vendredi 22 mars 2024

[McCann, Colum] American Mother

 




J'ai beaucoup aimé

 

Titre : American Mother

Auteur : Colum McCANN

Traduction : Clément BAUDE

Parution :  en anglais en 2023,
                   en français en
2024 (Belfond)

Pages : 208

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :

Comment rester debout face à la violence, à l'horreur ? Comment regarder dans les yeux celui qui vous a enlevé ce que vous aviez de plus précieux ? Comment pardonner à l'assassin d'un des siens ? Comment garder espoir quand tant d'atrocités sont commises au nom de la religion ?

Toutes ces questions qui nous assaillent dans une actualité toujours plus tragique, Colum McCann y a été confronté lors de sa rencontre avec Diane Foley. Jour après jour, il l'a accompagnée au procès des bourreaux de Daech et a vu une mère au courage exceptionnel puiser dans sa foi et son humanisme la force d'affronter un de ceux qui ont torturé et décapité son fils, le journaliste américain James Foley.

Plongez dans une enquête vibrante sur les intégrismes religieux à travers l'histoire vraie de cette mère de famille face à l'horreur.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Né en 1965 à Dublin, Colum McCann est l’auteur de trois recueils de nouvelles et de sept romans, dont Et que le vaste monde poursuive sa course folle (prix littéraire du Festival de cinéma américain de Deauville et lauréat du National Book Award), et Apeirogon (Grand Prix des lectrices de Elle et prix du Meilleur Livre étranger).

 

 

Avis :

Après Apeirogon et le véridique combat conjoint pour la paix de deux pères endeuillés en Israël et en Palestine, Colum McCann met à l’honneur une autre figure, elle aussi incarnation de l’humanité face à la barbarie, en se faisant la plume de Diane Foley, la mère du journaliste américain James Foley exécuté par l’État islamique après deux ans d’une terrible captivité en Syrie.

En 2012, le journaliste free lance James Foley tourne un reportage en Syrie lorsqu’il est pris en otage par Daech. Pendant deux ans, il est détenu et torturé, et, le gouvernement américain se refusant à négocier avec les terroristes, ceux-ci finissent par le décapiter en diffusant la vidéo dans le monde entier. Horrifié par ces images, Colum McCann décide d’entrer en contact avec les proches de la victime après être tombé sur une photographie montrant le jeune homme plongé dans l’un de ses romans dans un bunker afghan. Il se rend en Nouvelle-Angleterre, dans le Nord-Est des Etats-Unis, là où ont grandi James et ses quatre frères et sœurs et où résident toujours leurs parents. Diane Foley accepte de raconter l’histoire de son fils, sa vocation de reporter de guerre, son enlèvement et sa détention avec d’autres journalistes et des humanitaires ressortissant de divers pays qui, eux, se démèneront pour les faire libérer, l’intransigeance des autorités américaines dans leur refus de céder au chantage, les deux longues années d’attente aboutissant à sa mort – apprise sur Twitter.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Car, pour surmonter l’horreur et le chagrin, Diane Foley se lance alors corps et âme dans un combat qui dure toujours et qui, de Barak Obama à Joe Biden, a complètement transformé la politique américaine à l’égard des otages et des individus emprisonnés de manière injustifiée. Aujourd’hui encore, cette « mère américaine » multiplie les engagements militants. En plus de la Fondation James Foley, elle a notamment cofondé l’association ACOS oeuvrant pour la protection des reporters free lance en zones de guerre. Animée d’une vraie foi, elle décide en 2021 de rencontrer l’un des assassins de son fils, tristement surnommés les « Beatles » parce qu’Anglais, convertis à l’islamisme et devenus soldats de Daech. Colum McCann l’accompagne alors dans son courageux rendez-vous avec cet homme, Alexanda Kotey, condamné à la perpétuité sans procès en échange de certaines obligations, comme celle de rencontrer les familles de victimes qui le souhaitent. Loin de tout esprit de haine et de vengeance, et parce que, pour mieux lutter contre la violence, il est essentiel d’essayer de comprendre, Diane vient pour écouter : « telle est maintenant sa mission. Elle doit écouter. »

Empli de sentiments contradictoires, le récit de l’entrevue est poignant. S’il ne sera jamais nettement question de regrets dans un échange trahissant un degré de sincérité variable chez l’assassin, ce dernier fera preuve d’émotion face à la si digne humanité de cette mère, tout en évoquant son ressentiment contre l’Amérique après des frappes qui tuèrent sous ses yeux l’épouse et le bébé d’un ami. L’homme laissant trois petites filles dans un camp en Syrie – pour quelle enfance ? –, Diane Foley qui, sans être sûre d’avoir tout à fait pardonné, dira ensuite avoir « réalisé que tout le monde était perdant », ira jusqu’à tenter de leur venir en aide…

Rédigée à la première personne pour mieux épouser la voix de cette femme impressionnante de courage et de force morale, cette non-fiction en tout point fidèle à la réalité fait de ce portrait, quasi hagiographique, un hommage appuyé à ces êtres qui, confrontés à la barbarie, trouvent les moyens de l’affronter de toute la force de leur humanité. « Parfois, on sait où est le bien. Parfois, on suit son instinct. Si on ne fait rien, rien ne se fait. » (4/5)

 

 

Citations :

Les plus grandes joies viennent après coup. Avec le temps, les rétroviseurs ont tendance à se nettoyer. J’adore compulser les vieux albums photos. J’aime à rouvrir le passé et à m’y replonger quelques instants. C’est une forme de nostalgie, bien sûr, mais la nostalgie nous fait toucher du doigt le présent. Nous sommes une accumulation de parcours.


