vendredi 28 février 2025
Bilan de mes lectures - Février 2025
Coups de coeur :
J'ai beaucoup aimé :
jeudi 27 février 2025
[Develey, Alice] Tombée du ciel
Coup de coeur 💓
Titre : Tombée du ciel
Auteur : Alice DEVELEY
Parution : 2024 (L'Iconoclaste)
Pages : 399
Présentation de l'éditeur :
Comment tombe-t-on malade à cet âge ? Qu'est-ce qui peut conduire un enfant à cesser de s'alimenter ? Entre ces murs où elle subit des traitements révoltants, Alice rencontre d'autres filles comme elle, tombées du ciel. Elle décide de raconter ces vies minuscules dans un cahier. Écrire devient un moyen de ne pas oublier, et surtout de résister.
Tombée du ciel est un roman d'amitié, d'adolescence et de révolte.
Un mot de l'éditeur l'auteur :
Alice Develey est journaliste au Figaro littéraire et créatrice de la rubrique La langue française sur le site du Figaro depuis 2016.
Avis :
A quatorze ans, Alice est un peu gothique, passe sa vie dans les livres pour oublier le divorce de ses parents et trompe sa solitude avec Sissi, une voix méchamment autoritaire qui s’est installée dans sa tête et qui l’encourage dans ce qui est devenu une obsession, perdre gramme après gramme, quitte à ne plus se nourrir que de pommes. Elle qui ne se sent pas malade, et certainement pas encore assez maigre, ne comprend pas pourquoi elle se retrouve hospitalisée, soumise à l’autorité de soignants prêts à tout pour la faire manger et la remplumer.
Commence pour l’adolescente un long dévissage vers le fond toujours plus abyssal de l’enfer. Tout au renflouage du corps de la jeune fille, le personnel médical indifférent aux causes de son problème use tour à tour, par calibre croissant faute de résultats – Alice a maintenant cessé toute alimentation et, prolongeant les violences subies, s’est mise à se mutiler toujours plus gravement –, des seules armes à son arsenal : punitions et coercition. Entre gavage par sonde, camisole chimique, mise à l’isolement et même ligotage sur son lit, Alice s’est mise à faire la navette entre le service des anorexiques et l’étage des postaigus en pédopsychiatrie.
Dans son naufrage au bout de l’incompréhension, de la violence et de la souffrance, Alice s’attache à ses semblables, camarades d’infortune qu’elle voit néanmoins partir une à une. Qu’est-ce qui l’empêche, à son tour, d’avoir envie de réintégrer le monde des vivants ? « Je n’ai pas peur de mourir, c’est vivre qui m’effraie ». Alors que Sissi l’insulte et la fait se sentir monstrueuse – « tu es une plaie, l’échec de tes parents, un boulet », « ta mère t’a jamais aimée, t’es qu’un poids, un énorme poids » –, la jeune fille s’est convaincue que seul le suicide pourra mettre fin à son calvaire.
Auparavant, plus que jamais étreinte par cette haine et cette colère qu’elle a pris l’habitude de retourner contre elle-même, « parce qu’à la fin il ne reste plus que ça, des mots » et parce « qu’on oublie ceux qui parlent pas », elle entreprend avec rage de jeter son histoire sur les pages d’un cahier. Et c’est ce journal, miroir d’un combat entre une intelligence âprement aiguisée et une force intérieure si obscure que les mots demeurent souvent impuissants à l’appréhender, qui donne sa forme à un récit d’une puissance et d’une justesse qui doivent tout à l’authenticité et à la profondeur du vécu.
Seize ans plus tard, la douleur et la colère d’Alice Develey sont toujours assez vives pour crever les pages de cette autofiction au langage sans détour, transpirant une impuissance violente et désespérée qui vous prend à la gorge et ne vous lâche plus. Retour sur une expérience largement indicible, ce texte est gros des questionnements qui continuent à assaillir l’auteur. Ici affleure la violence d’attitudes familiales comme une hypothèse contributive d’une profonde angoisse affective. Là sourdent l’accablement et la révolte face au cruel manque de moyens qui fait verser dans la maltraitance les services hospitaliers affiliés à la psychiatrie. Au final, ce cri revenu des enfers s'avère un témoignage inestimable, autant indispensable pour mieux se représenter les réalités de l’anorexie, que porteur d’espoir pour tous ceux qui se sentent aujourd’hui isolés dans un semblable cauchemar. Coup de coeur. (5/5)
Citations :
Beaucoup d’enfants que je croise dans les couloirs semblent heureux d’être malades. D’une certaine façon, la douleur les élève. Les enfants qui souffrent ne font plus vraiment partie du monde des vivants. Ils ont leur propre soleil, leur propre temps. Ils sont intouchables, vénérables. On les regarde avec ce respect propre aux choses qui nous dépassent, dans leur art et leur secret. Les parents, à leur chevet, se mettent tous à genoux. Ils doivent penser que dans toute part d’insaisissable se cache la trace d’un dieu et ils se mettent à l’invoquer. Qu’ils soient athées ou non, la maladie devient leur religion.
Midi sonne. Je regarde les filles manger du pain. C’est curieux, je me dis. En dehors de la maladie, qui sommes-nous ? Nous vivons les unes à côté des autres et nous ne savons rien les unes des autres. D’où viennent-elles ? Est-ce qu’elles ont des frères et sœurs ? De quelle couleur sont leurs yeux ? D’un commun accord silencieux, nous avons considéré que ces informations n’avaient aucun intérêt. Mais ça me peine. On remplacerait Louise par Pia et Pia par Louise, je ne le verrais pas. Les mots sont toujours les mêmes. Même voix. Même sourire. « Ça va ? Oui, et toi ? Oui. » Et je me fais cette affreuse impression de vivre tous les jours le même jour. Il faut croire qu’à l’hôpital il n’y a que le présent qui compte. Mais le problème de ce temps, c’est qu’on ne peut pas vivre dedans.
Récemment encore, je jouais à mourir. Je m’inventais un monde dans lequel on m’aurait aimée. On m’aurait aimée parce que la mort, comme un torchon, permet d’effacer la plus tenace des crasses. Et je suis une tache. L’erreur de mes parents. Ce n’est pas moi qui le dis. Quand je suis née, papa et maman ne s’aimaient plus. Ils avaient eu leurs années de joie, leurs photos et leurs albums. Celui d’Armand était épais comme un dictionnaire. On y voyait Armand en costume de chevalier, Armand à la piscine, Armand sur la balançoire, Armand dans sa salopette. Ils avaient bien eu cinq ans pour s’aimer. Et puis… La colère était venue habiter chez eux. Ils ne savaient plus se parler. Maman m’a dit qu’elle était tombée enceinte de moi pour essayer de sauver notre famille. Ça n’a pas marché. Quand elle a divorcé et qu’elle a fait les cartons, mon album était encore tout petit, si petit… Je suis l’enfant de l’échec. Essayez donc de vivre avec ça.
« Tu sais que je fais tout ça pour que tu retrouves ta vie. »
Rebecca voudrait que je sorte et elle m’enferme.
« Tu as envie de revoir tes amis, non ? »
Elle m’enlève le peu que j’avais pour m’obliger à le retrouver.
« Pense à ton avenir… »
Je n’appartiens plus à ce monde-là.
Survivre.
C’est pire que la mort.
