mardi 26 mars 2024

[Salvayre, Lydie] Irréfutable essai de successologie

 


 

 

 

Coup de coeur 💓

 

Titre : Irréfutable essai de successologie

Auteur : Lydie SALVAYRE

Parution : 2023 (Seuil)

Pages : 176

 

  

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :    

Comment se faire un nom ?
Comment émerger de la masse ?
Comment s’arracher à son insignifiance ?
Comment s’acheter une notoriété ?
Comment intriguer, abuser, écraser, challenger ?
Comment mentir sans le paraître ? Comment obtenir la faveur des puissants et leur passer discrètement de la pommade ? Comment évincer les rivaux, embobiner les foules, enfumer les naïfs, amadouer les rogues, écraser les méchants et rabattre leur morgue ? Comment se servir, mine de rien, de ses meilleurs amis ? Par quels savants stratagèmes, par quelles souplesses d’anguille, par quelles supercheries et quels roucoulements gagner la renommée et devenir objet d’adulation ?


Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Née en 1946 d’un père Andalou et d’une mère catalane, réfugiés en France en février 1939, Lydie Salvayre passe son enfance à Auterive, près de Toulouse.

Après une Licence de Lettres modernes à l’Université de Toulouse, elle fait ses études de médecine à la Faculté de Médecine de Toulouse, puis son internat en Psychiatrie. Elle devient pédopsychiatre, et est Médecin Directeur du CMPP de Bagnolet pendant 15 ans.

Lydie Salvayre est l’auteur d’une vingtaine de livres traduits dans de nombreux pays et dont certains ont fait l’objet d’adaptations théâtrales.

La Déclaration (1990) est saluée par le Prix Hermès du premier roman, La Compagnie des spectres (1997) reçoit le prix Novembre (aujourd’hui prix Décembre), BW (2009) le prix François-Billetdoux et Pas pleurer (2014) a été récompensé par le prix Goncourt.


 

Avis :

S’il n’était autrefois que « la conséquence et non le but d’une œuvre ou d’une action », les priorités se sont aujourd’hui inversées : « Le succès est la nouvelle religion. » C’est lui désormais « le but et non la conséquence », le Graal moderne accessible au plus commun des mortels, pourvu que, même sans talent aucun - « Tout vient prouver, en effet, que le caractère le plus propice au succès est de n’en avoir aucun (talent) et qu’écrire du rien sur du rien (...) ne dessert nullement votre ascension vers les cimes » -, il sache faire siennes certaines règles. Ces règles, Lydie Salvayre les a cyniquement rassemblées en une satire vitriolée, qui, prenant la forme d’un vrai-faux manuel du savoir-réussir, nous renvoie, grotesques Narcisses, à l’inanité de nos impostures.

Ecrivains de tout poil, éditeurs tendant à « privilégier les déjà privilégiés, et à négliger les déjà négligés », journalistes et animateurs dotés de « la désinvolture et de l’élégance crâne d’un Cyril Hanouna », hommes influents qui usent « de leur esprit comme de leur fortune : ne le dépensant que sciemment et à la seule condition qu’il rapporte », ou encore influenceuses « bookstagrameuses » aux « dimensions inversement proportionnelles à celles de l’esprit » et qui vouent « une dévotion toute particulière à leur gueule, à leurs seins, et par-dessus tout à leur cul, qui, comme le rumsteak chez le bœuf, semble constituer à leurs yeux le morceau de choix » : nul n’échappe aux féroces coups de griffe et de plume, gantés d’esprit et d’une élégance d’écriture volontiers désuète, qu’en exutoire à son exaspération et à sa révolte, l’auteur assène avec jubilation, dans un exercice rhétorique aussi sévère que railleur.

Sans même verser dans l’outrance ni la caricature, ses observations caustiques font mouche et construisent un inventaire, ô combien peu flatteur, des différents profils à l’oeuvre dans le monde des livres et de la littérature. Et même si le rire nous emporte, la consternation n’est jamais très loin sous le sarcasme, lorsque tout cela se résume en brochettes d’égos boursouflés, rassemblés en coteries motivées par l’arrivisme bien plus que par la promotion d’oeuvres de qualité, et en un marketing de l’inculture et de la médiocrité, où la notoriété se bâtit sur le brillant de l’apparence et grâce à la supercherie de ces « nouveaux territoires virtuels » où l’on peut « affirmer, sans preuves vérifiables, que vos produits s’arrachent ; les gratifier de vertus qu’ils ne possèdent en rien ; vendre pour authentiques de faux objets de marque ; cameloter la poudre dite de perlimpinpin ; gonfler outrageusement le chiffre de vos likes ; et faire accroire, pour résumer, n’importe quel bobard. »

