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mardi 25 février 2025

[Lodoli, Marco] Si peu

 



J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Si peu (Tanto poco)

Auteur : Marco LODOLI

Traduction : Louise BOUDONNAT

Parution : en italien et en français (P.O.L.)
                  en 2024

Pages : 144

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur : 

« Quand l’amour est comme le mien, juste un rêve solitaire infini, une insulte au malheur, un crachat à la face du destin, alors il élève ses flammes jusqu’aux cieux, il brûle et purifie tout et ne s’éteint jamais, ne se réduit jamais à un feu dans une cheminée qui réchauffe et apaise, qui illumine une maison bienheureuse. »

Le nouveau roman de Marco Lodoli raconte la passion silencieuse et implacable d’une femme, concierge dans une école, pour Matteo, professeur et écrivain, qui ne remarque rien, trop pris dans son art, ses ambitions, dans l’illusion d’être différent des autres. Elle n’a pourtant jamais cessé de l’aimer. Mais à quel prix ? Quarante années passées à le défendre des dangers, du mal, du monde. En silence, en secret, car pour aimer ainsi, il faut savoir tout perdre. Elle a dû être inflexible, féroce. Protéger et chérir sans jamais s’exposer, sans se dévoiler : « J’avais besoin de le voir chaque matin, d’échanger avec lui un rapide bonjour, et imaginer que sans moi, qui ne suis presque rien, il se serait égaré dans l’existence comme un enfant dans la forêt. »

Ces deux existences parallèles finiront peut-être par se rencontrer. Le temps d’une nuit, dans une étreinte entre illusion et oubli. Ce grand livre, d’une beauté sombre mais magique, fait le récit d’un amour fou, une grâce noire que l’on n’obtient que par renoncement. La fin du livre rejoint de très grands textes mystiques sur l’effacement. Parabole radicale sur l’espérance, comme une obsession absurde et magnifique, qui ne tient qu’à presque rien, à « si peu » (tanto poco). C’est aussi une parabole de la rédemption par la fiction, qui permet de tenir, d’espérer, d’inventer l’avenir même si les chemins sont impossibles. Avec ce sentiment bouleversant de poursuite d’un rêve que rien ni personne ne doit interrompre. Une fiction folle, et pour cela plus forte que toute réalité.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Marco Lodoli est né en 1956 à Rome où il vit. Écrivain prolifique de récits et de nouvelles. Journaliste à La Repubblica. Il enseigne également dans un lycée de la banlieue romaine. Et l’expérience n’est pas neutre : D’une certaine façon, la banlieue correspond à l’adolescence, à l’adolescence d’un lieu. En banlieue, je sens encore quelles ont été mes espérances, ma mélancolie aussi, et ce, d’une façon extrêmement claire. Quand je suis là, il me semble que je n’ai pas vieilli, que je n’ai pas encore fait fausse route, j’ai l’impression d’être toujours au commencement d’un voyage avec la possibilité de lire le monde sur une note plus vraie, plus directe. Chacun des livres de Marco Lodoli est un petit fragment du chaos qui constitue l’existence et, comme tout « poète », il ne raconte pas seulement des histoires : il tente absurdement d’ordonner le chaos. Les Prétendants (La Nuit – Le Vent – Les Fleurs) est sa seconde trilogie et le deuxième panneau d’un triptyque initié avec Les Débutants, dont P.O.L a publié Les Fainéants (1992) et Courir, mourir (1994).

 

Avis :

Professeur de lettres dans un lycée de la banlieue romaine, l’Italien Marco Lodoli écrit pour mettre un peu de magie et de poésie dans l’insupportable chaos du monde et de la vie. Il imagine ainsi une passion quasi mystique, un amour inaltérable et pur, à jamais préservé des flétrissures et des contingences du réel, parce qu’impossible. Comme si, pour ne pas l’abîmer, il valait mieux rêver sa vie que la vivre.

La narratrice est concierge dans un établissement scolaire qui pourrait être jumeau de celui de l’auteur. Ombre sans prénom, elle fait partie des murs depuis maintenant quatre décennies quand elle se lance dans ce récit ouvrant sur ses vingt-six ans et ce fameux jour qui devait donner le ton au reste de sa vie. Ce jour-là débarque au lycée, en retard et dégoulinant de pluie, celui qu’elle prend d’abord pour un élève indiscipliné et qui s’avère un jeune professeur de lettres, tout aussi peu adapté au moule de l’établissement. Dépourvu d'autorité, dédaignant notes et contrôles tout en s’affranchissant des programmes, ce poète-albatros s'attire aussitôt la réprobation ouverte de ses pairs et de sa hiérarchie, mais aussi, lui qui du haut de sa sphère intellectuelle ne la regardera jamais, le secret amour de la jeune femme humblement cantonnée à ses tâches subalternes.

