Coup de coeur 💓
Titre : La fille qu'on appelle
Auteur : Tanguy VIEL
Parution : 2021 (Editions de Minuit)
Pages : 176
Présentation de l'éditeur :
Quand il n'est pas sur un ring à boxer, Max Le Corre est chauffeur pour
le maire de la ville. Il est surtout le père de Laura qui, du haut de
ses vingt ans, a décidé de revenir vivre avec lui. Alors Max se dit que
ce serait une bonne idée si le maire pouvait l'aider à trouver un
logement.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Tanguy Viel est né en 1973 à Brest. Il publie son premier roman Le Black Note en 1998 aux Editions de Minuit qui feront paraître Cinéma (1999), L’Absolue perfection du crime (2001), Insoupçonnable (2006), Paris-Brest (2009), La Disparition de Jim Sullivan (2013) et en janvier 2017 Article 353 du code pénal, Grand prix RTL Lire.
Avis :
Depuis qu’il a quasiment raccroché les gants de boxe, l’ancien champion Max Le Corre est devenu le chauffeur du maire de la ville. Sa fille de vingt ans, Laura, ayant l’intention de revenir s’installer près de lui, il a l’idée de solliciter son patron pour aider la jeune femme à trouver un logement.
Le premier abord surprend, tant l’écoulement interminable de certaines phrases laisse le lecteur sans respiration. L’on s’y perd parfois, il faut relire, c’est d’abord déconcertant. Mais, conquis par la justesse des mots et par la perfection des tournures, l’on se laisse vite emporter par la vague, définitivement impressionné par une singularité stylistique sublimant un propos qui fait mouche à tout coup.
Rapidement se précise entre les personnages une inextricable et sordide relation de pouvoir. Un élu accro au sexe s’est habitué à user sans vergogne de son omnipotence. Il est flanqué d’une sorte d’homme de main, engouffré dans son sillage pour son arrangeante et discrète complicité. Face à eux, une jeune fille, sans grandes ressources en dehors de sa beauté plastique, devient une proie idéale lorsque son père la leur livre innocemment en quémandant un appui. Le récit s’intéresse à la manière dont se met en place l’emprise, enfermant sournoisement sa victime dans une ambivalence paralysante qui aura beau jeu de passer pour un consentement. Quoi qu’il arrive, l’assujettie endosse tous les torts : n’ayant jamais réussi à dire clairement non dans l’impasse où elle se trouvait acculée, elle ne sera jamais crédible lorsqu’elle cherchera à dénoncer l’abjection qu’on lui a imposée. L’emprise a ceci de terrible : la victime se laisse prendre au piège qu’elle pense sans échappatoire, et ne parvient jamais à prouver la perversité du manipulateur qui a toutes les apparences pour lui.
Le premier abord surprend, tant l’écoulement interminable de certaines phrases laisse le lecteur sans respiration. L’on s’y perd parfois, il faut relire, c’est d’abord déconcertant. Mais, conquis par la justesse des mots et par la perfection des tournures, l’on se laisse vite emporter par la vague, définitivement impressionné par une singularité stylistique sublimant un propos qui fait mouche à tout coup.
Rapidement se précise entre les personnages une inextricable et sordide relation de pouvoir. Un élu accro au sexe s’est habitué à user sans vergogne de son omnipotence. Il est flanqué d’une sorte d’homme de main, engouffré dans son sillage pour son arrangeante et discrète complicité. Face à eux, une jeune fille, sans grandes ressources en dehors de sa beauté plastique, devient une proie idéale lorsque son père la leur livre innocemment en quémandant un appui. Le récit s’intéresse à la manière dont se met en place l’emprise, enfermant sournoisement sa victime dans une ambivalence paralysante qui aura beau jeu de passer pour un consentement. Quoi qu’il arrive, l’assujettie endosse tous les torts : n’ayant jamais réussi à dire clairement non dans l’impasse où elle se trouvait acculée, elle ne sera jamais crédible lorsqu’elle cherchera à dénoncer l’abjection qu’on lui a imposée. L’emprise a ceci de terrible : la victime se laisse prendre au piège qu’elle pense sans échappatoire, et ne parvient jamais à prouver la perversité du manipulateur qui a toutes les apparences pour lui.
Avec ses personnages croqués dans la plus grande économie de moyens et qui crèvent pourtant les pages, ses vérités si finement observées et l’inimitable qualité de son écriture, ce roman brillant et hypnotique est un pur moment de plaisir. Coup de coeur. (5/5)
Citations :
Elle ne savait pas si elle devait répondre oui ou non, à cause de tout ce qu’elle voulait éviter de soulever de sa vie d’avant qui ces derniers jours remontait plus nettement dans sa mémoire, comme une peau morte dont elle n’aurait pas réussi à se débarrasser – toutes choses conservées là en images délavées, non pas usées ni passées, plutôt qui n’auraient pas mûri assez de temps dans le bain chimique de la mémoire pour qu’en apparaissent les contours et les couleurs les plus franches, comme des souvenirs en gestation.