Alors, comment atteindre au succès quand on est écrivain ? Les recommandations de Lydie Salvayre dans cette parodie de manuel pour les apprentis de la réussite les inciteront peut-être à réviser leurs priorités s’ils n’ont « pas de goût pour le tapin, ni pour les laisses autour du cou » et si, comme Marcel Proust, ils préfèrent penser que « les vrais livres doivent être les enfants non du grand jour et de la causerie mais de l’obscurité et du silence. » Coup de coeur. (5/5)

 

 

Citations : 

Le succès possède d’excellentes facultés détergentes. (...)
En résumé, le succès, par un phénomène que je n’hésiterai pas à qualifier de transsubstantiation, fait passer pour intelligent l’individu le plus con, pour séduisant le plus moche, pour aimable le plus odieux, pour honnête le plus malhonnête et pour immortel le plus piètrement mortel. Autant de prodiges qui me permettent d’inférer que ce ne sont plus désormais ni l’art, ni la politique, ni les anciennes croyances qui déterminent notre présent. C’est, sans contredit, le succès. Le succès est la nouvelle religion.
 

La flatterie a ce double avantage de satisfaire la personne flattée et de prouver en même temps l’extrême discernement de son flatteur.
 

(…) rien ne lui [le puissant] répugne davantage que ces gens à sa botte, suspendus à ses ordres, cédant à ses caprices et accourant dès qu’il les siffle, mais qu’il ne pourrait supporter s’ils se comportaient autrement.
 

Il fut un temps où de grands esprits affirmaient que la célébrité n’était que le châtiment du talent, son fardeau, sa disgrâce. Il fut un temps où des artistes jugeaient vulgaire la moindre concession au grand nombre, considéraient que les vérités malséantes étaient les seules dignes d’être plaidées, foulaient aux pieds les lois sacrées de la renommée, et finissaient leur vie dans la dèche se nourrissant de pâtes et de sardines à l’huile. Une existence lamentable était, à leurs yeux, inséparable de leur vocation, puisqu’ils identifiaient le talent à l’échec, affichaient avec empressement le malheur où ils étaient plongés, cultivaient leur masochisme comme une marque d’humanité, et l’obscurité dans laquelle ils sombraient, comme un signe de profondeur. Un philosophe du nom de Nietzsche alla jusqu’à écrire que le refus de se plier aux conventions sociales et l’isolement qui en découlait conféraient aux esprits supérieurs la force nécessaire pour devenir ce qu’ils étaient !
 

Car s’il se disait autrefois que le succès était la conséquence et non le but d’une œuvre ou d’une action, la doxa moderne, et j’irais jusqu’à dire : la doxa révolutionnaire dont je suis la matricielle conceptrice, est de postuler que : Le succès est le but et non la conséquence.
 

L’écrivain stupide, plus fréquent qu’on ne croit, rit fort, parle haut, s’échauffe, tant il est heureux de se retrouver parmi ses pairs, soliloque sans cesse sur un ton d’importance – c’est en partie à cela qu’on le reconnaît –, s’absorbe dans ses démonstrations, et s’indigne tout seul au nom de convictions dont il ne démord pas. (…)
Laissez-le asséner ses jugements sur le ton d’évidence qui est le sien, en vous interdisant de les approuver ou de les récuser. Un vague hochement de tête, un regard terne et quelques écholalies seront les meilleures réponses à sa stupidité. Il en déduira que vous partagez ses convictions et ne vous en estimera que davantage. Car Tous les imbéciles aiment à être approuvés. Si l’envie vous prend de bâiller à ses démonstrations et que vous ne savez la refréner, appliquez-vous à bâiller par les narines.
 

La tendance des éditeurs est de privilégier les déjà privilégiés, et de négliger les déjà négligés.
 
 
Lorsqu’un vrai génie apparaît dans le monde, vous le reconnaîtrez à ce signe que les sots sont tous ligués contre lui, écrivait un célèbre pamphlétaire anglais.


Pour paraphraser Baudelaire, dites-vous que : Le succès est l’adaptation d’un esprit à la médiocrité nationale.


Pour le dire de façon plus convenable : plus le public vous voit, mes chéris, plus il vous aime. C’est une règle mathématique qui ne souffre aujourd’hui aucune contestation.


Alors un conseil : si vous avez la chance d’attraper le succès, ne le laissez pas, par indolence ou paresse, s’enfuir. Exploitez-le à fond. Rentabilisez-le. Consolidez-le pierre à pierre. Faites-le prospérer. Et hâtez-vous, sur sa lancée, d’en produire aussi sec un deuxième. Chose aisée puisque : Le succès produit les succès, comme l’argent produit l’argent.