Elle ne variera jamais, d’autant plus fidèle à son idéal que les laideurs de son quotidien n’offrent d’autre issue que la résignation. De même qu’entre vidage des poubelles et nettoyage des toilettes elle préserve farouchement les roses blanches qu’elle a pris l’initiative de faire fleurir dans le jardin du lycée, toute sa vie elle cultivera la beauté muette d’un amour rêvé, en réalité bien plus vaste que son véritable objet car cristallisant les aspirations mort-nées d’une existence socialement entravée et résignée à subir sans espoir une violence systémique, symbolisée par un viol et un avortement tous deux silencieux.

Pendant qu’elle sublime sa vie insupportable en un éden secrètement fantasmé, le défendant bec et ongle contre les assauts d’un réel que son inconscient lui fait se représenter sous la forme d’un gnome fantastique, lui que ses origines sociales encouragent dans ses ambitions entreprend de vaincre les mesquineries et les frustrations qui encombrent son métier en goûtant la gloire de l’écriture. Et si, de Marco Lodoli à son personnage Matteo Romoli, les évidentes proximités semblent teinter le récit d’une certaine auto-dérision, ce n’est là encore que pour mieux peindre les rêves, puis cette fois les désillusions, face à la cruauté d’un monde en vérité tueur de poésie.
 
Alors, de l’une qui s’évade de sa vie pour lui préférer le rêve ou de l’autre qui use ses rêves en tentant de les vivre, qui au final tire mieux son épingle du jeu ? En nous laissant douter, Marco Lodoli ouvre un questionnement existentiel dans un conte magnifique et bouleversant, où au temps qui passe et à la vie qui déjà s’efface sur le sentiment d’être passé à côté, répond la magie des histoires que l’on se raconte, en l’occurrence ici le clair-obscur d’un amour fou, pur et n’attendant pas de retour, aux résonances quasi mystiques. Superbe ! (4/5)

 

Citations :

Parfois j’allais à l’église, c’est un lieu où je me sens en sécurité, même si je ne suis pas spécialement pieuse. Je ne crois pas qu’il y ait un Dieu qui nous observe et nous protège et qui à la fin nous conduit au ciel avec lui, les êtres humains sont de petits animaux qui ne méritent pas tant d’intérêt. Mais ça me plaît qu’on ait inventé cette belle histoire : on se sent mieux dans le désastre avec une idée de pureté, un manteau azur, des anges blonds, une immortalité gorgée de lumière et de sérénité. 


Les années passant, tout devient plus vague, toute forme de détermination se dissout et il paraît presque étrange d’imaginer qu’un jour une chose précise a existé, un fait survenu à telle date, une rencontre dans tel lieu, que nous avons acheté des objets qui existent vraiment et qui sont encore là dans le placard ou sur la table de la cuisine, et qui sont les nôtres. La jeunesse veut, revendique, s’impose, mais ensuite, avec le temps, tout s’effiloche, perd de sa substance et devient un regard où rien n’est certain, un patchwork d’images qui vont et viennent et sont inintelligibles. C’est comme si la vie elle-même n’était plus ma vie ou la tienne ou la sienne, mais seulement un grand champ nébuleux où nous errons tous sans visage dans un voyage tel un courant qui nous entraîne où bon lui semble. Les pensées ne sont plus un bien ou un mal intime, personnel, ce sont les pensées du monde qui traversent nos esprits de plus en plus vertigineux, indéfinis. Bien sûr je ne suis pas capable d’expliquer rigoureusement ce qui se passe, je n’ai pas étudié et je n’ai quasiment rien compris, mais je sens que ma vie m’appartient moins, que j’y suis comme dans un hôtel avec beaucoup d’autres, avec tout le monde, un hôtel qui m’accueille, mais où rien n’est vraiment à moi. Et parfois je me demande : quand je ne serai plus là, où finira la somme de ce que j’ai vu ? La lumière s’éteint brusquement et tout disparaît ? C’en est fini des saisons, des villes, des fleurs, des guerres, de l’école ? L’amour pour Matteo s’évanouira lui aussi dans le néant, ou bien subsistera-t-il une trace dans l’univers, dans l’existence de ceux qui restent, dans l’air qui emplit l’hôtel infini ? Plus j’avance, plus tout ça ressemble à un rêve, et j’ai peur de me réveiller et de le voir se dissoudre dans le néant, de ne plus m’en souvenir. Je veux continuer à aimer Matteo, même si je ne sais plus bien qui je suis et qui est Matteo, mais je sais que ce sentiment est fort et nécessaire, que je veux aimer jusqu’à la fin, et aussi après.

