J'ai beaucoup aimé
Titre : Si peu (Tanto poco)
Auteur : Marco LODOLI
Traduction : Louise BOUDONNAT
Parution : en italien et en français (P.O.L.)
en 2024
Pages : 144
Présentation de l'éditeur :
Le nouveau roman de Marco Lodoli raconte la passion silencieuse et implacable d’une femme, concierge dans une école, pour Matteo, professeur et écrivain, qui ne remarque rien, trop pris dans son art, ses ambitions, dans l’illusion d’être différent des autres. Elle n’a pourtant jamais cessé de l’aimer. Mais à quel prix ? Quarante années passées à le défendre des dangers, du mal, du monde. En silence, en secret, car pour aimer ainsi, il faut savoir tout perdre. Elle a dû être inflexible, féroce. Protéger et chérir sans jamais s’exposer, sans se dévoiler : « J’avais besoin de le voir chaque matin, d’échanger avec lui un rapide bonjour, et imaginer que sans moi, qui ne suis presque rien, il se serait égaré dans l’existence comme un enfant dans la forêt. »
Ces deux existences parallèles finiront peut-être par se rencontrer. Le temps d’une nuit, dans une étreinte entre illusion et oubli. Ce grand livre, d’une beauté sombre mais magique, fait le récit d’un amour fou, une grâce noire que l’on n’obtient que par renoncement. La fin du livre rejoint de très grands textes mystiques sur l’effacement. Parabole radicale sur l’espérance, comme une obsession absurde et magnifique, qui ne tient qu’à presque rien, à « si peu » (tanto poco). C’est aussi une parabole de la rédemption par la fiction, qui permet de tenir, d’espérer, d’inventer l’avenir même si les chemins sont impossibles. Avec ce sentiment bouleversant de poursuite d’un rêve que rien ni personne ne doit interrompre. Une fiction folle, et pour cela plus forte que toute réalité.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Avis :
La narratrice est concierge dans un établissement scolaire qui pourrait être jumeau de celui de l’auteur. Ombre sans prénom, elle fait partie des murs depuis maintenant quatre décennies quand elle se lance dans ce récit ouvrant sur ses vingt-six ans et ce fameux jour qui devait donner le ton au reste de sa vie. Ce jour-là débarque au lycée, en retard et dégoulinant de pluie, celui qu’elle prend d’abord pour un élève indiscipliné et qui s’avère un jeune professeur de lettres, tout aussi peu adapté au moule de l’établissement. Dépourvu d'autorité, dédaignant notes et contrôles tout en s’affranchissant des programmes, ce poète-albatros s'attire aussitôt la réprobation ouverte de ses pairs et de sa hiérarchie, mais aussi, lui qui du haut de sa sphère intellectuelle ne la regardera jamais, le secret amour de la jeune femme humblement cantonnée à ses tâches subalternes.
Elle ne variera jamais, d’autant plus fidèle à son idéal que les laideurs de son quotidien n’offrent d’autre issue que la résignation. De même qu’entre vidage des poubelles et nettoyage des toilettes elle préserve farouchement les roses blanches qu’elle a pris l’initiative de faire fleurir dans le jardin du lycée, toute sa vie elle cultivera la beauté muette d’un amour rêvé, en réalité bien plus vaste que son véritable objet car cristallisant les aspirations mort-nées d’une existence socialement entravée et résignée à subir sans espoir une violence systémique, symbolisée par un viol et un avortement tous deux silencieux.
Pendant qu’elle sublime sa vie insupportable en un éden secrètement fantasmé, le défendant bec et ongle contre les assauts d’un réel que son inconscient lui fait se représenter sous la forme d’un gnome fantastique, lui que ses origines sociales encouragent dans ses ambitions entreprend de vaincre les mesquineries et les frustrations qui encombrent son métier en goûtant la gloire de l’écriture. Et si, de Marco Lodoli à son personnage Matteo Romoli, les évidentes proximités semblent teinter le récit d’une certaine auto-dérision, ce n’est là encore que pour mieux peindre les rêves, puis cette fois les désillusions, face à la cruauté d’un monde en vérité tueur de poésie.
Citations :
Les années passant, tout devient plus vague, toute forme de détermination se dissout et il paraît presque étrange d’imaginer qu’un jour une chose précise a existé, un fait survenu à telle date, une rencontre dans tel lieu, que nous avons acheté des objets qui existent vraiment et qui sont encore là dans le placard ou sur la table de la cuisine, et qui sont les nôtres. La jeunesse veut, revendique, s’impose, mais ensuite, avec le temps, tout s’effiloche, perd de sa substance et devient un regard où rien n’est certain, un patchwork d’images qui vont et viennent et sont inintelligibles. C’est comme si la vie elle-même n’était plus ma vie ou la tienne ou la sienne, mais seulement un grand champ nébuleux où nous errons tous sans visage dans un voyage tel un courant qui nous entraîne où bon lui semble. Les pensées ne sont plus un bien ou un mal intime, personnel, ce sont les pensées du monde qui traversent nos esprits de plus en plus vertigineux, indéfinis. Bien sûr je ne suis pas capable d’expliquer rigoureusement ce qui se passe, je n’ai pas étudié et je n’ai quasiment rien compris, mais je sens que ma vie m’appartient moins, que j’y suis comme dans un hôtel avec beaucoup d’autres, avec tout le monde, un hôtel qui m’accueille, mais où rien n’est vraiment à moi. Et parfois je me demande : quand je ne serai plus là, où finira la somme de ce que j’ai vu ? La lumière s’éteint brusquement et tout disparaît ? C’en est fini des saisons, des villes, des fleurs, des guerres, de l’école ? L’amour pour Matteo s’évanouira lui aussi dans le néant, ou bien subsistera-t-il une trace dans l’univers, dans l’existence de ceux qui restent, dans l’air qui emplit l’hôtel infini ? Plus j’avance, plus tout ça ressemble à un rêve, et j’ai peur de me réveiller et de le voir se dissoudre dans le néant, de ne plus m’en souvenir. Je veux continuer à aimer Matteo, même si je ne sais plus bien qui je suis et qui est Matteo, mais je sais que ce sentiment est fort et nécessaire, que je veux aimer jusqu’à la fin, et aussi après.
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