dimanche 24 mars 2024

[Clairville, Agnès (de)] Corps de ferme

 



 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Corps de ferme

Auteur : Agnès de CLAIRVILLE

Parution : 2024 (HarperCollins)

Pages : 304

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

« Quand on prend leur veau, les vaches chargent. Même si elles n’ont plus de cornes. Elles courent comme des génisses, sans la joie. Leur plainte envahit l’air froid. Traverse les prés. Frappe les carreaux de la ferme. S’insinue dans les oreilles. Elle devient un bourdonnement qui empêche de penser à autre chose. Qu’à cette mère qui appelle son veau. »

Tandis qu’ils œuvrent à leur survie, rien n’échappe aux animaux de la ferme. L’inquiétude de l’éleveur acculé par les échéanciers, les batailles des fils à mesure qu’ils grandissent, les pas de la femme, plus lourds que d’ordinaire. La vache, la chienne, le chat sont les vigies d’un monde rythmé par la vie et la mort. Leur ronde silencieuse ne connaît pas le contretemps. Mais dans cette ferme une tragédie a cours et personne n’en devine rien. Parce que les hommes sont aveugles, les bêtes vont témoigner.
 
Avec ce huis clos à ciel ouvert, où les cris des bêtes se mêlent aux secrets des hommes, Agnès de Clairville s’attache à renverser le regard. Qu’ont à nous dire les animaux sur notre rapport à la naissance et à la filiation ? Ici, l’animalité commande tout et les mots bousculent, jusqu’à l’inattendu.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Agnès de Clairville est née en Normandie et vit aujourd’hui à Marseille. Scientifique de formation, elle a d’abord travaillé la photographie avant de se dédier à l’écriture. Corps de ferme est son deuxième roman.

 

Avis :  

Corps de ferme ou corps de femme ? Après un premier roman sur les silences familiaux autour des violences sexuelles, Agnès de Clairville, ingénieur agronome de formation, poursuit sur la voie de l’indignation avec l’ingrate condition paysanne. Les seuls témoins de son huis clos silencieux étant les animaux de la ferme, c’est à eux, vache, chien, chat, oiseau, qu’elle laisse le soin de la narration.

Invisible aux yeux de tous, même de ses acteurs principaux aveuglés par leur quotidien, une tragédie se joue depuis des années dans le monde clos de cette petite exploitation agricole. Seules les bêtes, comme le choeur d’une tragédie grecque, ont tout loisir d’en ressentir instinctivement les tensions et d’en observer les manifestations. C’est la pluralité de leurs voix et de leurs points de vue, exprimés à la première personne du singulier dans un langage viscéralement descriptif qui nous immerge, loin de toute sentimentalité anthropomorphique, dans la réalité sensorielle, ses bruits, ses odeurs, la chair et le sang de cet univers, qui permet peu à peu au lecteur de se construire une idée globale de la situation.

Il faut dire qu’entre aléas divers et implacable pression des factures, le quotidien au sein de cette ferme n’est pas seulement harassant du petit matin au coucher du soleil. La pression est écrasante, qui risque à tout moment de mettre cette famille sur la paille, aussi frugale et dure à la tâche que soit leur existence. L’on n’a donc pas le temps de se complaire aux sentiments et à l’introspection. Chacun fait face en silence et sans se plaindre, le père tout en rudesse et coups de gueule, les deux fils dans la rivalité de leurs conflits croissants, et la mère dans la résignation fatiguée qui alourdit chaque jour un peu plus son pas et ses mouvements.

Pourtant, tapi au plus secret du corps de ferme, le drame qui attend son heure finira bien, sordide mais si humain, par se déclarer au grand jour. Pari gagnant, l’audacieux parti-pris narratif permet à l’auteur d’aborder très naturellement l’impensable, dans une réalité brutale et nue, simplement factuelle et terriblement douce-amère, qui interroge notre rapport à la vie et à la mort, à la maternité et à la filiation, à la violence et à la domination des plus faibles.

Une réussite que ce second roman construit selon une perspective des plus originales et qui permet à l’auteur d’aborder avec sensibilité et pudeur un sujet qui ne s’y prêtait a priori pas aisément.  (4/5)


 

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