 

jeudi 12 septembre 2024

[Martinez, Carole] Dors ton sommeil de brute

 


 

 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Dors ton sommeil de brute

Auteur : Carole MARTINEZ

Parution : 2024 (Gallimard)

Pages : 400

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :     

« Un long hurlement, celui d’une foule d’enfants, secoue la planète. Dans les villes, le Cri passe à travers les murs, se faufile dans les canalisations, jaillit sous les planchers, court dans les couloirs des tours où les familles dorment les unes au-dessus des autres, le Cri se répand dans les rues. »

Un rêve collectif court à la vitesse de la rotation terrestre. Il touche tous les enfants du monde à mesure que la nuit avance. Les nuits de la planète seront désormais marquées par l’apparition de désordres nouveaux, comme si les esprits de la nature tentaient de communiquer avec l’humanité à travers les songes des enfants. Eva a fui son mari et s’est coupée du monde. Dans l’espace sauvage où elle s’est réfugiée avec sa fille Lucie, elle est déterminée à se battre contre ce qui menace son enfant durant son sommeil sur une Terre qui semble basculer. Comment lutter contre la nuit et les cauchemars d’une fillette ?

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :  

Carole Martinez déploie dans ce cinquième roman un univers merveilleux qui n’appartient qu’à elle. Elle est l’autrice des romans Le cœur cousu, qui a reçu seize prix littéraires, et Du domaine des Murmures, prix Goncourt des lycéens 2011.

 

 

Avis :

Pour protéger sa fille Lucie de son mari violent, Eva a choisi pour refuge secret une maison totalement coupée du monde, nichée au plus creux des marais camarguais. Leur voisin le plus proche, Serge, mène lui aussi une vie retirée, sa solitude seulement rompue par l’écoute en continu de la radio. Le trio vient à peine de faire connaissance que commence à travers la planète une série d’étranges et bientôt calamiteux phénomènes, un cycle de rêves collectifs touchant tous les enfants de la Terre à mesure de l’avancement des fuseaux horaires et qui, semblant singer les dix plaies d’Egypte, s’avère le moyen qu’a trouvé la nature en colère pour communiquer avec l’humanité et lui faire comprendre qu’elle court à sa perte.

« Je » pour Eva, « tu » pour Serge habitué à soliloquer, « il » pour le père rendu fou furieux par la fuite de sa femme avec leur fille, « nous » pour le collectif des enfants et enfin un texte en italique pour la radio : ce sont cinq fils narratifs qui, entrecroisant les points de vue dissociés d’acteurs convergeant pourtant tous vers le même sombre destin planétaire, forment avec audace et originalité la trame de ce roman, comme les précédents de l’auteur un conte plein d’imagination et de poésie, qui, entre songe et réalité, use du réalisme magique pour évoquer symboliquement, d’un côté, l’inconséquence et la violence des hommes à l’égard de leur environnement aussi bien que des plus faibles, de l’autre, le désabusement et la colère des esprits de la nature. Plus question pour ces derniers, en référence à un vers de Baudelaire, de laisser ces diables d’hommes dormir leur sommeil de brutes : il n’est que temps de les rappeler, par quelque cruelle leçon, à la conscience de leur vulnérabilité, pour les contraindre à réagir avant qu’il ne soit trop tard.

Plus déconcertant et d’une beauté de langue moins saisissante que l’envoûtant La terre qui penche, ce nouvel ouvrage de Carole Martinez n’en finit pas moins, le temps pour le lecteur de s’abandonner à sa fantaisie surnaturelle, par imposer le charme d’une narration définitivement addictive, à la fois poétique, effrayante et cruelle, et comme traditionnellement les contes, porteuse d’un sens allégorique. Tandis que les nouvelles craintes apocalyptiques contemporaines y ravivent les grandes peurs ancestrales et leurs échos bibliques, le roman semble d’une certaine façon tremper ses lignes dans le courant très actuel du nouvel animisme, quand, après avoir longtemps méprisé les lois du vivant si centrales dans d’autres cultures pour lui préférer le modernisme occidental, l’homme se retrouve à devoir remiser son hubris pour reconsidérer ses liens avec la nature. Abordant tous ces thèmes sous l’angle du rêve chamanique, l’auteur ouvre les portes de l’enfance pour, à travers Julia et ses efforts de reprise de contrôle sur ses songes, une représentation des plus originales, rehaussée par l’écrin de nature sauvage de la Camargue, de la ligne de crête où l’humanité vacille aujourd’hui, consciente que la bascule sera bientôt irrémédiable.

Fabuleusement onirique, ce dernier ouvrage s’inscrit pleinement dans la veine de ces contes imagés et flamboyants dont Carole Martinez a le secret et qui, pour vous désarçonner possiblement, ne vous en charment pas moins de leur magie poétique et addictive. (4/5)

 

 

Citations :

Ce qui arrive à l’humanité nous touche tous, aussi séparés que nous puissions être du reste du monde, nous sommes un morceau d’humanité et tout ce qui la secoue nous secoue.


— Les dieux sont cruels.
— À l’image des hommes.
— Et de la nature.
— Pas certain. Peut-on être cruel sans avoir conscience de sa cruauté ?


