lundi 7 mars 2022

[Viel, Tanguy] La fille qu'on appelle

 




 

Coup de coeur 💓

 

Titre : La fille qu'on appelle

Auteur : Tanguy VIEL

Parution : 2021 (Editions de Minuit)

Pages : 176

 

 

 

 

 

 

 

PrĂ©sentation de l'Ă©diteur :     

Quand il n'est pas sur un ring à boxer, Max Le Corre est chauffeur pour le maire de la ville. Il est surtout le pÚre de Laura qui, du haut de ses vingt ans, a décidé de revenir vivre avec lui. Alors Max se dit que ce serait une bonne idée si le maire pouvait l'aider à trouver un logement.

 

 

Le mot de l'Ă©diteur sur l'auteur :

Tanguy Viel est nĂ© en 1973 Ă  Brest. Il publie son premier roman Le Black Note en 1998 aux Editions de Minuit qui feront paraĂźtre CinĂ©ma (1999), L’Absolue perfection du crime (2001), Insoupçonnable (2006), Paris-Brest (2009), La Disparition de Jim Sullivan (2013) et en janvier 2017 Article 353 du code pĂ©nal, Grand prix RTL Lire.

 

Avis :

Depuis qu’il a quasiment raccrochĂ© les gants de boxe, l’ancien champion Max Le Corre est devenu le chauffeur du maire de la ville. Sa fille de vingt ans, Laura, ayant l’intention de revenir s’installer prĂšs de lui, il a l’idĂ©e de solliciter son patron pour aider la jeune femme Ă  trouver un logement.

Le premier abord surprend, tant l’écoulement interminable de certaines phrases laisse le lecteur sans respiration. L’on s’y perd parfois, il faut relire, c’est d’abord dĂ©concertant. Mais, conquis par la justesse des mots et par la perfection des tournures, l’on se laisse vite emporter par la vague, dĂ©finitivement impressionnĂ© par une singularitĂ© stylistique sublimant un propos qui fait mouche Ă  tout coup.

Rapidement se prĂ©cise entre les personnages une inextricable et sordide relation de pouvoir. Un Ă©lu accro au sexe s’est habituĂ© Ă  user sans vergogne de son omnipotence. Il est flanquĂ© d’une sorte d’homme de main, engouffrĂ© dans son sillage pour son arrangeante et discrĂšte complicitĂ©. Face Ă  eux, une jeune fille, sans grandes ressources en dehors de sa beautĂ© plastique, devient une proie idĂ©ale lorsque son pĂšre la leur livre innocemment en quĂ©mandant un appui. Le rĂ©cit s’intĂ©resse Ă  la maniĂšre dont se met en place l’emprise, enfermant sournoisement sa victime dans une ambivalence paralysante qui aura beau jeu de passer pour un consentement. Quoi qu’il arrive, l’assujettie endosse tous les torts : n’ayant jamais rĂ©ussi Ă  dire clairement non dans l’impasse oĂč elle se trouvait acculĂ©e, elle ne sera jamais crĂ©dible lorsqu’elle cherchera Ă  dĂ©noncer l’abjection qu’on lui a imposĂ©e. L’emprise a ceci de terrible : la victime se laisse prendre au piĂšge qu’elle pense sans Ă©chappatoire, et ne parvient jamais Ă  prouver la perversitĂ© du manipulateur qui a toutes les apparences pour lui. 

Avec ses personnages croquĂ©s dans la plus grande Ă©conomie de moyens et qui crĂšvent pourtant les pages, ses vĂ©ritĂ©s si finement observĂ©es et l’inimitable qualitĂ© de son Ă©criture, ce roman brillant et hypnotique est un pur moment de plaisir. Coup de coeur. (5/5)

 

 

Citations :

Elle ne savait pas si elle devait rĂ©pondre oui ou non, Ă  cause de tout ce qu’elle voulait Ă©viter de soulever de sa vie d’avant qui ces derniers jours remontait plus nettement dans sa mĂ©moire, comme une peau morte dont elle n’aurait pas rĂ©ussi Ă  se dĂ©barrasser â€“ toutes choses conservĂ©es lĂ  en images dĂ©lavĂ©es, non pas usĂ©es ni passĂ©es, plutĂŽt qui n’auraient pas mĂ»ri assez de temps dans le bain chimique de la mĂ©moire pour qu’en apparaissent les contours et les couleurs les plus franches, comme des souvenirs en gestation.

Et dĂ©jĂ  Max ralentissait Ă  l’approche du Neptune, au loin le voiturier qui bientĂŽt se prĂ©cipiterait sur la portiĂšre pour accueillir le maire et le faire entrer lĂ , dans la grande salle panoramique qui dominait la mer, oĂč rĂ©guliĂšrement il avait rendez-vous avec quelque banquier ou promoteur ou personnel politique et parce que c’était comme ça, au Neptune il y avait tout ce que la ville comptait de notables et d’édiles s’y rencontrant si souvent â€“ se faisant croire les uns aux autres quand ils se saluaient, que seulement un heureux hasard les rassemblait, au point que si quelque rencontre ainsi fortuite devait aboutir Ă  quelque opportunitĂ© lucrative, eh bien, c’était que ce mĂȘme hasard, comme une Ă©paisse fumĂ©e destinĂ©e Ă  masquer le calcul ou la collusion, avait aussi bien fait les choses qu’à Rome autrefois on se serait rencontrĂ©s dans la vapeur d’un bain.

On dit que c’est Ă  cause d’elle qu’il chuta, on dit qu’elle en avait fait tomber d’autres et qu’elle dĂ©vastait tout sur son passage. On dit qu’elle Ă©tait la plus fatale de toutes les putes de la cĂŽte bretonne et qu’elle avait ce sixiĂšme sens de toujours pressentir oĂč se trouvait l’argent, ou non pas l’argent â€“ car cela, tout le monde l’a toujours su â€“ mais la faille de qui l’avait, comme si tout son corps n’avait Ă©tĂ© qu’un dĂ©tecteur de mĂ©taux capable d’aimanter d’un seul tenant la fortune et le cƓur d’un homme.

(
) ne pas ĂȘtre dupe n’a jamais suffi dans la vie pour ne pas cĂ©der â€“ ne pas cĂ©der, a-t-il pensĂ©, c’est autre chose, une autre force, une autre nature, et qu’alors ma pauvre fille, tu fais la maligne mais il n’empĂȘche que tu es lĂ .

(
) elle dĂ©couronnĂ©e par les annĂ©es mais toujours sƓur de Franck, posĂ©e lĂ  prĂšs du bar comme une mascotte usĂ©e, ayant subi ce vieillissement accĂ©lĂ©rĂ© qui tombe comme un couperet sur les gens de la nuit : Ă  trente-cinq ans, on lui en aurait donnĂ© dix de plus, quand pour elle le temps s’était transformĂ© en un dieu punisseur qui avait dĂ©cidĂ© de faire tomber ses joues et de gonfler ses paupiĂšres de tout l’alcool en surplus que son sang n’aurait pas absorbĂ©.

 

Du mĂȘme auteur sur ce blog :

 





 

2 commentaires:

  1. Plus je lis de chroniques sur ce roman, plus j'ai envie de le dĂ©couvrir. C'est dĂ©cidĂ©, il va rentrer dans ma PAL ! 😁

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