Je commençais à me dire qu’une de nos tragédies, en tant que nation, était notre incapacité à comprendre les conflits étrangers. Trop souvent, nous ne cherchons pas à connaître véritablement notre ennemi. Ajoutez à cela un manque d’empathie et une exploitation hasardeuse des renseignements, et vous obtenez la recette d’un pays qui croit bien faire, quand en réalité il me semble souvent qu’on se tire une balle dans le pied.
Apprendre ce que l’on croit déjà connaître est impossible. C’est un résumé de l’Amérique. Nous croyons savoir. Donc nous n’apprenons pas.


En France, apparemment, les choses se passaient comme dans nul autre pays. Les Français se souciaient énormément de leurs otages. Cela faisait l’objet d’un débat national. On montrait presque tous les soirs leurs visages à la télévision. Leurs noms étaient sur les lèvres des écoliers. Je n’en revenais pas. J’étais admirative, voire jalouse, face à un tel soutien.


Jim fut l’un des dix-huit prisonniers occidentaux enlevés par le groupe jihadiste Daech. Les terroristes cherchaient à se faire passer pour une faction parmi d’autres, mais leur véritable identité devenait de plus en plus claire, surtout à mesure que les autres otages revenaient et témoignaient. Daech était dirigé par Abou Bakr al-Baghdadi, autoproclamé calife de l’État islamique. Le noyau du groupe des ravisseurs était constitué de trois jihadistes britanniques que les otages eux-mêmes avaient surnommés « les Beatles ».
Heureusement, je n’ai rien su de tout ça pendant la captivité de Jim. Mais les Beatles étaient impitoyables et cruels. (J’ai connu les détails plus tard, grâce aux otages libérés et aux articles n contrôle très strict sur leurs prisonniers. Ils n’hésitaient pas à avoir recours au waterboarding, à les suspendre au plafond par des menottes ou à se servir de câbles pour les frapper sur la plante des pieds. Ils s’habillaient de noir, portaient cagoules et gants, ne montraient jamais leur visage. Ils parlaient avec un fort accent cockney et étaient les pires idéalistes qui soient : fraîchement convertis à l’islam. En tant que Britanniques, ils haïssaient la Grande-Bretagne. Ils avaient honte de leur pays d’origine. Au nombre de leurs obsessions figuraient Guantanamo, Abou Ghraïb, la guerre contre l’islam et l’occupation américaine de l’Irak. Ils maintenaient leurs prisonniers pieds nus, au cas où ils tenteraient de fuir. Ils leur braquaient des pistolets sur la tempe, leur plaquaient des sabres contre la gorge, se livraient à des simulacres d’exécution pour les terroriser. Parodiant la guerre des États-Unis contre le terrorisme, ils utilisaient une technique de crucifixion : une reconstitution de la torture à Abou Ghraïb, par laquelle on force un homme cagoulé à rester debout, les bras écartés. Pas de clous, pas de croix. Mais des coups, incessants. Des techniques de privation de nourriture cruellement appliquées. Et il y avait le waterboarding.
On a dit que les Beatles étaient furieux que Jim et John Cantlie se soient convertis à l’islam – cela venait réduire leur champ des possibles en matière de torture. En effet, selon la loi islamique, la torture d’un musulman par un autre musulman obéit à des règles strictes, qui doivent être strictement appliquées. La torture des otages avait pour but de les humilier et de renforcer leur sentiment d’impuissance. Les bourreaux voulaient semer la panique. Et le message qu’ils entendaient envoyer ne s’arrêtait pas à la cellule où ils retenaient leurs prisonniers – ils souhaitaient que le monde entier connaisse la panique.
 
 
J’avais vu l’injustice partout. J’avais vu des gens dont la foi s’était brisée. J’avais vu un gouvernement abandonner ses citoyens et laisser les survivants ramasser les débris du naufrage. Des journalistes traités comme de simples poussières. J’avais vu certaines des choses les plus cruelles que des êtres humains peuvent s’infliger entre eux. Et pourtant, derrière tout cela, je savais qu’une ardeur et une bonté illuminaient encore le monde. J’avais rencontré aussi des êtres extraordinairement généreux et compatissants. J’avais aperçu des fissures dans le mur de la bureaucratie. J’avais découvert – et admiré – l’idée selon laquelle on pouvait être optimiste y compris face à la pire des réalités. Rester dans les ténèbres me paraissait lâche et mauvais. Avancer vers la lumière exigerait du courage. Il était beaucoup plus difficile d’être optimiste que pessimiste. L’optimisme existe en dehors de lui-même. Le pessimisme ne fait que se nourrir de lui-même.


Je devais tirer des conclusions de cette épreuve. Il était évident que notre gouvernement devait se ressaisir. Nous devions faire de la libération de tout citoyen américain enlevé ou injustement détenu une priorité nationale. Notre politique des otages américains devait être amendée afin de faciliter leur retour. Le gouvernement devait – à tout le moins – se montrer compatissant et transparent avec les familles. Avec un peu de dignité et de compréhension, on pouvait déjà avancer à grands pas. Il restait tant à faire pour empêcher les prises d’otage. Il fallait élever le niveau de conscience. Il fallait aussi travailler sur la formation préventive à la sécurité, notamment pour les travailleurs humanitaires et les journalistes, toujours plus ciblés.
En d’autres termes, nous devions aider à l’affirmation d’une prise de conscience nationale, aussi bien au sein de notre gouvernement que dans la population. Notre politique des otages, ces dernières années, n’était pas seulement sous assistance respiratoire : elle avait dépassé la cote d’alerte. Et nous avions besoin d’un réceptacle, d’une organisation pour accueillir au moins certaines solutions. Je ne savais pas très bien par où commencer, mais il y avait des précédents. Parmi eux, une association à but non lucratif nommée Hostage UK dont je me suis inspirée.

 

 

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