Papa m’a dit que nous vivons sur un ancien champ de bataille. Des soldats se sont entre-tués ici. Le paysage était un immense charnier, hommes et bêtes mêlés, des Anglais, des Français, du vivant démembré, le sol était jonché de pauvres gars et de chevaux crevés. Papa m’a raconté que tout le monde s’était servi alors, qu’on avait pris les habits, les bagues et les dents et que, bien plus tard, les Anglais étaient venus ramasser les os dans les fosses pour en faire de l’engrais. Mon père me l’a dit : la Terre se nourrit de la guerre, comme les puissants, elle survit à tout, elle se fiche bien de nous. Elle créera autre chose, quand nous ne serons plus. Elle a le temps.


En Occident, depuis l’avènement de la psychanalyse, le rêve est un moyen d’entrer en relation avec notre inconscient, la matière de l’intime, celle de nos profondeurs. Nous imaginons que nos rêves ne racontent qu’une histoire individuelle, qu’ils sont une clef pour se comprendre soi-même. Mais, dans d’autres cultures, le rêve s’ouvre sur une dimension qui ne touche pas à l’intime, il est une porte sur le monde-autre, il raconte une histoire collective et peut induire des événements dans la réalité.


Elle te parle de son village au Maroc, de cette vieille femme, une chouwafa, qui lisait dans les rêves, comprenait leurs messages, calmait les cauchemars, mais ce savoir s’est perdu depuis qu’elle s’est éteinte. Beaucoup de connaissances anciennes ont été oubliées, c’est dommage ! Le progrès a enterré les plus lumineuses, ne restent souvent que les peurs sombres, tout ce qui peut servir de levier au pouvoir quel qu’il soit.

 

 

Du même auteur sur ce blog :

 
 

 


 

mercredi 20 mars 2024

[Scott, Ann] Les insolents

 



 

J'ai aimé

 

Titre : Les insolents

Auteur : Ann SCOTT

Parution : 2023 (Calmann Lévy)

Pages : 280

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

"À la sortie de la petite gare, en sentant la moiteur dans l’air et en voyant les palmiers sur le parking, elle a eu l’impression de débarquer dans un autre coin que le Finistère, quelque chose d’étrangement chaud, humide, enveloppant, et elle a su qu’elle allait être bien ici."

Alex, Margot et Jacques sont inséparables. Pourtant, Alex, compositrice de  musique de films, a décidé de quitter Paris. À quarante-cinq ans, installée au milieu de nulle part, elle va devoir se réinventer. Qu’importe, elle réalise enfin son rêve de vivre ailleurs et seule.
Après La Grâce et les Ténèbres, Ann Scott livre un roman très intime. Son écriture précise et ses personnages d’une étonnante acuité nous entraînent dans une  subtile réflexion sur nos rêves déçus, la solitude et l’absurdité de notre société contemporaine.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Ann Scott est l’auteure, entre autres, de Superstars (Flammarion, 2000), Cortex (Stock, 2017) et La Grâce et les Ténèbres (Calmann-Lévy, 2020). Avec Les Insolents, son dixième roman, elle remporte le prestigieux Prix Renaudot en 2023.

 

Avis :  

Un temps colocataire de Virginie Despentes et longtemps figure des nuits techno-queer parisiennes, l’ex-mannequin et batteuse punk Ann Scott que son roman culte Superstars avait propulsée en 2000 porte-étendard de la Génération X et de la pop culture française, a tout quitté il y a une poignée d’années pour la solitude au plus secret d’un bout de côte bretonne. Dans ce dernier roman couronné du prix Renaudot 2023, elle met en scène son double littéraire, en quête de réinvention.

A quarante ans passés, Alex ne supporte plus sa vie parisienne : son logement étroit en plein coeur du Marais ; le tapage de son milieu branché où, compositrice de musique de film et ex-guitariste fan de Velvet Underground, elle ne s’entend plus créer ; ses amours compliquées, masculines et féminines, désespérément condamnées à l’impasse. Sans même prendre le temps de la visiter, la voilà qui loue une maison en Bretagne, prend le train en attendant que ses cartons la suivent, et entame une nouvelle et spartiate existence, seule à proximité d’un maigre hameau désert, à plusieurs kilomètres du moindre commerce alors qu’elle n’est pas motorisée, sans chauffage ou presque, mais au calme avec son jardin et le voisinage vivifiant de la mer.

Elle abandonne ses rares amis proches, tout aussi minés par le mal-être et pourtant à mille lieues de s’imaginer quitter le bitume parisien, mais, à l’heure où, jeunesse enfuie, s’impose le premier bilan d’une vie qu’elle aura voulu brûler par les deux bouts, à grands coups de déglingues, de passions et de défonces en tout genre, la solitude restant son bien le plus évident, autant qu’elle lui serve à renouer avec ses voix intérieures, pour son propre équilibre et pour sa création musicale. Si le ton est mélancolique, Alex fait preuve d’une résilience obstinée, contrairement à son amie Margot et à son nouveau voisin Léo à jamais la proie d’insurmontables démons intérieurs. « Les illusions sont faites pour être perdues », admet-elle. Alors, elle fait face à ses mille nouvelles servitudes quotidiennes, apprend à se contenter des petites choses : « La beauté est faite pour les gens qui ont le temps de l’absorber » et à se recentrer sur l’essentiel : « Il n’y a rien ici, rien d’autre que ce qui se passe en dedans ». Dans sa solitude bretonne, elle finit par se sentir moins seule que dans la foule parisienne. « Elle est entourée de tous les génies imaginables à chaque seconde. Il lui suffit de mettre n’importe quel disque, de plonger dans n’importe quel film, d’ouvrir n’importe quel livre. Elle parle à ses fantômes en permanence. »