J’ai rêvé ma mort comme les grands romantiques, et avec une certaine jouissance, imaginant les regrets et la souffrance que j’allais causer. Le suicide, c’est jouer sur une scène de théâtre devant une salle vide. On espère toujours que quelqu’un va venir. C’est ce que je pensais, mais la mort réelle n’est pas belle. Qu’est-ce que ça m’a fait quand Rebecca m’a dit que je risquais la crise cardiaque ? que j’avais une péricardite ? que j’avais bloqué ma croissance et que je ne grandirais plus jamais ? que j’aurais des os de vieux à vingt ans ? que mes dents resteraient jaunes ?
De la colère.
Une immense colère.
Une immense colère bleue.
Le cœur retient tout. Il doit y avoir une sorte de trappe sous le plancher de l’aorte, où l’on enferme les mauvais souvenirs mais qui parfois, à cause d’un mauvais coup, d’un mot ou d’une odeur, s’ouvre et relâche les traumatismes comme des bêtes sauvages.
Il n’y a que les cons pour juger la beauté de la langue… Ils voudraient que les mots soient lisses, bien douillets, bien proprets, comme l’eau d’un bain. Que tout soit propre surtout. Trop gentil. Trop mignon. Ils voudraient que rien ne dépasse, pas d’éclaboussures, pas de ratures. Bien sûr que l’écriture est dégueulasse. C’est un charnier, un monceau de cadavres ! Une fosse commune ! C’est l’eau dans laquelle on s’est lavé. Il faut que ça sente la sueur, la crasse. Chaque phrase doit être un accouchement. Des draps blancs devenus rouges. Une douleur. On n’écrit pas en pensant. Et ceux qui disent le contraire écrivent avec du savon. On ne maîtrise rien. On ne sait pas comment les mots sortent. C’est un cri. Un vol. Un rapt. Toute écriture est une blessure. Soit on la cicatrise, soit on la creuse. Mais c’est toujours dans le sang qu’on plonge la plume. La beauté ne surgit qu’à cette condition-là. Parce que la beauté est un mémorial. Dieu nous a donné le temps et le temps nous a donné la mort. Et quand la beauté surgit, que les heures sont suspendues, nous le tuons à notre tour. Toute écriture est une lutte contre la mort.
Le temps ne guérit pas les blessures, il leur donne juste une autre profondeur. Et les cicatrices sont des trous dans lesquels il est si facile de retomber.
Souffrir demande du temps. Plus la coupe est lente, plus elle est douloureuse. Quand la souffrance monte, on ne se contente plus d’habiter son corps, on en prend possession. On voit comment il réagit, on interagit avec lui, on devient deux.
D’abord, l’anorexique ne refuse pas de manger. Elle ne ressent pas la faim, ce qui est bien différent. Or voilà l’une des mauvaises conceptions qu’on se fait d’elle : l’anorexique ne veut pas se nourrir. Comme si cette décision lui appartenait. L’anorexique ne décide pas de se priver de nourriture, elle ne fait pas de régime, elle ne fait pas. Elle se défait. L’anorexique n’est pas dans la privation mais dans la disparition. Il faudrait s’imaginer ce qui lui arrive comme un mauvais film d’horreur. L’anorexie prend possession d’elle. Quand l’anorexique parle, c’est l’anorexie qui répond. Quand l’anorexique ne mange pas, c’est l’anorexie qui le lui interdit. Bizarrement pourtant, on dit souvent que l’anorexique chercherait ce qui lui arrive. Elle serait non seulement responsable, mais coupable de se laisser mourir de faim. Après tout, dans une société de consommation aussi décadente que la nôtre, où il semble plus facile de crever obèse que la peau sur les os, l’anorexique paraît bien indécente. Mais pourquoi lui faire ce procès ? Il ne viendrait à l’esprit de personne de reprocher à un cancéreux d’avoir attrapé un cancer. Pourquoi serait-ce le cas avec une anorexique ? Ça ne se décide pas de tomber malade.
Au fond, je ne sais pas ce qu’est l’anorexie, mais je sais ce qu’elle n’est pas. Elle n’est pas un problème de nourriture. L’anorexique ne fait que ça, bouffer. Toute la journée, elle en parle. Manger, ne pas manger. Croquer, couper, gaspiller. Elle a du vomi à la place des idées, des grumeaux de pommes et de pâtes dans le cerveau. L’anorexique bouffe ses émotions. Elle procède avec elles comme avec une araignée, elle les tue. L’anorexique déteste ce qu’elle est au plus profond de sa chair, elle déteste ce corps qui lui rappelle qu’elle ressent malgré elle. Alors elle se venge, elle sait exactement ce qu’il lui faut pour se faire souffrir. La nourriture est un prétexte. C’est pour ça que l’anorexique est fascinée par les malades. Elle voudrait voler des maladies. Elle voudrait prendre leur douleur. Rien d’humaniste là-dedans. L’anorexique est égoïste. Quand elle voit un cancéreux famélique, elle ne ressent aucune pitié, tout ce qu’elle se dit c’est « Et moi ? ». Elle ne voit ni la peur ni la mort sous la peau, mais les os, le squelette. C’est son porno à elle.
L’anorexique veut toujours plus, prisonnière éternelle de son insatisfaction. De fait, elle n’est jamais assez maigre. Elle ne compte pas son poids en kilos mais au gramme près. Elle mourrait pour en perdre trois. Et bien sûr, dans ce décompte morbide, elle jalouse, déteste même, toutes celles qui sont plus rachitiques qu’elle. Vêtements, prises de sang, plateaux-repas… Les anorexiques se comparent tout le temps. Elles alternent comme ça entre dissimulation et exhibition, en jogging ou en legging, les yeux qui mesurent et qui pèsent. C’est pour cette raison que les regrouper au sein d’un même service est au mieux stupide, au pire criminel.
C’est presque du théâtre. On rejoue les mêmes dialogues. Mais qui est l’auteur ? Qui a inscrit ces répliques au script ? Le corps féminin grandit dans l’empêchement. Il faut se restreindre. Être dans la mesure. La bonne mesure, le bon poids, la bonne couture. Si on dépasse cet équilibre fragile, on devient autre chose qu’une femme. Tout ça, ce n’est pas moi qui le dis, mais le regard des gens. Suffit de voir comment on culpabilise un gros qui bouffe une pâtisserie en public. Je ne sais pas si ce phénomène est conscient. Si on peut l’empêcher. Mais d’après ce que je vois, nous ne pensons pas, nous sommes pensés.
L’anorexie est un mal qui ne naît pas de l’image mais de l’œil. Il a besoin de l’autre et de son regard pour souffrir. L’anorexie est une maladie de l’autre. C’est la peur de ne pas être ce qu’il faut, ou plutôt la peur de voir ce que l’anorexique est : imparfaite. Elle a un problème avec ce qu’elle est. Ce n’est pas tant qu’elle ne supporte pas son corps, elle ne supporte pas d’être un corps. Le problème, ce n’est pas son rapport à la nourriture, mais son rapport au temps.
