vendredi 6 septembre 2024

[Jabois, Manuel] Miss Mars

 




 J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Miss Mars (Miss Marte)

Auteur : Manuel JABOIS

Traduction : Charlotte LEMOINE

Parution : en espagnol en 2021
                  en français (Gallimard) en 2024

Pages : 224

 

 


 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

On l’appelait « Miss Mars » car personne ne savait d’où venait Mai Lavinia, ni pourquoi elle s’était installée avec sa fille Yulia à Xaxebe. Ce dont on est sûr, c’est que dans cette station balnéaire de la Côte de la Mort, en Galice, l’été ne faisait que commencer. Mai fut rapidement adoptée par le groupe de jeunes qui se donnaient rendez-vous tous les après-midi sur la plage. Parmi eux, Santiago Galvache, « Santi », le fils aîné de l’un des notables du village.
Selon les témoins, le coup de foudre fut immédiat, évident, et ses e ets furent ravageurs. Aussitôt, les pires rumeurs se mirent à circuler sur le passé de Mai et sur ses intentions. Contre vents et marées, les amoureux ne tardèrent cependant pas à se marier. Or, le jour de la cérémonie, Yulia disparut, pour ne jamais être retrouvée.
Vingt-cinq ans plus tard, la journaliste Berta Soneira décide de mener une nouvelle enquête pour résoudre le mystère de cette disparition — une tragédie qui marqua la Galice et l’Espagne tout entière. Elle découvrira une vérité inattendue, faisant place aux fantasmes des uns et des autres, mais aussi à la promesse de bonheur d’un amour d’été, lumineux et adolescent.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Manuel Jabois est né à Sanxenxo (Galice) en 1978. Il a commencé sa carrière dans le journalisme au Diario de Pontevedra, puis s’est installé à Madrid et est devenu rédacteur pour El País. Miss Mars est son premier roman publié en français.

 

Avis : 

Petite commune de la Costa da Morte en Galice, Xaxebe est « l’endroit d’Europe où le soleil se couche en dernier, l’ultime point du continent qui demeure éclairé. » C’est là aussi que « plus de bateaux ont sombré que sur toutes les côtes d’Espagne réunies », « les cadavres d’infortunés pêcheurs si fréquemment rejetés sur la rive que les journaux locaux relatent l’événement sans le commenter ou presque ». Mais, pour Mai Lavinia, débarquée ici de nulle part en 1993 avec pour seuls bagages son silence sur son passé et Yulia, sa toute petite fille de deux ans, Xaxebe aura au final surtout été, comme souvent les villages, un lieu doté de « cette faculté de produire une atmosphère dans laquelle personne, excepté celui qui y vit, ne parvient à respirer. »

« Aura été »
, parce que cela fait maintenant vingt-cinq ans, soit trois années à peine après son apparition à Xaxebe, que Mai s’y est suicidée, sa mémoire continuant « à habiter les gens de l’intérieur comme un ver solitaire, dévorant tout ». Vite devenue la figure de proue, belle et fantasque, de la bande de jeunes du village, la juvénile mère de dix-sept ans n’avait pas tardé à épouser l’un d’entre eux, Santi, le fils d’un notable, tombé sous le charme. Le jour-même de la noce, sans que l’on en retrouvât jamais la moindre trace, l’enfant Yulia disparaissait, vraisemblablement kidnappée, plongeant Mai dans un désespoir auquel elle ne devait survivre qu’une poignée de saisons, et laissant le pays tout entier en proie aux plus folles conjectures. 

Cette affaire demeurée un mystère, serait-il possible de l’élucider un quart de siècle plus tard ? Une journaliste a en tout cas décidé de lui consacrer un documentaire et débarque à son tour à Xaxebe, flanquée, dans le rôle de fixeur, d’un protagoniste de l’époque, Nico, par ailleurs notre narrateur, très vite aussi troublé par l’exhumation de ses souvenirs que ses anciens amis interviewés. C’est que, s’assemblant peu à peu au travers des filtres du temps et des subjectivités et révélant à quel point chacun était toujours resté discret sur ses propres bribes de vérité en préférant laisser enfler les rumeurs, les pièces du puzzle commencent à recomposer une histoire qui, avec tous ses flous, parle autant d’une femme dont l’aura et le mystère ont suscité tous les fantasmes que des inerties et renonciations d’un village et de sa jeunesse d'alors, désormais rattrapés par une nostalgie teintée de mauvaise conscience.

Nimbée d’un vrai suspense mais non exempte d’un certain degré d’improbabilité, notamment en ce qui concerne la surprise finale, cette histoire trouve son plus grand intérêt, non pas tant dans le cold case et sa résolution, que dans l’atmosphère d’un village troublé dans sa terne routine par l’irruption aussi attirante que dérangeante d’un personnage hors norme. Insaisissable et secrète, Mai a, dans ce lieu endormi, le charme de l’inconnu et du mystère, très proche du trouble de l’interdit. Et puis, il y a en ces pages le parfum de plus en plus obsédant de la nostalgie, la conscience d’un temps écoulé oblitérant la mémoire et rendant peut-être illusoire la recherche d’une vérité devenue caléidoscopique, aussi diverse et mouvante que les souvenirs subjectifs des uns et des autres. C’est cette réflexion, à la fois sur les perceptions individuelles d’une même réalité, puis sur le travail tout aussi déformant de la mémoire, qui rend si captivant ce roman par ailleurs enraciné dans une Galice au temps solaire fort symboliquement décalé par rapport au reste du continent européen.

Un livre au charme triste et étrange, sur nos subjectivités et le travail de corrosion du temps sur la mémoire, que l’on parcourt suspendu au fil fragile de son mystère. (4/5)
 

 

Citations : 

J’ai conservé les journaux de l’époque. Et les gens gardent bien en mémoire tous les détails, inventés et réels, car ce fut le dernier mariage religieux célébré au village. Depuis lors, Dieu a continué à assister aux baptêmes et aux enterrements, mais Il n’a plus rien voulu savoir de l’amour.
 

— Certains vous diront du mal de Mai, a-t-il prévenu. Quand vous venez de l’extérieur, on vous renvoie toujours bêtement au fait que vous n’êtes pas d’ici. On ne savait rien de ses parents, ni de là d’où elle venait, et ce genre de chose, ça dérange. (…) Dans les villages, les familles sont une sorte de caution, vous savez vers qui vous tourner en cas de problème avec untel ou untel, ou à qui demander des comptes.
 

Un village, selon elle, « a cette faculté de produire une atmosphère dans laquelle personne, excepté celui qui y vit, ne parvient à respirer. »
 

J’aime bien avoir pas mal de prises, avec pas mal d’interviews, de documentation et de plans, sur deux ou trois heures, moins que ça, deux ou trois minutes, mais deux ou trois minutes-clés. Deux ou trois minutes, c’est à ça que se résume notre vie. Le truc, c’est que personne ne s’en rend compte, parce qu’il y a cette croyance selon laquelle vivre pleinement, c’est avoir beaucoup de choses qui t’arrivent, mais pour ma part je pense que vivre pleinement, c’est arriver à comprendre les choses qui t’arrivent. Et en général, on peut les compter sur les doigts d’une main, non ?


 

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