samedi 19 juillet 2025

[Brunel, Philippe] Le cercle des obligés

 



 

Coup de coeur 💓

 

Titre : Le cercle des obligés

Auteur : Philippe BRUNEL

Parution : 2025 (Grasset)

Pages : 240

 

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur : 

Automne 1968, dans une décharge des Yvelines, Stefan Markovic, homme à tout faire et doublure d’Alain Delon, est retrouvé mort, ligoté dans une housse de matelas, le visage détruit et une balle dans la nuque. Automne 1993, sur le parking d’une résidence, le long des marais salants de la presqu’île de Giens, Henri Diana, grande figure du Milieu varois, est assassiné. Vingt-cinq années, deux morts, et un peu de sable blanc de la côte d’Azur comme piste oubliée. 
Ainsi commence Le cercle des obligés, le roman vrai de Philippe Brunel. Son héros, un jeune journaliste sans pratique mais avide de s'élever, suit les pas d’un reporter de légende, Pierre Salberg, qui enquête sur la plus sulfureuse des affaires des années 70. Simple règlement de compte, crime d’honneur, vendetta personnelle, complot politique, le meurtre de Markovic soulève autant de fantasmes que d’énigmes. Et maintient, égare, blesse les êtres dans une connaissance impossible. 
On croise ici des ombres, le réalisateur Jean-Pierre Melville, dont le studio-maison s’enflamme ; Alain Delon, magnifique et provocateur ; Markovic, garde du corps, ami, amant de l'épouse de l'acteur ; des femmes de grande vie, des hommes de basse vertu, des chefs d’Etat ; et une France cinématographique, violente et trouble, entre Série noire et le Café de la jeunesse perdue.
A coup d’hypothèses, de rencontres et de choses vues, Philippe Brunel reconstitue l’histoire perdue derrière l’affaire Marcovic.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Né en 1956, Philippe Brunel est journaliste. Il est l’auteur, entre autres, de Vie et mort de Marco Pantani (Grasset, 2009), remarqué en France, best-seller en Italie ; de La Nuit de San Remo (Grasset, 2012), de Rouler plus vite que la mort (Grasset, 2018) et Laura Antonelli n’existe plus (Grasset, 2021).

 

Avis :

Il était  « secrétaire, garde du corps et doublure lumière » d’Alain Delon, mais aussi son ami et, bientôt, l’amant de sa femme Nathalie. Il fut retrouvé une balle dans la nuque et le visage fracassé dans une décharge des Yvelines. Aussitôt, ce fut l’emballement médiatique. Elimination vengeresse commanditée par l’acteur ? Ou initiative des truands qu’il fréquentait pour en faire un débiteur, un obligé ?

Ainsi démarre en octobre 1968 la trouble affaire Marković qui, entre rumeurs de parties fines avec des personnages politiques, chantages et même photographies truquées visant à compromettre Claude et Georges Pompidou, n’en finit pas de rebondir dans un parfum de scandale. Probablement la plus retentissante de l’après-guerre, l’enquête de police ne s’en est pas moins cassé les dents, laissant s’étendre jusqu’à nous des ombres que Philippe Brunel a entrepris de convier dans un roman vrai empreint de mélancolie.

Son rapport à la réalité à jamais brouillé par le trouble ressenti lorsque, enfant et croyant apercevoir Alain Delon et le réalisateur Jean-Pierre Melville dans une voiture américaine, il entendit les gens alentour s’exclamer « C’est lui, oui c’est bien lui ! C’est Jef Costello ! », autrement dit le personnage incarné par l’acteur dans un de ses films, le journaliste écrivain invite donc la réalité dans ce qui lui semble sa version la plus probable au coeur d’une fiction qui replonge dans l’affaire Marković tout autant qu’elle raconte une époque et une jeunesse perdue, celle d’un narrateur empruntant beaucoup à la mémoire de l’auteur.

C’est en fait une triple temporalité qui tend habilement le récit. Devenu journaliste aguerri à son tour, le narrateur tente de renouer les fils de l’enquête abandonnée trente ans plus tôt par un vieux briscard du journal, Pierre Salberg, qui l’avait alors engagé comme jeune assistant avant de disparaître. Son aîné s’intéressait alors à l’assassinat en 1993 d’un mafieux de la côte varoise, dont il soupçonnait qu’il avait aussi trempé dans l’affaire Marković. De 1968 aux années 1990 et à ce qu’il en reste aujourd’hui dans la mémoire de notre homme et des quelques témoins encore vivants, la réalité s’enveloppe si bien de brumes fantomatiques qu’elle n’est pas près de livrer ses mystères.

Se servant de la fiction pour mieux raconter une histoire vraie, l’auteur ne nous tient pas seulement suspendu au mystère d’un fait divers qui, en son temps, secoua la France entière. Ce que l’on retiendra plus encore ici, c’est sa façon toute modianesque d’observer avec mélancolie la lumière qui continue de nous parvenir de ce passé comme d’une étoile depuis longtemps éteinte, l’onde de plus en plus diffuse provoquée par une réalité coulant toujours plus profondément au fond de la mémoire et du temps passé : une manière qui convainc largement que, journaliste sportif de renom, Philippe Brunel gagne aussi à être connu comme écrivain. Coup de coeur. (5/5)

 

Citations :

Inutile de se mentir, la vie n’a pas l’épaisseur qu’on lui prête. Elle n’est rien d’autre qu’une longue conversation avec soi-même, qu’on ressasse à l’infini sous l’assaut des regrets, des malentendus, des chagrins qui perdurent sans parvenir à chasser les particules d’obscurité qui la recouvrent et l’empoussièrent. Notre volonté d’y voir clair ne mène qu’à de nouvelles impasses et ne fait que raviver en nous le sens du provisoire et de la perte. D’où un vague sentiment d’échec, d’enlisement familial et cette confusion qui me saisit quand je repense à ce séjour sur la Côte d’Azur, à ces temps lointains où je n’avais pas encore pris la mesure des choses. 


Avec ses autopsies sommaires, ses perquisitions bâclées, ses faux témoins, ses photomontages grossiers dont l’authenticité importait moins que l’usage qu’on leur prêtait (l’un d’eux confectionné par la presse à titre d’illustration montrant madame Pompidou au bras d’un Markovic à la tête encollée), l’instruction s’était peu à peu enlisée dans un bourbier fictionnel, une masse indiscernable, lacunaire d’intrigues sur fond de tripatouillage politique. Ça relevait, au choix, de l’imbroglio mafieux, d’un sac de nœuds à la Chandler ou, mieux encore, d’une grille de mots croisés noircie par une déclinaison entremêlée de personnalités, une star de cinéma et sa femme, des call-girls, un truand corse fiché au registre du grand banditisme, un garde du corps sans statut officiel, des ministres et hauts fonctionnaires en DS noires liés par un mensonge d’État, un candidat à l’Élysée et son épouse, des intermédiaires yougoslaves suspectés de travailler pour les services secrets. Tous ces gens s’étaient tour à tour inscrits, explicitement ou non, dans un alliage de rancœurs et d’infidélités, au générique de ce rébus faisandé puant la mauvaise conscience, l’autre face impensée du pouvoir et de la célébrité. Manquait l’essentiel : le nom du commanditaire, du meurtrier.


D’après les experts, un meurtrier commettrait une vingtaine d’erreurs par imprudence, vanité, encouragé par une petite voix intérieure, machiavélique, qui lui susurre « à quoi bon être le diable si tout le monde l’ignore ». Marcantoni avait pu céder à ce péché d’orgueil d’abandonner des indices, derrière lui, sciemment, pour revendiquer la paternité du meurtre, offrir ce sacrifice en gage de sa fidélité à l’acteur dont il chérissait jalousement l’amitié. Ou plus sournoisement, par une sorte de réflexe narcissique, pour l’inscrire dans le « cercle des obligés » et faire de lui son débiteur.


Les truands, bâilleurs de fonds des campagnes électorales, prospèrent d’autant mieux que les élus sont corrompus. Ils bâtissent des immeubles sur les ruines romaines du temple d’Aristée, volent, détournent des amphores.
Trois hommes masqués par des nez de cochon ont rossé à coups de batte de base-ball Ritondale qui renonce à se représenter au conseil général.
La veille du premier tour, Fargette est assassiné en Italie.
Hyères est en ébullition. Les explosions se succèdent avec la destruction du Sax, du Macama.
Les requins sont sur terre. Et plus rien n’étonne : ni les assassinats, ni les explosions, ni de voir le maire se déplacer avec sa propre police et nourrir des amitiés dans le milieu.


 

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