L’anorexique veut être Dieu. Oui voilà, en chaque anorexique se cache un Dieu contrarié. Elle veut contrôler tout ce qui la dépasse. Or, ne pouvant changer le monde, elle change le sien. L’anorexie est sa guerre intérieure, sa révolte contre l’absurde. Elle croit qu’elle peut infléchir son destin, son histoire, elle croit qu’elle peut faire péter la langue, tout réécrire, la vie, la mort, elle se vide de son langage, plus de mots, que du silence, elle se purge de son âge pour ne plus grandir, ne plus vieillir, elle se vidange le ventre, retour à l’intérieur. L’anorexie, c’est l’explosion d’une étoile.
Est-ce qu’il vaut mieux se rappeler ou s’oublier ?
Je crois que je préfère le passé à l’avenir. Les souvenirs sont du côté des certitudes. L’après, on peut que le regretter…
Souvent, on entend dire qu’on fait des enfants pour se prouver qu’on s’aime, transmettre une histoire, une famille, un sang. Mais tout ça c’est des conneries. Un enfant, c’est des fleurs sur une tombe.
Je vais mourir. Je me répète ça avec l’étrange réflexion que je n’ai plus peur. La peur, c’est quand on a encore de l’espoir.
Les romans, c’est la place des perdants. C’est le lieu de ceux qui n’existent pas. Lire, c’est devenir personne. « Être partout, rester nulle part. »
mardi 25 février 2025
[Lodoli, Marco] Si peu
J'ai beaucoup aimé
Titre : Si peu (Tanto poco)
Auteur : Marco LODOLI
Traduction : Louise BOUDONNAT
Parution : en italien et en français (P.O.L.)
en 2024
Pages : 144
Présentation de l'éditeur :
Le nouveau roman de Marco Lodoli raconte la passion silencieuse et implacable d’une femme, concierge dans une école, pour Matteo, professeur et écrivain, qui ne remarque rien, trop pris dans son art, ses ambitions, dans l’illusion d’être différent des autres. Elle n’a pourtant jamais cessé de l’aimer. Mais à quel prix ? Quarante années passées à le défendre des dangers, du mal, du monde. En silence, en secret, car pour aimer ainsi, il faut savoir tout perdre. Elle a dû être inflexible, féroce. Protéger et chérir sans jamais s’exposer, sans se dévoiler : « J’avais besoin de le voir chaque matin, d’échanger avec lui un rapide bonjour, et imaginer que sans moi, qui ne suis presque rien, il se serait égaré dans l’existence comme un enfant dans la forêt. »
Ces deux existences parallèles finiront peut-être par se rencontrer. Le temps d’une nuit, dans une étreinte entre illusion et oubli. Ce grand livre, d’une beauté sombre mais magique, fait le récit d’un amour fou, une grâce noire que l’on n’obtient que par renoncement. La fin du livre rejoint de très grands textes mystiques sur l’effacement. Parabole radicale sur l’espérance, comme une obsession absurde et magnifique, qui ne tient qu’à presque rien, à « si peu » (tanto poco). C’est aussi une parabole de la rédemption par la fiction, qui permet de tenir, d’espérer, d’inventer l’avenir même si les chemins sont impossibles. Avec ce sentiment bouleversant de poursuite d’un rêve que rien ni personne ne doit interrompre. Une fiction folle, et pour cela plus forte que toute réalité.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Avis :
La narratrice est concierge dans un établissement scolaire qui pourrait être jumeau de celui de l’auteur. Ombre sans prénom, elle fait partie des murs depuis maintenant quatre décennies quand elle se lance dans ce récit ouvrant sur ses vingt-six ans et ce fameux jour qui devait donner le ton au reste de sa vie. Ce jour-là débarque au lycée, en retard et dégoulinant de pluie, celui qu’elle prend d’abord pour un élève indiscipliné et qui s’avère un jeune professeur de lettres, tout aussi peu adapté au moule de l’établissement. Dépourvu d'autorité, dédaignant notes et contrôles tout en s’affranchissant des programmes, ce poète-albatros s'attire aussitôt la réprobation ouverte de ses pairs et de sa hiérarchie, mais aussi, lui qui du haut de sa sphère intellectuelle ne la regardera jamais, le secret amour de la jeune femme humblement cantonnée à ses tâches subalternes.
Elle ne variera jamais, d’autant plus fidèle à son idéal que les laideurs de son quotidien n’offrent d’autre issue que la résignation. De même qu’entre vidage des poubelles et nettoyage des toilettes elle préserve farouchement les roses blanches qu’elle a pris l’initiative de faire fleurir dans le jardin du lycée, toute sa vie elle cultivera la beauté muette d’un amour rêvé, en réalité bien plus vaste que son véritable objet car cristallisant les aspirations mort-nées d’une existence socialement entravée et résignée à subir sans espoir une violence systémique, symbolisée par un viol et un avortement tous deux silencieux.
Pendant qu’elle sublime sa vie insupportable en un éden secrètement fantasmé, le défendant bec et ongle contre les assauts d’un réel que son inconscient lui fait se représenter sous la forme d’un gnome fantastique, lui que ses origines sociales encouragent dans ses ambitions entreprend de vaincre les mesquineries et les frustrations qui encombrent son métier en goûtant la gloire de l’écriture. Et si, de Marco Lodoli à son personnage Matteo Romoli, les évidentes proximités semblent teinter le récit d’une certaine auto-dérision, ce n’est là encore que pour mieux peindre les rêves, puis cette fois les désillusions, face à la cruauté d’un monde en vérité tueur de poésie.
Citations :
Les années passant, tout devient plus vague, toute forme de détermination se dissout et il paraît presque étrange d’imaginer qu’un jour une chose précise a existé, un fait survenu à telle date, une rencontre dans tel lieu, que nous avons acheté des objets qui existent vraiment et qui sont encore là dans le placard ou sur la table de la cuisine, et qui sont les nôtres. La jeunesse veut, revendique, s’impose, mais ensuite, avec le temps, tout s’effiloche, perd de sa substance et devient un regard où rien n’est certain, un patchwork d’images qui vont et viennent et sont inintelligibles. C’est comme si la vie elle-même n’était plus ma vie ou la tienne ou la sienne, mais seulement un grand champ nébuleux où nous errons tous sans visage dans un voyage tel un courant qui nous entraîne où bon lui semble. Les pensées ne sont plus un bien ou un mal intime, personnel, ce sont les pensées du monde qui traversent nos esprits de plus en plus vertigineux, indéfinis. Bien sûr je ne suis pas capable d’expliquer rigoureusement ce qui se passe, je n’ai pas étudié et je n’ai quasiment rien compris, mais je sens que ma vie m’appartient moins, que j’y suis comme dans un hôtel avec beaucoup d’autres, avec tout le monde, un hôtel qui m’accueille, mais où rien n’est vraiment à moi. Et parfois je me demande : quand je ne serai plus là, où finira la somme de ce que j’ai vu ? La lumière s’éteint brusquement et tout disparaît ? C’en est fini des saisons, des villes, des fleurs, des guerres, de l’école ? L’amour pour Matteo s’évanouira lui aussi dans le néant, ou bien subsistera-t-il une trace dans l’univers, dans l’existence de ceux qui restent, dans l’air qui emplit l’hôtel infini ? Plus j’avance, plus tout ça ressemble à un rêve, et j’ai peur de me réveiller et de le voir se dissoudre dans le néant, de ne plus m’en souvenir. Je veux continuer à aimer Matteo, même si je ne sais plus bien qui je suis et qui est Matteo, mais je sais que ce sentiment est fort et nécessaire, que je veux aimer jusqu’à la fin, et aussi après.
dimanche 23 février 2025
[Zeniter, Alice] Frapper l'épopée
J'ai aimé
Titre : Frapper l'épopée
Auteur : Alice ZENITER
Parution : 2024 (Flammarion)
Pages : 352
Présentation de l'éditeur :
Le destin de Tass croise celui de l’archipel calédonien et Alice Zeniter, avec une virtuosité romanesque remarquable, met en scène son passionnant visage contemporain, à l’ombre duquel s’invite, façon western, son passé pénitentiaire et colonial.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Alice Zeniter est née en 1986. Elle publie son premier roman en 2003, Deux moins un égal zéro, aux Éditions du Petit Véhicule à l'âge de 16 ans. Alice Zeniter étudie ensuite à l'École normale supérieure puis publie son second romain Jusque dans nos bras (2011).Elle enseigne le français en Hongrie, où elle vit plusieurs années. Elle y est également assistante-stagiaire à la mise en scène dans la compagnie théâtrale Krétakör.