L’autodérision se mêle à la mélancolie dans cette évocation très autobiographique des désillusions qui ont fait place aux rêves des « insolents », cette jeunesse festive éprise de liberté maximale qui, de punk attitude en révolution sonique, a fait la vitalité de l’underground culturel parisien des années 1980 et 1990. L’avant-garde a pris de l’âge et ne se reconnaît plus dans le Paris d’aujourd’hui. Non seulement les artistes d’alors, en tête desquels Ann Scott aime citer Lou Reed et Bowie, ont disparu, mais personne ne les remplace. « YouTube est rempli de centaines de milliers de guitaristes et de bassistes et de batteurs qui font des reprises et qui sont super doués, mais sans le truc avant-garde qui sidère ou l’émotion qui va scotcher toute une génération. Ils ont la technique mais rien de plus, et quand bien même ce serait le cas, pendant combien de jours ou d’heures une découverte nourrit avant qu’on passe à la suivante ? » « Il n’y a plus que la frustration d’essayer de faire de l’art dans une époque qui s’en fout », le pire restant sans doute à venir avec l’intelligence artificielle pour, sans génie, refondre l’existant à l’infini.

Roman intime des désillusions de l’auteur âgée de cinquante-sept ans, ce récit d’un exil volontaire loin de la scène parisienne est l’ultime révolte d’une artiste éprise de liberté, désespérée de voir les techniques numériques et les réseaux sociaux ronger peu à peu la création. Beaux objets techniques créés à la chaîne et sans âme par des machines – photographies, musiques et bientôt livres –, produits sitôt consommés, sitôt jetés et oubliés, qu’auront-ils encore d’artistique ? Alors, mieux vaut claquer la porte avant qu’elle ne se claque toute seule. « Elle ne reviendra que si l’art sauve de nouveau. Peut-être un jour, peut-être jamais. » (3,5/5)

 

Citations : 

Il n’y a que les jeunes artistes qui démarrent qui sont motivés pour mettre en ligne un tas de choses, saisir tout ce qui peut ressembler à une opportunité. Les autres sont perdus, ou sur pause, ou se sentent comme des reliques. Avoir un compte sur un réseau social sans être beaucoup liké, c’est comme la cage de l’animal au fond du zoo devant laquelle personne ne s’arrête. C’est la même violence que de jouer devant une salle vide, excepté que ce n’est pas uniquement en tournée, c’est tous les jours à chaque seconde. Les artistes ne sont pas uniquement suivis par des gens qui s’intéressent à ce qu’ils font, la majorité des followers est là par mode ou voyeurisme. Si ce qu’on poste ne les touche pas, ils zappent ou se désabonnent, pas intéressés de voir ce qu’on aime ou ce qui nous influence et pourquoi. C’est pour ça qu’elle a arrêté de poster, aussi bien sur Instagram que sur Twitter. L’internet a tout détruit. La haine, la jalousie, le mépris, la mauvaise foi, les critiques d’amateurs qui se transforment en procès, tout ça a bousillé le moral d’absolument tous les artistes qu’elle connaît qui à un moment ou à un autre ont eu un compte ici ou là. Et plus il y a de gens sans talent ou d’influenceurs qui deviennent des stars, plus l’aura des stars véritables décline, et même si les mômes de maintenant sont aussi excités d’aller voir Rihanna ou Beyonce qu’elle a pu l’être à n’importe quel concert dans les années quatre-vingt-dix, qu’il n’y ait plus d’estime pour les artistes est un désastre.
 

Elle sait que sa profession va disparaître. La vidéo va remplacer le vrai cinéma et ce ne sera plus de l’art, donc on n’aura plus recours à des artistes pour en composer les BO. Plus personne ne payera plus pour de l’art, il sera gratuit ou on s’en passera. Ce sera un hobby, rien de plus et les BO ne seront plus qu’un fond sonore exécuté à la chaîne. C’est déjà le cas sur Netflix, aucun des films ou des séries n’a jamais de morceaux renversants, tout au plus un générique d’intro qu’on finit par reconnaître quand on l’entend. Des réals qui savent faire du boulot bien fait, il y en a des tas, mais des types qui ont un univers et un style à part, il n’y en a pas des masses, et tout le monde veut travailler avec ces quelques-là, et les places sont trop rares pour que la totalité de ceux qui sont vraiment doués puissent le faire.
 

Il n’y a plus que la frustration d’essayer de faire de l’art dans une époque qui s’en fout. 
 