Il ne suffit pas d’être talentueux, il faut avant tout le paraître. De ce principe découlent tous les autres.


N’oubliez pas, c’est encore Balzac qui l’affirme, n’oubliez pas que L’élégance travaillée est à la véritable élégance ce qu’est une perruque à des cheveux.


N’allez jamais contre l’opinion commune, vous soulèveriez des tollés, seriez condamné à la réprobation de tous, et finiriez votre vie seul, seul, aussi seul qu’un tyran. La singularité, je vous l’aurai répété ad nauseam, est odieuse au grand nombre. Or, tout succès repose sur son approbation (du grand nombre). C’est ce qu’ont parfaitement compris les hommes politiques qui vont chasser leur clientèle tous azimuts dans le but de se faire élire. Si bien que le premier zigoto venu, s’il a bien caressé l’opinion dans le sens de son poil et par tous les moyens possibles, peut se retrouver hissé à la tête d’un pays.


Il faut, écrivait Chateaubriand en expert, dispenser son mépris avec parcimonie tant il y a de nécessiteux.


Les humains d’aujourd’hui placent tous leur salut dans l’opinion publique. Ne vous insurgez donc pas contre sa tyrannie, si vous souhaitez que votre livre, ou tout autre objet ou cause à vendre, obtienne un véritable triomphe et devienne ce piège à foule que vous convoitez âprement. Enjôlez-la (l’opinion). Alléchez-la. Aguichez-la. Racolez-la. Appâtez-la. Et pour la mieux hameçonner, empressez-vous de l’émouvoir.  
Car la foule, mes cœurs purs, réclame à grands cris sa dose d’émotions, son alcool, son ivresse. Et les malheurs d’autrui, fussent-ils des fictions (enfants martyrisés, femmes en guerre, exils dévastateurs…), les malheurs d’autrui ont ce don singulier de la « divertir » au sens que Blaise Pascal accordait à ce verbe, c’est-à-dire d’occuper son esprit et son temps sans que cela n’apparaisse jamais comme une diversion ou un amusement, mais comme une chose noble, sérieuse, exemplaire, voire admirable. Cette foule affamée de choses qui asservissent se repaît, vous disais-je, de divertissements. Car en la détournant d’elle-même, ces divertissements colmatent le vide de sa vie, offrent à son mal-être une forme d’opium, et apaisent pour un temps sa conscience coupable. 


Notre homme influent a en effet compris qu’il fallait, pour triompher, dominer et asseoir son pouvoir, allier la ruse du renard à la férocité du fauve. Intriguer et faire peur. Capable donc de brutales transactions menées le plus souvent grâce à d’indécelables entourloupes et un opportunisme des plus ondoyants, il se félicite intérieurement à chacune de ses victoires et ne peut concevoir que tous ne soient, devant lui, confits d’admiration.
Il se pense considérable.   Son entourage, un quarteron de faibles qu’il a expressément choisis en raison de leur faiblesse, ne fait que l’en convaincre. Tous lui cèdent et tous le remercient de n’être pas infâme. Il peut néanmoins se montrer odieux, son passe-temps favori consistant à rappeler à ceux qui sont ses obligés qu’ils sont ses obligés ; à leur faire briller de grandes espérances, puis de but en blanc, comme ça, sans crier gare, à violemment les annuler ; à flatter leur ego pour mieux ensuite le flétrir ; à vanter le talent des uns pour amoindrir celui des autres ; à attiser leur inquiétude par quelques phrases énigmatiques ; ou à les rabrouer sans le moindre motif. (…)
Un autre enfin de ses plaisirs est de défendre mordicus un avis le lundi, et le mardi un avis tout contraire, sans autre motif que de déstabiliser ceux qui ont adhéré à sa première opinion. Façon de prouver que c’est lui, et lui seul, qui dicte le sens (dicter du latin dictare dont est issu dictatura). Lui seul qui décide des choses. Lui seul qui est craint et obéi. Et lui seul, donc, qui détient le pouvoir.


Le succès va principalement aux livres qu’on ne lit pas mais dont les réseaux sociaux se font abondamment l’écho. (…)
Gardez à l’esprit que seul, encore, un dernier carré de fanatiques et de vicieux s’emmerde à déchiffrer des ouvrages d’esprit, à les méditer, à les approfondir, à les comprendre amoureusement ou à les incomprendre. Leur extinction est proche.


 

Du même auteur sur ce blog :

 



 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire