des Alpes où ils sont nés. La santé de leur père, ancien guide de montagne, décline, il entre dans les brumes de l'oubli. Après de longues années d'absence, elle appréhende ce retour. C’est l'ultime possibilité, peut-être, de comprendre qui était ce père si destructeur, si difficile à aimer. Entre eux trois, pendant quelques jours, l'histoire familiale va se nouer et se dénouer. Sur eux, comme le vol des aigles au-dessus des sommets que ce père aimait par-dessus tout, plane l’ombre de la grande Histoire, du poison qu’elle infuse dans le sang par-delà les générations murées dans le silence. Les voix de cette famille meurtrie se succèdent pour dire l’ambivalence des sentiments filiaux et les violences invisibles, ces déchirures qui poursuivent un homme jusqu'à son crépuscule.

Avec ce texte à vif, Gaëlle Josse nous livre un roman d'une rare intensité, qui interroge nos choix, nos fragilités, et le cours de nos vies.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Venue a l’écriture par la poésie, Gaëlle Josse publie son premier roman, Les heures silencieuses, en 2011 aux éditions Autrement, suivi de Nos vies désaccordées en 2012 et de Noces de neige en 2013 chez le même éditeur. Ces trois titres ont remporté plusieurs récompenses, dont le prix Alain-Fournier et le prix national de l’Audio lecture en 2013 pour Nos vies désaccordées. Le dernier gardien d’Ellis Island a été un grand succès et a obtenu, entre autres récompenses, le prix de Littérature de l’Union européenne. Une longue impatience a reçu le Prix du public du Salon de Genève, le prix Simenon et le prix Exbrayat. Une femme en contre-jour a remporté le prix Terres de Paroles 2020 et le prix Place ronde du livre photographique. Ce matin-là, paru en 2021, a également rencontré une très large audience. Elle signe son retour à la poésie avec son recueil Et recoudre le soleil, paru en 2022. La nuit des pères, son nouveau roman, est paru fin août 2022. La plupart de ses romans sont traduits dans de nombreuses langues et étudiés dans les lycées. Gaëlle Josse est diplômée en droit, en journalisme et en psychologie clinique. Après quelques années passées en Nouvelle-Calédonie, elle travaille a Paris et vit entre Paris et la région parisienne. Elle est chevalier des Arts et Lettres et Chevalier de la Légion d'Honneur.

 

Avis :

Encore sous le choc du décès de son conjoint, victime d’un arrêt cardiaque lors du tournage d’un film sur les fonds marins dont, documentariste de profession, elle assurait la réalisation, la narratrice Isabelle revient avec appréhension dans le village des Alpes qui l’a vue grandir et où elle n’a pas remis les pieds depuis longtemps. Elle répond à l’appel de son frère, Olivier, car leur père, ancien guide de montagne désormais nonagénaire, décline et commence à perdre la mémoire.
 
Ces retrouvailles font resurgir chez Isabelle les souvenirs douloureux d’un homme dur, irascible et imprévisible, dont, adulte, elle avait finit par fuir les mots blessants et la chape de plomb qu’il faisait peser sur leur famille. Mais ce passé commun qui, chez elle resté à vif, lui saute à la gorge à l’occasion de ce retour, est en train de se désagréger dans la mémoire de ce père qu’elle redoute tant de retrouver. Cet effacement n’en rend que plus vivace les hantises qui n’ont cessé d’empoisonner cet homme depuis que des faits terribles, tenus enfermés au plus secret de sa colère et de sa culpabilité, sont venus l’écraser de leur irrépressible fardeau.

Au taraudant questionnement adressé intérieurement à son père par Isabelle répondent alors enfin les révélations qui vont apporter l’apaisement et permettre à l’amour, in extremis, de trouver sa juste place. Il aura fallu son proche anéantissement dans l’oubli pour que la mémoire finisse par trouver les mots, brisant la malédiction du silence et de ses ravages souterrains, si compacts autour de certains faits honteux de l’Histoire. La douleur, même cachée, irradie. Elle se transmet de manière rampante, meurtrissant parfois plusieurs générations. Et si Olivier, en apparence plus serein, ne prend la parole qu’en dernier dans ce récit, ce n’est pas pour autant que, plus insidieusement impacté que sa soeur, il n’a pas lui aussi fait les frais de la douleur silencieuse de ses parents.

Modèle de concision et de retenue, ce roman d’une parfaite justesse est bouleversant. On le referme impressionné par la simplicité de son évidence sur un sujet aussi complexe. (4/5)

 

 

Citations : 

Je réalise combien c’est facile de partir, de tout laisser en plan, de tout laisser aux autres. Une valise, un sac à fermer, une porte à claquer, et c’est la vie devant soi. Jusqu’au moment où la précédente vous rattrape.

On n’oublie jamais ce qui nous a terrorisé, on tente juste de fermer la boîte, et ça ne marche jamais.

Nos corps, nos chairs nous trahissent avec le temps, seul demeure le regard, parfois étrangement enchâssé dans des traits qui ont glissé, fondu ou durci.

Me revient à l’instant en mémoire cet article de journal, lu il y a quelques semaines. Des Japonais, des Coréens, hommes et femmes, font corriger au laser les lignes de leurs mains. Entre esthétique et superstition. Faire corriger sa ligne de cœur, sa ligne de chance, sa ligne de vie. Quinze minutes suffisent, paraît-il, à dessiner un nouveau tracé. J’avais trouvé cela terrifiant autant que fascinant. Le pacte du docteur Faust revu à l’aune de la chirurgie esthétique. Et si cela suffisait à infléchir le destin ? Que faudrait-il céder en échange ?

Cent fois j’ai été sur le point de parler à Isabelle. Elle avait droit à cette histoire, c’est aussi la sienne. Et je me souvenais que j’avais promis, quoi que j’en pense. Ç’a été un poids accablant, une pierre sur les épaules, mais j’ai tenu. Je ne crois pas avoir eu raison. Cent fois j’ai voulu prendre cette responsabilité de rompre une promesse consentie pour apaiser un ultime départ, de la rompre en conscience, en liberté, mais chaque fois que je me trouvais au bord des mots, il y avait ces sensations de graviers dans la gorge, de plomb dans le cœur. Comme une main, posée sur mon bras, qui m’arrêtait. Il n’y a pas de jour où je ne me suis demandé si les promesses faites aux mourants étaient plus importantes que les blessures des vivants.

 

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