Par la suite, elle publiera six romans, parmi lesquels Sombre dimanche (Albin Michel, 2013), Juste avant l'oubli (Flammarion, 2015), L’Art de perdre (Flammarion, 2017) et Comme un empire dans un empire (Flammarion, 2020).
Dramaturge et metteuse en scène, elle a reçu de nombreux prix littéraires dont le prix du Livre Inter, le prix des Lecteurs de l’Express et le prix de la Closerie des Lilas en 2013, le Prix Renaudot des Lycéens 2015 et le Prix Goncourt des lycéens en 2017.
Alice Zeniter écrit aussi pour le théâtre avec Spécimens humains avec monstres (2011), Un ours, of course !, spectacle musical jeunesse (Actes Sud, 2015) et Hansel et Gretel, le début de la faim (2018).
Avis :
Demeurée une dizaine d’années en métropole après y avoir fait ses études, Tass revient définitivement dans sa Nouvelle-Calédonie natale à cause d’une rupture amoureuse. Ses fonctions de professeur dans un lycée l’amènent à se préoccuper de l’absence de deux de ses élèves, des jumeaux kanaks dont elle soupçonne qu’ils n’ont pas la vie facile. Son intérêt pour eux va lui faire croiser le chemin d’un mystérieux groupe indépendantiste, oeuvrant secrètement à ce que ses membres appellent « l’empathie violente ». Par de petits gestes symboliques reproduisant la dépossession – par exemple s’introduire dans une maison pour y déplacer des objets –, ils comptent semer le trouble dans l’esprit des Blancs pour qu’eux non plus ne se sentent plus tout à fait à leur place.
Cette première partie du récit servant à installer notre compréhension de la société calédonienne d’aujourd’hui, un monde stratifié aux possibilités limitées, figé dans la répétition sans fin des mêmes histoires familiales entre groupes et clans en mal d’identité depuis que les traditions millénaires se sont dissoutes dans les mille nuances séparant blancs-blancs, blancs-autres, purs-métis et autres variantes – pour faire simple, « disons que si tu vivais en tribu, tu étais kanak. Et si tu faisais partie du colonat, quel que soit ton métissage, on te comptait parmi les Blancs » –, l’on en vient naturellement, comme Tass qui ignore tout de cet ancêtre qui fut le premier de sa lignée à mettre un pied sur le « Caillou », à se poser la question du passé qui l’a façonnée.
Recourant à la magie des lieux, puisque, conformément aux croyances kanak, ceux-ci sont habités par les esprits des morts, l’auteur tire parti d’une chute de Tass dans un trou d’eau pour faire surgir les images de son ancêtre bagnard et, à travers lui, l’histoire de la colonisation de l’île par les Français. Au volet politique et social succède donc un aussi intéressant versant historique, dans une mise en scène que l’on pourra trouver, au mieux d’une liberté audacieuse, au pire d’autant plus brouillonne que vient s’y glisser, comme si besoin était pour l’auteur de se justifier, un chapitre sur la genèse du roman, sur les raisons de son écriture et sur les recherches afférentes. Il est surtout l’occasion d’expliquer les résonances entre les différentes histoires de colonisation et leurs mêmes héritages, qu’il s’agisse de la Nouvelle-Calédonie qui n’est rien à sa famille, ou de l’Algérie qui en est le berceau.
Documenté et réfléchi, juste et fouillé dans ses personnages, enfin profondément instructif et intéressant, le récit pourra toutefois faire regretter que l‘élan politique l’y emporte sur le souffle littéraire. Tout à son sujet de la complexité post-coloniale, Alice Zeniter signe ici un ouvrage convaincant et brillant sur le fond, peut-être moins sur la forme. (3,5/5)
Citations :
Les jeunes hommes qui vivent là, aux Saints, ont plus de chance que les autres de finir en cellule. Quand ils naissent, on devrait leur dire : franchement, si tu n’y passes aucun moment de ta vie, ce sera déjà un exploit. Ne pense pas à ce que tu peux faire, concentre-toi sur ce que tu pourrais ne pas faire. Ne pas aller en prison. Ne pas mourir jeune. Ne pas boire.
Quand elle appartenait encore à son clan, les histoires racontées lors des coutumes étaient longues et elles étaient vraies, déjà connues, déjà répétées : elles liaient les participants aux ancêtres et aux totems, elles mettaient chacun debout et le rendaient présent. Avant de partir, FidR habitait une structure millénaire, un lignage quasi éternel que la Parole rendait visible et le poids des héritages, parfois, lui ployait les épaules quand elle se tenait devant la Grande Case mais jamais elle ne doutait de sa place. Elle se demande si NEP et Un Ruisseau ressentent, comme elle, la perte de leur passé chaque fois qu’ils font la coutume, si un petit courant d’air de solitude leur passe aussi dans la nuque en ce moment. Elle les observe à la dérobée, NEP qui parle, les yeux brillants, les sourcils froncés, Un Ruisseau qui hoche la tête silencieusement. Ils paraissent imperméables au regret, intouchés par le manque qui agace FidR. Celle-ci se concentre sur l’histoire biscornue que NEP déroule aux pieds des nouveaux arrivants. Maintenant qu’ils n’ont plus que le groupe, ils n’ont pas d’autres ancêtres que ceux qu’ils se choisissent.
(…) mais avant qu’elle ait eu fini l’homme les a traités de faux Kanak. Les vrais, a-t-il dit, vivent à la tribu, écoutent les générations qui les précèdent et élèvent celles qui les suivent. Il a ajouté, en posant chaque mot comme un carré de sucre :
— Ce que vous faites n’est pas bien.
FidR a eu beaucoup de peine. Comme c’était elle qui parlait, elle s’est sentie personnellement visée. C’est sa fausseté à elle que l’autre a entraperçue. Ici, voudrait rugir FidR en se frappant la poitrine, ici c’est Kanaky. Mais il suffit qu’une personne lui dénie ce droit et elle doute. Les paroles des anciens lui reviennent, le moment de son départ, qu’est-ce qu’elle croit, elle n’est qu’une Kanak à la carte.
