mardi 14 janvier 2020

[Pauly, Anne] Avant que j'oublie






J'ai beaucoup aimé

Titre : Avant que j'oublie

Auteur : Anne PAULY

Année de parution : 2019

Editeur : Verdier

Pages : 144






 

 

Présentation de l'éditeur :

Il y a d’un côté le colosse unijambiste et alcoolique, et tout ce qui va avec : violence conjugale, comportement irrationnel, tragi-comédie du quotidien, un « gros déglingo », dit sa fille, un vrai punk avant l’heure. Il y a de l’autre le lecteur autodidacte de spiritualité orientale, à la sensibilité artistique empêchée, déposant chaque soir un tendre baiser sur le portrait pixelisé de feue son épouse ; mon père, dit sa fille, qu’elle seule semble voir sous les apparences du premier. Il y a enfin une maison, à Carrières-sous-Poissy et un monde anciennement rural et ouvrier.

De cette maison, il va bien falloir faire quelque chose à la mort de ce père Janus, colosse fragile à double face. Capharnaüm invraisemblable, caverne d’Ali-Baba, la maison délabrée devient un réseau infini de signes et de souvenirs pour sa fille qui décide de trier méthodiquement ses affaires. Que disent d’un père ces recueils de haïkus, auxquels des feuilles d’érable ou de papier hygiénique font office de marque-page ? Même elle, sa fille, la narratrice, peine à déceler une cohérence dans ce chaos. Et puis, un jour, comme venue du passé, et parlant d’outre-tombe, une lettre arrive, qui dit toute la vérité sur ce père aimé auquel, malgré la distance sociale, sa fille ressemble tant.
Cet ouvrage a reçu le Prix Envoyé par la Poste 2019.


Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Née en 1974 en banlieue parisienne, Anne Pauly vit et travaille à Paris.


Avis :

La narratrice vient de perdre son père, décédé d’un cancer. Alors qu’elle range la maison désormais déserte mais encore imprégnée de la présence du vieil homme, elle se remémore sa personnalité atypique et complexe, qui fut si difficile à vivre pour ses proches. Alcoolique et violent, provocateur et insupportable, cet ours unijambiste cachait pourtant pudiquement une tendresse maladroite et une sensibilité artistique empêchée, que sa fille va s’attacher à retracer au travers des mille objets et souvenirs entassés dans sa tanière : une manière pour elle de faire petit à petit son deuil, en se réconciliant avec ce qu’il fut et ce qu’il lui a laissé.

Ce roman aux sonorités autobiographiques est émouvant à plusieurs titres : c’est bien sûr le récit d’un deuil, d’une amputation affective avec laquelle il faut apprendre à vivre, mais c’est aussi la réhabilitation d’un père que l’auteur s’applique à révéler pour ce qu’il était vraiment, un long travail nécessaire à son apaisement, pour qu’enfin la réconciliation ait lieu et l’amour puisse retrouver sa place.

Le langage employé évoque la vie de tous les jours, les mille détails absurdes, drôles ou tragiques, qui, bien au-delà du raccourci des apparences, nous font deviner les secrets parfois touchants d’un homme devenu hérisson, et que seule la fin de vie a rapproché de sa fille. La maladie, l’hôpital, la morgue, les pompes funèbres, l’office religieux et l’enterrement, puis le vide et les souvenirs, sont évoqués sur un ton doux-amer, qui oscille constamment entre le rire et les larmes, narrant avec justesse et sensibilité un cheminement douloureux et nécessaire pour le retour à la vie des survivants.

Chacun pourra trouver une émotion à sa mesure dans ce récit intimiste à la portée pourtant universelle, où l’amour, trop pudique ou masqué par le quotidien, ne trouve à s’épanouir (ou pas) que lorsqu’il est bien (trop) tard. (4/5)


Citations : 

Bon, t’as un crayon et un papier ? Je voudrais te montrer un truc que j’ai appris à mon cours de chinois. J’ai fouillé mollement dans les tiroirs de la table basse devant nous pour en extraire un crayon de couleur violet tout mâché et une vieille enveloppe décachetée. Il a commencé par dessiner ce qui ressemblait à un peigne à trois griffes, puis en dessous, une agrafe au bout gauche distendu, puis encore en dessous, deux tirets verticaux soulignés d’un sourire pris dans une parenthèse puis, finalement, le chiffre 17, tordu comme si on l’avait cogné. Tu vois, cet idéogramme, ça veut dire l’amour. Ok, j’ai dit, soulagée d’avoir à me concentrer sur autre chose que la maladie, la mort et leur sinistre cohorte de significations. Regarde, le râteau, à trois dents là, en fait c’est une main, ok ? Ok. Le truc allongé en dessous, c’est un toit, le visage en dessous, c’est le symbole du cœur, et le 17 de travers, ça signifie la personne que l’on respecte ou l’ami, ok ? Ok. Je comprenais pas grand-chose mais je hochais la tête. Donc, si on reprend, globalement, l’amour, c’est de protéger avec ta main le cœur d’une personne que tu respectes, ok ? Ok, j’ai encore répondu alors que le joli message qu’il m’adressait l’air de rien se frayait peu à peu un chemin jusqu’à mon cerveau. Et tu sais le moyen mnémotechnique que les professeurs donnent pour se souvenir de la manière dont il faut composer ce caractère ? Eh ben, c’est simple. Plus loin sur la feuille, il a redessiné le peigne à trois griffes. Ça c’est la pluie qui tombe du ciel, juste au-dessous, le toit, c’est un parapluie, et encore dessous, c’est le cœur de ton ami. Alors, l’amitié, tu vois, c’est ça. C’est protéger le cœur de ton ami de la pluie et des intempéries.

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