 
Il marchait le long de l’écume et il en arrivait à la conclusion que tout manque de spiritualité, de dimension, d’humanité plus profonde, et sans doute que tout le monde le ressent, ce manque, quand on n’est pas distrait par les écrans. C’est pour ça qu’il relit Victor Hugo en ce moment, par besoin de héros qui inspirent, des héros symboliques avec des valeurs. Enfant, il entendait dire que la société progressait, mais c’est faux. C’est toujours la même soif de violence avec le même besoin de trouver quelqu’un à blâmer. Le quotidien devient plus luxueux ou plus confortable et on n’a plus les pieds dans la boue mais on est toujours des bêtes qui exploitent la faiblesse. Peut-être que finalement il n’y a ni bien ni mal ni paradis ni enfer ni karma, et que les raisons de ne pas faire de mal aux autres sont minces. La recherche d’harmonie, de noblesse d’âme, d’esthétique, tout ça est parti à la poubelle. Quiconque ne trouve pas le monde ou l’existence atroces vit dans une grotte. Il sait que s’il disparaît, faute d’avoir une femme et des enfants, l’argent qu’il a de côté ira forcément à sa mère. L’ironie. Elle qui a cessé de se comporter comme une mère le jour où elle a compris qu’il allait grave bien gagner sa vie. Mais peut-être que les petites communautés vont s’en sortir. Dans une communauté, chacun a un rôle, chaque chose a un sens et on a envie de faire des efforts pour que les gens qu’on connaît vivent le mieux possible. Mais quand on n’a pas le sentiment d’appartenir à quelque chose, il y a peu de chance qu’on se batte pour une cause. Si on ne se sent pas considéré par l’humanité en général, si on est tous insignifiants et interchangeables, pourquoi on s’emmerderait à avoir de la considération pour son prochain et son bien-être. La globalité est bien trop vaste. Notre prochain, tant qu’on ne le voit pas, il peut crever à boire de l’eau polluée, rien à foutre. C’est comme la viande. Tant qu’on ne voit pas l’animal mort, pas de problème. On achète des steaks hachés sous vide pour que l’inconscient ne fasse pas de lien. Comme à Auschwitz, pas de lien, toutes les choses qui conduisaient à la mort étaient séparées. Pas la même personne qui faisait descendre les gens des trains, qui les menait aux fours, qui appuyait sur les boutons, qui récupérait les chaussures et les lunettes. Successions de mini tâches d’une énorme machination qui conduit à l’annihilation, et tout le monde planqué derrière la responsabilité collective alors qu’elle était aussi individuelle. Quand tout est compartimenté, on ne fait que tondre des cheveux ou sortir sa carte bleue pour payer le steak.


Tout a un sens et une fonction sauf l’être humain. Tout était déjà là avant nous. Les animaux et la nature ont besoin les uns des autres mais l’humain ne sert qu’à lui-même. Donc il peut disparaître. C’est ce que les mecs de la tech montrent tous les jours à force de construire un monde numérique. Si on est une espèce qui détruit la planète, peut-être qu’on est un accident et qu’on n’aurait jamais dû voir le jour.


 

lundi 4 novembre 2019

[Smith, Ali] Automne





Je n'ai pas aimé

 

Titre : Automne (Autumn)

Auteur : Ali SMITH

Traductrice : Laetitia DEVAUX

Parution : 2016 en anglais (Penguin Books Ltd)
                2019 en français (Grasset)

Pages : 240

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :   

Daniel Gluck, centenaire, ne reçoit pas d’autres visites dans sa maison de retraite que celles d’une jeune femme qui vient lui faire la lecture. Aucun lien familial entre les deux pourtant, mais une amitié profonde qui remonte à l’enfance d’Elisabeth, quand Daniel était son voisin. Elisabeth n’oubliera jamais la générosité de cet homme si gentil et distingué qui l’a éveillée à la littérature, au cinéma et à la peinture.

Les rêves – ceux des gens ordinaires, ou ceux des artistes oubliés – prennent une place importante dans la vie des protagonistes d’Ali Smith, mais le réel de nos sociétés profondément divisées y trouve également un écho. Le référendum sur le Brexit vient d’avoir lieu, et tout un pays se déchire au sujet de son avenir, alors que les deux amis mesurent, chacun à sa manière, le temps qui passe. Comment accompagner le mouvement perpétuel des saisons, entre les souvenirs qui affluent et la vie qui s’en va  ?

L’écriture d’Ali Smith explore les fractures de nos démocraties modernes et nous interroge sur le sens de nos existences avec une poésie qui n’appartient qu’à elle, et qui lui a permis de s’imposer comme l’un des écrivains britanniques les plus singuliers, les plus lus dans le monde entier.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Ali Smith est née à Inverness en Écosse. Elle se fait connaître en 1995 grâce à un recueil de nouvelles encensé par la critique, avant de poursuivre une œuvre qui compte aujourd’hui sept pièces de théâtre, cinq recueils de nouvelles et neuf romans, dont trois ont été finalistes du prestigieux Booker Prize. Automne, le premier volume d’un projet romanesque consacré aux saisons, a battu tous les records de vente pour un ouvrage littéraire dans le monde anglo-saxon.

 

 

Avis :

Elisabeth, jeune professeur d’art, n’a jamais oublié le vieux voisin, un peu excentrique mais si gentil et si cultivé, qui, lorsqu'elle était enfant, lui a fait découvrir un monde de rêves, celui de l’art et de la littérature. Elle est la seule à lui rendre régulièrement visite, dans la maison de retraite où, centenaire, il ne fait plus grand-chose d’autre que dormir. Autour d’eux et de leur tendresse, la vie de tous les jours continue, avec ses tracasseries et ses absurdités, au lendemain du Brexit qui divise l’Angleterre.

Très décousu, ce roman ressemble aux collages de l’artiste de Pop Art anglaise, Pauline Boty, qu’il met à l’honneur et m’a fait découvrir. C’est un véritable patchwork d’images et de symboles, tous représentatifs des dérives d’une société confrontée à ses contradictions jusqu’à l’aberration : une œuvre contestataire, destinée à faire sentir le malaise de l’auteur face à l’Angleterre d’aujourd’hui, au travers d’un texte surréaliste, poussé jusqu’aux limites de l’absurde.

Sans doute ce livre parle-t-il davantage aux Britanniques, qui se souviennent sans doute, eux, du scandale de l’affaire Profumo en 1963, provoquée par la liaison entre un membre du gouvernement et la danseuse de cabaret Christine Keeler, elle-même compromise par sa relation en pleine guerre froide avec un ami soviétique ? Aujourd’hui, Ali Smith dénonce les mensonges politiques qui ont conduit au Brexit et au déchirement du pays, la xénophobie et la peur des migrants, les inepties quotidiennes que vivent les citoyens confrontés à une administration tracassière et dysfonctionnelle.

Personnellement, j’ai surtout ressenti un ennui déconcerté et une croissante irritation à essayer tant bien que mal de comprendre un tant soit peu ce livre étrange et déroutant, ce « collage » littéraire à la limite de l’abscons, que j’ai dû me forcer à terminer. (1/5)

 

 

Citations :

Bonjour, dit-il. Tu lis quoi ? Elisabeth lui montra ses mains vides. Je donne l’impression d’être en train de lire ? dit-elle. Il faut toujours être en train de lire, dit-il. Même quand on ne lit pas réellement. Sinon, comment lirions-nous le monde ?

Partout dans le pays, ce n'était que tristesse et réjouissances. Partout dans le pays, ce qui venait d'avoir lieu se balançait tel un fil électrique tout à coup doté de vie car arraché à un pylône par une tempête. Il s'agitait au-dessus des arbres, des toits, des voitures. Partout dans le pays, les gens avaient le sentiment d'avoir fait ce qu'il ne fallait pas faire. Partout dans le pays, les gens avaient le sentiment d'avoir fait ce qu'il fallait faire. Partout dans le pays, les gens avaient le sentiment d'avoir tout perdu. Partout dans le pays, les gens avaient le sentiment d'avoir tout gagné. Partout dans le pays, les gens avaient le sentiment d'avoir fait le nécessaire et d'autres de ne pas l'avoir fait. Partout dans le pays, les gens tapaient sur Google : UE définition. Partout dans le pays, les gens tapaient sur Google : partir Ecosse. Partout dans le pays, les gens tapaient sur Google : passeport irlandais.

Je suis fatiguée de ces nouvelles. Je suis fatiguée de la façon dont on rend spectaculaire des choses qui ne le sont pas, dont on traite de façon simpliste des choses terribles. Je suis fatiguée du vitriol, je suis fatiguée de la colère. Je suis fatiguée de la méchanceté. Je suis fatiguée de l'égoïsme. Je suis fatiguée qu'on ne fasse rien pour empêcher ça. Je suis fatiguée de la façon dont on encourage ça. Je suis fatiguée de la violence qui existe, et je suis fatiguée de la violence à venir, qui ne s'est pas encore produite, mais qui arrive. Je suis fatiguée des menteurs. Je suis fatiguée des menteurs assermentés. Je suis fatiguée de la façon dont des menteurs ont laissé ça se produire. Je suis fatiguée d'avoir à me demander s'ils ont fait ça par bêtise ou volontairement. Je suis fatiguée des gouvernements qui mentent. Je suis fatiguée des gens qui s'en foutent qu'on leur ai menti. Je suis fatiguée que tout ça me fasse peur. Je suis fatiguée de l'animosité. Je suis fatiguée de la pusillanimosité. 

Je ne crois pas que ce mot existe, dit Elisabeth. 
Je suis fatiguée de ne pas connaître les bons mots, dit sa mère. 



La Ronde des Livres - Challenge 
Multi-Défis d'Automne 2019

mardi 29 octobre 2019

[Andrea Jean-Baptiste] Ma reine






 

Coup de coeur 💓

Titre : Ma reine

Auteur : Jean-Baptiste ANDREA

Année de parution : 2017

Editeur : L'Iconoclaste

Pages : 240






 

 

Présentation de l'éditeur :

Shell n’est pas un enfant comme les autres. Il vit seul avec ses parents dans une station-service. Après avoir manqué mettre le feu à la garrigue, ses parents décident de le placer dans un institut. Mais Shell préfère partir faire la guerre, pour leur prouver qu’il n’est plus un enfant. Il monte le chemin en Z derrière la station. Arrivé sur le plateau derrière chez lui, la guerre n’est pas là. Seuls se déploient le silence et les odeurs de maquis. Et une fille, comme un souffle, qui apparaît devant lui. Avec elle, tout s’invente et l’impossible devient vrai.

Jean-Baptiste Andrea livre ici son premier roman. Ode à la liberté, à l’imaginaire, et à la différence, Ma reine est un texte à hauteur d’enfants. L’auteur y campe des personnages cabossés, ou plutôt des êtres en parfaite harmonie avec un monde où les valeurs sont inversées et signe un récit pictural aux images justes et fulgurantes qui nous immerge en Provence, un été 1965
.


Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Jean-Baptiste Andrea est né en 1971. Il est réalisateur et scénariste. 
Ma reine est son premier roman.


Avis :

1965. Exclu de l’école pour rejoindre bientôt un établissement spécialisé, Shell, douze ans et différent, décide de prouver qu’il n’est plus un enfant en partant faire la guerre. Sa fugue le conduit dans les hauteurs qui surplombent la station-service où il vit avec ses parents, dans les Alpes de Haute-Provence. Il y fait deux rencontres : une fille de son âge, en qui il ne tarde pas à voir la grande amie qu’il n’a jamais eue et pour qui il serait prêt à tout, et un vieux berger solitaire qui a ses raisons de se faire discret dans le maquis.

Comme dans Cent millions d’années et un jour, les protagonistes de Jean-Baptiste Andrea préfèrent quitter leur triste quotidien dans la vallée et le rude monde des hommes ordinaires, pour courir après leurs rêves et chercher la paix dans la solitude de la montagne. Dans les deux livres, le conte s’avère bien cruel et le prix à payer exorbitant.

L’innocence de Shell nous ouvre les portes d’un univers de tendresse et de fraîcheur, où, le temps d’une parenthèse que l’on sait bien devoir se refermer, comme une sorte de moment de grâce fragile et fugace, s’épanouit un amour pur et lumineux, touchant et merveilleux. Comme on aimerait faire durer ces instants et protéger la candeur de Shell de l’inévitable retour à la réalité ! Mais le serrement de coeur prémonitoire du lecteur se terminera bien dans les larmes.

Shell n’est-il pas l’incarnation de l’enfant tué en chacun d’entre nous, forcé de grandir et de perdre son innocence et ses illusions à son entrée dans l’âge adulte ? La mort est-elle le prix qu’il faut être prêt à payer pour préserver ses rêves ?

Ce premier roman court et poétique, beau et cruel, porte déjà les germes d’une thématique qui semble chère à l’auteur, explorée ici à l’émouvante hauteur d’un enfant plus vulnérable que les autres. Coup de coeur. (5/5)


Citations :

À la récréation je restais tout seul et lui aussi alors à force, on s’était dit que tant qu’à faire, autant rester tout seuls ensemble.

Autrefois à l'école tout le monde était meilleurs amis sauf moi. C'était comme une grosse boule d'amitié autour de laquelle je tournais sans jamais pouvoir rentrer.

Dès qu'il avait refermé la porte, j'étais allé écouter, j'avais appris à la maison que c'était comme ça qu'on entendait les choses les plus intéressantes, les gens parlaient mieux derrière les portes.

Je mourais d'envie de dire "Alors ?" mais c'était le genre de mot qui appelait les mauvaises nouvelles, je l'avais appris très tôt. Alors le directeur dit que tu peux plus aller à l'école. Alors ta grand-mère t'aime beaucoup mais elle est partie. Alors non, le père Noël n'existe pas. Des "alors" comme ça, j'en avais une liste longue comme le bras.

Il était étroit, même de face il avait l'air de profil.

Il faisait chaud. Ici dans la vallée l'été n'avait pas l'air de savoir qu'il allait bientôt devoir s'en aller. Personne ne lui avait rien dit et il s'était installé confortablement, un peu comme moi, sans penser très loin.

J'ai voulu expliquer tout ça à Viviane et j'ai dit un truc comme :
- Haaaaaan.
Voilà, quand je voulais dire quelque chose d'immense, ça finissait toujours tout petit.

Ca ne me posait pas de problème, attendre m'occupait déjà assez comme ça, j'avais toujours eu du mal à me concentrer sur deux choses à la fois.



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