Et déjà Max ralentissait à l’approche du Neptune, au loin le voiturier qui bientôt se précipiterait sur la portière pour accueillir le maire et le faire entrer là, dans la grande salle panoramique qui dominait la mer, où régulièrement il avait rendez-vous avec quelque banquier ou promoteur ou personnel politique et parce que c’était comme ça, au Neptune il y avait tout ce que la ville comptait de notables et d’édiles s’y rencontrant si souvent – se faisant croire les uns aux autres quand ils se saluaient, que seulement un heureux hasard les rassemblait, au point que si quelque rencontre ainsi fortuite devait aboutir à quelque opportunité lucrative, eh bien, c’était que ce même hasard, comme une épaisse fumée destinée à masquer le calcul ou la collusion, avait aussi bien fait les choses qu’à Rome autrefois on se serait rencontrés dans la vapeur d’un bain.
On dit que c’est à cause d’elle qu’il chuta, on dit qu’elle en avait fait tomber d’autres et qu’elle dévastait tout sur son passage. On dit qu’elle était la plus fatale de toutes les putes de la côte bretonne et qu’elle avait ce sixième sens de toujours pressentir où se trouvait l’argent, ou non pas l’argent – car cela, tout le monde l’a toujours su – mais la faille de qui l’avait, comme si tout son corps n’avait été qu’un détecteur de métaux capable d’aimanter d’un seul tenant la fortune et le cœur d’un homme.
(…) ne pas être dupe n’a jamais suffi dans la vie pour ne pas céder – ne pas céder, a-t-il pensé, c’est autre chose, une autre force, une autre nature, et qu’alors ma pauvre fille, tu fais la maligne mais il n’empêche que tu es là.
(…) elle découronnée par les années mais toujours sœur de Franck, posée là près du bar comme une mascotte usée, ayant subi ce vieillissement accéléré qui tombe comme un couperet sur les gens de la nuit : à trente-cinq ans, on lui en aurait donné dix de plus, quand pour elle le temps s’était transformé en un dieu punisseur qui avait décidé de faire tomber ses joues et de gonfler ses paupières de tout l’alcool en surplus que son sang n’aurait pas absorbé.
Et déjà Max ralentissait à l’approche du Neptune, au loin le voiturier qui bientôt se précipiterait sur la portière pour accueillir le maire et le faire entrer là, dans la grande salle panoramique qui dominait la mer, où régulièrement il avait rendez-vous avec quelque banquier ou promoteur ou personnel politique et parce que c’était comme ça, au Neptune il y avait tout ce que la ville comptait de notables et d’édiles s’y rencontrant si souvent – se faisant croire les uns aux autres quand ils se saluaient, que seulement un heureux hasard les rassemblait, au point que si quelque rencontre ainsi fortuite devait aboutir à quelque opportunité lucrative, eh bien, c’était que ce même hasard, comme une épaisse fumée destinée à masquer le calcul ou la collusion, avait aussi bien fait les choses qu’à Rome autrefois on se serait rencontrés dans la vapeur d’un bain.
On dit que c’est à cause d’elle qu’il chuta, on dit qu’elle en avait fait tomber d’autres et qu’elle dévastait tout sur son passage. On dit qu’elle était la plus fatale de toutes les putes de la côte bretonne et qu’elle avait ce sixième sens de toujours pressentir où se trouvait l’argent, ou non pas l’argent – car cela, tout le monde l’a toujours su – mais la faille de qui l’avait, comme si tout son corps n’avait été qu’un détecteur de métaux capable d’aimanter d’un seul tenant la fortune et le cœur d’un homme.
(…) ne pas être dupe n’a jamais suffi dans la vie pour ne pas céder – ne pas céder, a-t-il pensé, c’est autre chose, une autre force, une autre nature, et qu’alors ma pauvre fille, tu fais la maligne mais il n’empêche que tu es là.
(…) elle découronnée par les années mais toujours sœur de Franck, posée là près du bar comme une mascotte usée, ayant subi ce vieillissement accéléré qui tombe comme un couperet sur les gens de la nuit : à trente-cinq ans, on lui en aurait donné dix de plus, quand pour elle le temps s’était transformé en un dieu punisseur qui avait décidé de faire tomber ses joues et de gonfler ses paupières de tout l’alcool en surplus que son sang n’aurait pas absorbé.
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Plus je lis de chroniques sur ce roman, plus j'ai envie de le découvrir. C'est décidé, il va rentrer dans ma PAL ! 😁
RépondreSupprimerBonne lecture Caroline !
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