C’est ça, le problème de cette île. Même si on ne connaît pas tout le monde, on connaît presque tout le monde, au sens où on connaît tous les types de personnes qu’on peut devenir en grandissant, ils ne sont pas si nombreux, ils sont tous là, et rien ne s’invente vraiment, chacun rejoue la partition d’un autre, chacune reprend le rôle d’une autre, tout était déjà là, on devient le grand d’un petit, le parent d’une enfant, comme si tout le monde se décalait d’une chaise vers la droite mais toujours autour de la même table.
Tass déteste ce genre de phrases : elle ne sait pas si elles sont vraies ou non, elle n’a que des souvenirs d’enfant de son père. Mais surtout, elle déteste penser que son père aurait pu être là, c’est comme s’il apparaissait un instant pour lui être immédiatement arraché. Ça se remet à saigner, sous les croûtes. Elle a, malgré tout, demandé à sa mère pourquoi elle disait ça. Et Pascale a répondu que son père portait tous les souvenirs de son enfance pauvre, les odeurs d’huile et d’essence et du garage, et de l’enfance encore plus pauvre de ses parents, bien que ni Paul ni Madeleine n’en aient jamais rien raconté mais ces choses-là se sentent, et sans doute aussi le poids de la misère des grands-parents, des arrière-grands-parents, et le flou, terrible et total, autour de l’arrivée, forcément misérable, forcément difficile, du premier aïeul. Toute la famille avait travaillé dur avec l’espoir que les enfants grandiraient mieux et, de génération en génération, ils y étaient arrivés, lentement, péniblement. Mais l’indépendance apportait une incertitude contre laquelle leur travail acharné ne pouvait rien : peut-être que les enfants vivraient moins bien qu’eux, et les enfants des enfants aussi. Peut-être qu’il y aurait des temps de décroissance, d’effondrement, des pénuries et des départs. Ton père n’était pas le genre d’homme qui peut imaginer sereinement que ses enfants manqueront. Quel parent peut vouloir ça ? Ça l’aurait tué d’avoir à choisir oui ou non. Le bien du pays contre le bien de ses enfants, ou l’inverse. Te sacrifier aux demandes légitimes des Kanak. Sacrifier une décision juste à ton bonheur.
Moi, je demande, est-ce que l’avenir de la Calédonie, c’est le nickel ? Parce que ça a été notre avenir dans le passé, puis ça a été notre passé, et maintenant certains disent que c’est de nouveau notre avenir. Qui croit que le futur est fait de nickel ?
Laurie hurle Tesla. Izé relance : la Chine ! William fait de grands gestes de bras : Mais arrêtez, arrêtez, c’est comme un calendrier de l’Avent, cette île ! Vous avez déjà ouvert toutes les cases et bouffé tous les chocolats. Y a plus rien à éventrer. Tass demande : Alors quoi, le tourisme ? Laurie : On est bien trop chers ! William : Et puis ils sont trop moches. Des rugissements de rire autour de lui. Mais c’est vrai ! Les touristes, que ce soient les Français ou les Pokens, ils débarquent ici habillés comme des clochards et en plus ils prennent vlà les coups de soleil au deuxième jour et après ils sont comme des clochards rouges et gonflés. Laurie reprend : Ok, eux, ils sont moches mais nous, on est fin nuls en service clients. Tass ajoute que les requins font du tort au business aussi. Ils se reproduisent pile pendant l’été austral, ça rapproche toutes les femelles du rivage et maintenant, chaque année ça croque, on est en train de devenir la Réunion, les amis !
C’est ce que la mère de son élève lui a dit, l’année dernière : elle reviendra. Quand Tass a répondu que ce serait sans doute difficile pour la jeune fille, après avoir perdu une année, la mère a souri : Ça n’existe pas, « perdre » une année, ça ne veut rien dire, le temps n’est pas une grosse boîte avec une réserve d’heures limitées dedans, le temps c’est du paysage.
(…) la mer qui se réchauffe, les poissons qui disparaissent, le corail qui meurt, les oiseaux éteints, l’eau qui monte et monte encore, les méduses qui se multiplient, la terre incultivable, les guerres pour l’eau potable, les bêtes qui crèvent avant d’avoir mis bas, l’air devenu cancérigène, la merde dans la mer, littéralement de la merde, des selles humaines, suffisamment nombreuses pour contaminer de l’eau salée, le plastique invisible trouvé dans les tortues, trouvé dans les poissons, trouvé dans les estomacs et le sang. Des années à se dire que c’est devenu invivable, à se dire qu’on est foutus mais toutes les dates butoirs sont franchies les unes après les autres et aucun événement ne se produit pour marquer le coup. Les yaourts périmés non plus ne deviennent pas solides, ni bruns, ni mortels du jour au lendemain. Tass vit dans un yaourt périmé et il y a encore des gens pour demander si c’est mangeable. Elle vit un moment de fin depuis si longtemps que ce pourrait être un éternel milieu, quelque chose d’avant le pire qui sans cesse est repoussé puisque chaque étape du pire dispose elle aussi d’un pire plus lointain.
vendredi 21 février 2025
[Grumberg, Jean-Claude] Quand la terre était plate
J'ai beaucoup aimé
Titre : Quand la terre était plate
Auteur : Jean-Claude GRUMBERG
Parution : 2025 (Seuil)
Pages : 176
Présentation de l'éditeur :
Comment écrire quand les protagonistes d’un récit ont disparu ? Jean-Claude Grumberg rassemble son absence de souvenirs, les rares histoires racontées par Suzanne, sa mère, et les récits parcellaires arrachés à Maxime, son frère aîné. En revenant sur la vie de Suzanne, née à Paris en 1907 de parents originaires de Brody en Galicie (aujourd’hui en Ukraine), ce sont deux guerres mondiales et un siècle de soupçons, d’expulsions, d’exils et pogroms qu’il retrace, à sa manière si singulière, pointant l’absurdité sous l’horreur. C’est le portrait d’une femme qui élève seule ses deux fils lorsqu’elle comprend que leur père, Zacharie, ne reviendra pas d’« on ne sait où ».
Tout l’art de Jean-Claude Grumberg dans un récit bouleversant, aussi tendre que cruel.
Un mot sur l'auteur :
L’ensemble de son œuvre théâtrale est disponible aux éditions Actes Sud/Papiers qui ont également publié un recueil de ses pièces en un acte aux éditions Babel.
Il a reçu le prix du Syndicat de la critique, le prix de la SACD, et le prix Plaisir du théâtre pour Dreyfus, le prix du Syndicat de la critique, le grand prix de la Ville de Paris et le prix Ibsen et le Molière pour L’Atelier, ainsi que le Molière du meilleur auteur et le prix du théâtre de l’Académie française pour Zone libre et le Grand Prix de la SACD 1999 pour l’ensemble de son œuvre.
Avis :
Pièces de théâtre, scénarios, récits pour enfants et romans : Jean-Claude Grumberg a beaucoup écrit sur son vécu d’enfant juif caché pendant la seconde guerre mondiale, sur son père déporté sans retour et sur son premier métier de tailleur. Au soir de sa vie, il entreprend de raconter sa mère, Suzanne, qui, passée au travers des mailles de la déportation, s’est toujours refusée à évoquer le passé après avoir retrouvé ces deux fils à Paris après-guerre.Quelques anecdotes et de rares photographies sont le seul matériau dont l’auteur dispose quand il s’attelle à son livre. C’est bien trop peu pour former la ligne d’un récit biographique. Alors, au premier abord découragé, il a l’idée, comme il l’a déjà fait par le passé, de recourir au conte. Usant des bribes échappées à l’oubli comme des cailloux d’un Petit Poucet, il enjambe ombres et lacunes chaussé de bottes de sept lieues, pour coudre à gros traits, entrelacés des fils plus fins de son propre cheminement intérieur dans cette démarche, la trajectoire trouée d’ellipses, comme autant de chambres d’écho de l’Histoire, d’un destin malmené par son siècle.
Ainsi, se superposant à l’ombre fuyante de la disparue née à Paris en 1907 de parents originaires de Brody, en Galicie – aujourd’hui ukrainienne, cette ville autrefois la plus juive d’Europe ne compte désormais plus aucun Juif ou presque parmi ses habitants –, resurgit un XXe siècle balafré par deux guerres mondiales, par les pogroms et par l’exil forcé des populations juives de toute l’Europe. Et si les récits maternels font défaut à l’auteur en laissant à leur place un silence assourdissant, nul n’est besoin au lecteur de surmener son imagination pour combler lui aussi, guidé par les flashs narratifs de ce conte, les trous d’une histoire individuelle confrontée comme tant d’autres aux inconcevables cauchemars à répétition nés de l’antisémitisme.
Citations :
Si j’avais été plus brave, je ne me serais pas dirigé vers le théâtre, je serais devenu voleur. Je suis devenu voleur d’ailleurs, voleur des histoires des uns et des autres pour en faire des livres. C’est ça, écrire, des bribes de souvenirs, vrais ou inventés qu’importe, de livres lus aussi, ce sont les livres qui font écrire. Allez, il est temps pour ce soir d’aller rêver très fort. Le rêve est encore libre, mais souvent il vous condamne.
Serait-ce l’effet de l’âge de ne plus savoir comment commencer et encore moins comment finir ce qui semble bien devenir au fil des jours et des pages un dernier casse-croûte pour la route ? Je n’aimerais pas qu’il ait un goût amer. J’aimerais finir comme j’ai vécu, grâce à toi et à quelques autres, et surtout pas sans t’avoir dit combien je t’aimais.
Du même auteur sur ce blog :
mercredi 19 février 2025
[Laurens, Camille] Ta promesse
J'ai beaucoup aimé
Titre : Ta promesse
Auteur : Camille LAURENS
Edition : 2025 (Gallimard)
Pages : 368
Présentation de l'éditeur :
Que s’est-il passé avec son compagnon pour que la romancière Claire Lancel doive se défendre devant un tribunal ? Au fil du récit, elle raconte comment elle s’est peu à peu laissé entraîner dans une histoire faite de manipulations et de mensonges.
Dans ce roman haletant comme un thriller, Camille Laurens questionne le narcissisme contemporain, l’absence d’empathie, et se demande comment sauver l’amour de ses illusions. Elle nous invite à le célébrer et à le vivre, au-delà des promesses trahies.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Romancière, essayiste, Camille Laurens a publié une trentaine d’ouvrages. Elle est membre de l'Académie Goncourt.Avis :
« Le début de l’histoire contient sa fin. » C’est d’ailleurs par cette dernière que s’ouvre le récit, annonçant d’emblée l’issue dramatique de ce qui commence comme un amour heureux, un bonheur que sinon l’on aurait pu, comme initialement la narratrice, croire sans histoire, aveugle aux signes que tous, avocats, témoins, juge et bien sûr elle-même, vont maintenant s’attacher à déchiffrer et à relier pour tâcher de comprendre ce qui a bien pu dérailler jusqu’au coma pour lui et l’inculpation pour elle.
Points de vue et regard se succèdent donc pour raconter l’amour fou entre Claire, écrivain reconnue et estimée, et Gilles, créateur de spectacles de marionnettes. Un amour sans nuage apparent, scellé par une double promesse : elle n’écrirait jamais sur lui, il ne la trahirait jamais. Pourtant, pour qui sait être attentif, les signaux faibles s’alignent déjà et ne vont que s’amplifier, en une spirale vertigineuse, à mesure des récits rétrospectifs de Claire et de ses proches.
Entre sautes d’humeur, défaut d’empathie, jalousie et mesquineries, bientôt manipulations de plus en plus amples et finalement sa manière d’inverser les rôles, l’homme séduisant et attentionné s’avère un pervers narcissique caractérisé, ce qu’une Claire sapée dans sa confiance en elle en même temps que démolie dans son image et sa réputation publiques est la dernière à réaliser, quand elle est déjà trop profondément prise au piège pour retrouver un quelconque équilibre et rétablir autour d’elle une vérité trop difficile à croire.
Tandis qu’on y retrouve des traces de son expérience personnelle – on se souvient de son ex mari, débouté depuis, l’assignant en justice pour atteinte à la vie privée dans l’un de ses romans, de la polémique l’opposant à Marie Darrieussecq qu’elle accusait de plagiat, des soupçons de conflit d’intérêt accompagnant sa violente critique d’un livre en concurrence avec celui de son compagnon alors qu’elle était membre du jury du Goncourt –, autant de blessures transposées par l’écriture et par la création littéraire, Camille Laurens démonte dans cette histoire les ressorts invisibles de l’emprise et de la manipulation, destructeurs dans la vie privée, imparables sur les réseaux sociaux, ne se privant pas de souligner comment « absence de limites, sentiment de toute-puissance, négation d’autrui, règne du mensonge et de la vérité alternative » contribuent plus que jamais, par les temps qui courent, à boursoufler les egos narcissiques dénués d’empathie jusque dans les plus hautes sphères du pouvoir – « Trump, Poutine, Kim Jong-un » –, au détriment de peuples entiers manipulés par des despotes. « La mort de l’empathie humaine est l’un des premiers signes et le plus révélateur d’une culture sur le point de sombrer dans la barbarie. »
Volontiers incisive et ironique, la plume exercée de Camille Laurens fait feu de son vécu et de ses observations pour les transposer en un roman virtuose jouant avec la curiosité du lecteur entre vérités et manipulations et, au final, déboucher sur une critique sociale au mordant imparable. (4/5)
Citations :
Les signes sont rarement lus, le plus souvent on les relit. Pour déchiffrer, il faut savoir que c’est chiffré.
Je suis écrivaine, mon métier, mon ministère même, consiste à tout noter – je ne laisse rien passer, enfin j’essayais. Mais c’est aussi ma pratique de ne pas juger – pas avant d’avoir longtemps regardé, écouté, observé, compris – et quand j’ai compris, je ne peux pas juger. Écrire est un exercice d’amour, une magnifique et profonde et audacieuse expérience d’intelligence de l’autre. Je l’ai d’ailleurs dit à la juge, l’autre jour : « Si vraiment vous comprenez quelqu’un, comment pouvez-vous encore le juger ? » Cela dit, elle m’a épatée, elle m’a répondu aussi sec, vous vous souvenez ? « Si je comprends quelque chose, je suis sûr de me tromper. » Jacques Lacan, a-t-elle ajouté.
Le mal est toujours une surprise. Toujours. Même avec les années. On n’y croit pas.
Vous connaissez ce passage de l’Abécédaire de Deleuze, quand il célèbre le point de démence de quelqu’un comme ce qui fait son charme et même ce pour quoi on l’aime ? Il dit très exactement, attendez, je vais vous le retrouver de mémoire. Il dit : « Si tu ne saisis pas la petite racine ou le petit grain de folie chez quelqu’un, tu ne peux pas l’aimer. On est tous un peu déments, et j’ai peur, ou je suis bien content, que le point de démence de quelqu’un ce soit la source même de son charme. »
Vous l’admiriez ? — Non, en fait non. J’emploie ce mot parce que j’ai souvent senti qu’il était nécessaire – avec mon mari, bien sûr, dont c’était le seul carburant, mais sans doute aussi avec les autres, les autres hommes, je veux dire. La plupart. Ils ont besoin d’être admirés, c’en est presque obscène. Même sous la modestie, dès que vous creusez il y a la rage d’être admiré. Flatté, aussi, souvent ça leur suffit – ils ne font pas la différence. Les femmes ne sont pas comme ça, moins souvent, elles sont plus proches de la vérité, c’est-à-dire de la défaillance. Accepter la faiblesse est une force très féminine, que peu d’hommes possèdent et qu’aucun ne nous envie. En tout cas moi, je n’ai pas l’admiration spontanée. Tout ce qui brille n’est pas d’or, comme disait ma grand-mère. Même de Proust ou de Bach, pas plus que de Gilles, je ne dirais que je les admire. — Qu’est-ce que vous diriez, alors ? — Je les aime.
Souffrir passe. Avoir souffert ne passe pas.
Voilà ce que Gilles n’avait pas compris quand j’avais évoqué mon peu de goût des voyages. C’est ce que j’aurais dû lui expliquer, me disais-je devant l’expression d’Agnès. Ce que Deleuze appelle les « intensités immobiles ». « Je n’ai pas besoin de bouger, dit-il, quand j’écoute une musique, ou quand je lis un livre que je trouve beau ou quand je réfléchis... C’est bien mieux que les voyages – c’est des pays profonds. »
Claire est restée elle-même, celle qu’elle a toujours été, tandis que Gilles, lui, a voulu se l’approprier – comme s’il n’avait pas d’être propre et cherchait qui être. Je pense qu’il a voulu être elle. Vraiment. Prendre sa place. Devenir l’écrivain. Le seul. Dans son esprit, il n’y avait pas de place pour deux. — Votre théorie paraît fumeuse, monsieur Simmons. Dans les faits constatés, c’est elle qui a voulu le supprimer. — Parce qu’elle s’est sentie menacée dans son être. Il voulait étouffer ce qu’elle était. Le crime parfait, sans autre cadavre qu’une langue morte. C’est de la légitime défense.
Qu’est-ce que Claire Lancel, écrivaine reconnue depuis trente ans, pouvait bien avoir à craindre de Gilles Fabian, littérairement ou socialement parlant ? Rien. En revanche, inversez l’énoncé et vous aurez la vérité : c’est lui qui était jaloux, lui qui se sentait en rivalité avec elle, lui qui rêvait de la détruire en avançant masqué. L’inversion typique des sociopathes. Et le délire a continué après leur séparation. Il était convaincu que Claire le dénigrait partout, qu’elle cherchait à entraver sa carrière d’auteur. Il comparait à son avantage leurs qualités stylistiques, se posait en victime d’un sabotage, faisait son Calimero auprès de moi. Il m’a finalement parlé d’un nouveau projet d’écriture – pas une autofiction bien sûr, il avait d’autres ambitions, « un truc entre Kerouac et Faulkner ». J’ai esquivé : il n’était ni l’un ni l’autre, ni personne entre les deux !
Le féminisme a encore du pain sur la planche, croyez-moi. Tant que les hommes voudront prendre toute la lumière, si le projecteur les dédaigne ils iront la chercher ailleurs. Moi qui en connais eaucoup, je peux vous l’assurer : dans l’ombre des écrivains, souvent il y a des muses, des compagnes, des égéries, des mamans. Dans l’ombre des écrivaines, il n’y a personne.
Elle me l’a raconté au téléphone comme une scène de film, ça m’avait frappé, ce genre de thriller où l’héroïne se sent mal en présence de son mari mais sans aller au bout de l’interprétation, le malaise reste indéfinissable. Joan Fontaine dans Soupçons ou Ingrid Bergman dans Gaslight, vous voyez ? Mais vous n’êtes peut-être pas cinéphile ? — Si, monsieur Simmons, justement : dans Soupçons, le mari est innocent. — C’est vrai. Mais Cary Grant a joué tout le film comme si son personnage était coupable. Je dirais qu’à l’inverse, Gilles jouait à l’innocent alors qu’il était coupable. L’image positive : rien d’autre ne compte, c’est la seule vérité qui vaille pour lui, l’image. Pas une image juste. Juste une image. La preuve, aux yeux du monde, qu’on est quelqu’un de valable. Un type bien.
Dans les moments où je parvenais à la faire parler un peu pour tenter de relancer en elle l’envie d’écrire, elle disait qu’elle n’avait plus de mots, que les mots l’avaient oubliée. Elle était dans le même état de détresse qu’après la mort de son fils : tout lui manquait, jusqu’aux mots pour le dire. Elle s’éprouvait dépossédée de sa langue, abandonnée d’elle. Pire, elle avait intériorisé la phrase que Gilles lui avait dite, à la fin : « Tout ce que tu écris, c’est de la merde », elle la reprenait à son compte comme un constat. J’étais désespéré de voir à ce point persister l’emprise de ce salaud. Il l’avait dépouillée de ce qui la constituait, elle ne pouvait plus écrire je, affirmer sa voix. Je l’ai compris le jour où elle m’a envoyé par mail, sans commentaire, deux phrases d’Adolphe, un de ses livres de chevet – quand Ellénore meurt de chagrin, abandonnée : « Elle voulut pleurer, il n’y avait plus de larmes. Elle voulut parler, il n’y avait plus de mots. » La disparition du pronom traduit la disparition de l’être qui se fond dans l’impersonnel. C’est sublime.
La joie de savoir est indépendante de son objet. Peu importe que la vérité soit terrible quand on l’aperçoit, c’est la vérité.
La mort de l’empathie humaine est l’un des premiers signes et le plus révélateur d’une culture sur le point de sombrer dans la barbarie.
Au tournant des années 2030, on remarqua qu’un nombre important de gens avaient développé une affection particulière, dont le principal symptôme, avant d’entrer dans ses ramifications complexes, consistait en une absence totale d’empathie. Les personnes atteintes n’avaient aucune considération pour autrui, percevaient très peu les émotions de leur prochain, y compris dans les situations de détresse, et d’une manière générale, à supposer qu’ils s’en aperçussent, n’en avaient cure. Ne ressentant qu’indifférence pour tout autre qu’eux-mêmes, ces malades traitaient leurs congénères comme des objets auxquels ils ne prêtaient aucune vie propre, ils pouvaient donc les blesser, les faire souffrir ou même les tuer sans éprouver plus de remords moral qu’ils n’en avaient à renverser une chaise ou à la jeter au feu. Ils les manipulaient comme des pantins qu’ils abandonnaient, les ayant désarticulés.
(…) pour la maladie de Nark, si les victimes étaient légion, c’était de manière indirecte : ceux qui en mouraient n’étaient pas ceux qui en étaient atteints mais ceux qui, dans l’entourage, en subissaient les conséquences.
(…) Le narcissisme n’était pas une découverte récente et ne constituait d’ailleurs pas une maladie en soi : on savait depuis Freud et Melanie Klein qu’il existait un bon et un mauvais narcissisme – un narcissisme de vie et un narcissisme de mort. Avoir une forte estime de soi augurait plutôt une vie heureuse née d’une enfance confiante, et l’on devait tendre vers cet objectif en dépassant les névroses d’échec. Mais l’on avait observé depuis déjà plus d’un siècle la dévastation que pouvait causer un mauvais dosage de l’ego, attribué soit au laxisme des parents envers l’enfant-roi, soit, plus généralement, à un trauma infantile souvent passé inaperçu. L’art et la littérature l’avaient représentée sous les formes les plus variées. Le Pr Nark avait lui-même consacré un séminaire au film Citizen Kane d’Orson Welles, où l’existence tyrannique d’un homme incapable d’aimer s’éclaire à la toute fin par une blessure d’enfance. Hitler, avait-il rappelé à cette occasion, était lui-même un enfant battu, ce qui avait occasionné une vive polémique sur les excès de l’interprétation psychanalytique de l’Histoire. C’était cependant dans la sphère politique, où cette pathologie était surreprésentée, que les ravages apparaissaient les plus spectaculaires puisque les victimes de la manipulation despotique du Nark étaient non plus seulement des individus mais des peuples tout entiers. Comme le montrait 1984, le roman prémonitoire de George Orwell, l’asservissement affectait l’humanité en disqualifiant le langage et la vérité. Dès 2017, le Pr Nark y avait fait référence pour commenter l’actualité américaine, lorsque Donald Trump, confronté à son mensonge après s’être glorifié de ce que le soleil avait brillé sur lui le jour de son investiture alors qu’il avait plu toute la journée, avait fait répondre par le porte-parole de la Maison-Blanche : « Je pense que parfois nous pouvons être en désaccord avec les faits. » Absence de limites, sentiment de toute-puissance, négation d’autrui, règne du mensonge et de la vérité alternative : Trump, Poutine, Kim Jong-un, pour ne citer que les plus récents, présentaient tous les traits de la maladie de Nark. Le cas plus discuté du président Macron était en cours d’examen au CNRS.
Jouer un rôle est épuisant, malgré tout. Car même si l’éventail des attentes et des sentiments n’est pas si large, il te faut t’adapter à chaque nouveau protagoniste. Parfois tu dois deviner, improviser au jugé comme un aveugle tâtonnant : que veut l’autre ? Quoi lui donner ? Quoi lui prendre, aussi, dans un second temps ? Or, tu as beaucoup de mal à t’intéresser aux autres. Une lourde chape d’ennui t’enserre dès que quelqu’un se confie à toi ou exige un dialogue. « Il faut qu’on parle » a été ton calvaire avec Violetta et tu apprécies cette capacité de silence qu’a Claire, bien que tu y voies souvent aussi un déficit d’intérêt pour toi – quand elle lit, quand elle écrit, elle t’échappe. Car si l’indifférence te gagne lorsqu’on cherche à t’entraîner dans une psyché inconnue ou même dans des habitudes de vie qui ne sont pas les tiennes, tu as besoin qu’on fasse attention à toi, qu’on te considère, et tu as vite compris que le mécanisme – c’est le mot qui te vient –, le mécanisme supposait la réciprocité : il faut donner pour recevoir. Or, tu n’as rien à donner, rien de sincère, rien de spontané – il n’y a pas de vraie vie dans la vie fausse. Tu es étranger aux émotions des autres, sauf à la colère, à l’envie et à la peur, que tu connais depuis, oh, depuis toujours. Tu es imperméable à leurs chagrins comme à leurs tracas, à leurs goûts ou à leurs joies, vide de toute curiosité à leur égard, dépourvu de la compassion nécessaire à la confidence. Dans ton âme tu es seul, si âme il y a, et rien de ce que tu éprouves ne se partage.
On dirait qu’elle se demande qui tu es vraiment. Tu ne veux pas qu’elle le sache, toi-même ne veux pas le savoir – surtout pas. Tu veux juste passer pour un mec bien – un amant irremplaçable, un père modèle, un type génial, la perfection faite homme. D’ailleurs, ça ne veut rien dire, « qui on est ». On n’est rien. L’être n’est qu’une syllabe du paraître.
D’après la psy, tu avais besoin d’insécuriser ta compagne pour la rassurer ensuite. Qu’elle se sente moche, ou bête, et donc vulnérable, afin de pouvoir la consoler et qu’elle reste toujours sous ta coupe. Qu’elle ne soit rien sans toi. Le fond de l’affaire, c’était que tu n’avais pas confiance en toi-même, tu avais peur d’être abandonné, et donc de souffrir, aussi exportais-tu toutes ces menaces chez autrui.
Il y a deux choses que Claire ne se dit pas, sur le moment, même s’il te semble que le soupçon l’en effleure. La première, c’est que tu as voulu l’empêcher d’écrire. La promesse ne te suffit pas, écrire est intransitif, désormais. Rien ne suffira jamais, de toute façon, la créance ne peut être soldée. Tout ce que tu essaies de lui retirer, son énergie vitale, son désir d’écrire, tu t’imagines le récupérer. Pourquoi le principe des vases communicants (oui, les vases) ne s’appliquerait-il pas aux vivants, après tout ? Plus elle doute, plus tu es heureux. Plus elle s’étiole, mieux tu te portes. Moins elle vit, plus tu respires.
Trois étapes : 1) bombardement sentimental, séduction, idéalisation. 2) dénigrement, rabaissement. 3) destruction. Séduire, réduire, détruire. Le sujet pervers s’est construit sur un défaut d’humanité. Anesthésie affective, angoisse face à toute relation interpersonnelle, horreur de l’intimité qu’il feint d’instaurer, haine de l’individualité, absence totale d’identification empathique à l’autre, ignorance de ses souffrances, de ses besoins, acharnement à détruire les liens, aucun scrupule moral. L’abus souvent subi dans l’enfance en fait un abuseur pour qui l’autre est un objet interchangeable qu’il dévitalise et méprise après en avoir évalué les failles. Il n’y a pas de vraie rencontre mais un lien toxique fondé sur le contrôle, la domination, la manipulation, l’instrumentalisation, la haine de l’amour et l’amour de la haine.
Nous étions le 12 juin 2024, trois jours après la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron. « En fait, a-t-il continué du ton de l’évidence, c’est le même pitch que le roman qui nous vaut d’être ici, mais à l’échelle d’un pays : un type narcissique et infantile, dans une crise aggravée par un déni massif de ses propres manquements envers elle, prend la nation tout entière comme défouloir émotionnel et, sur une impulsion délirante, achève de détruire tout ce qu’il avait fait semblant d’aimer. Les troubles de l’ego, nouveau mal du siècle – non, vraiment, c’est le sujet.
Si les écrivains ne sont pas là pour dénoncer ce que coûte la vie, quel est leur combat ? Dettes, vols, pertes sèches, profits indus, arnaques, faillites. Si l’art ne tient pas les comptes et les mécomptes, qui le fera ? Quand les mots ne présentent pas l’ardoise, quand les romans ne font pas rendre gorge, l’écrivain n’est qu’un escroc de plus.
Du même auteur sur ce blog :
La petite danseuse de quatorze ans