J'ai beaucoup aimé
Titre : Paris-Briançon
Auteur : Philippe BESSON
Parution : 2022 (Julliard)
Pages : 208
Présentation de l'éditeur :
Le temps d’une nuit à bord d’un
train-couchettes, une dizaine de passagers, qui n’auraient jamais dû se
rencontrer, font connaissance, sans se douter que certains n’arriveront
jamais à destination. Un roman aussi captivant qu’émouvant, qui dit
l’importance de l’instant et la fragilité de nos vies.
Rien ne relie les passagers montés à bord du train de nuit no 5789.
À la faveur d’un huis clos imposé, tandis qu’ils sillonnent des
territoires endormis, ils sont une dizaine à nouer des liens, laissant
l’intimité et la confiance naître, les mots s’échanger, et les secrets
aussi. Derrière les apparences se révèlent des êtres vulnérables,
victimes de maux ordinaires ou de la violence de l’époque, des voyageurs
tentant d’échapper à leur solitude, leur routine ou leurs mensonges.
Ils l’ignorent encore, mais à l’aube, certains auront trouvé la mort.Ce roman au suspense redoutable nous rappelle que nul ne maîtrise son destin. Par la délicatesse et la justesse de ses observations, Paris-Briançon célèbre le miracle des rencontres fortuites, et la grâce des instants suspendus, où toutes les vérités peuvent enfin se dire.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Philippe Besson est un écrivain, scénariste et dramaturge. En l'absence des hommes,
son premier roman, publié en 2001, est couronné par le Prix
Emmanuel-Roblès. Depuis lors, il construit une œuvre au style à la fois
sobre et raffiné. Il est l’auteur, entre autres, de Son frère, adapté au cinéma par Patrice Chéreau, L'Arrière-saison (Grand Prix RTL-Lire), Un garçon d’Italie et La Maison Atlantique. En 2017, il publie Arrête avec tes mensonges, vendu à plus de 120 000 exemplaires, couronné par le Prix des Maisons de la Presse et Un personnage de roman, portrait intime d’Emmanuel Macron, alors engagé dans la campagne présidentielle. Il revient à l'autofiction en 2019 avec Un certain Paul Darrigrand puis Dîner à Montréal. Ses romans sont traduits dans vingt langues.
Un tango en bord de mer, sa première pièce en tant que dramaturge, a été jouée à Paris près de 200 fois en 2014 et 2015 au Théâtre du Petit Montparnasse.
Il a également multiplié les collaborations avec le milieu du cinéma et de la télévision, ayant notamment écrit le scénario de Mourir d'aimer (2009), interprété par Muriel Robin, de La Mauvaise rencontre (2010) avec Jeanne Moreau, du Raspoutine interprété par Gérard Depardieu, et de Nos retrouvailles (2012) avec Fanny Ardant et Charles Berling.
Ils sont une dizaine d'inconnus, que les hasards de la vie ont réunis dans la même voiture du train de nuit Paris-Briançon. Le temps de traverser la France endormie, le huis clos crée quelques proximités, et les conversations prennent d'autant plus facilement un tour personnel qu'elles n'auront pas de lendemain. Se révèlent ainsi brièvement différentes trajectoires de vie, chacune marquée par les maux ordinaires de notre époque. Personne ne se doute alors que certaines d'entre elles vont bientôt s'interrompre tragiquement, avant même d'arriver à destination...
Hasard ou fatalité, il suffit de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment pour que le destin bascule. Alors quand se produit une catastrophe, l’on ne peut songer qu’avec un certain trouble à l’enchaînement de circonstances qui a mené les acteurs, parfois tout à fait incidemment, sur le théâtre de leur drame. L’auteur nous ayant prévenu d’entrée de jeu que la mort est montée à bord de ce train, c’est donc tout à la fois suspendu au développement du récit et étreint par anticipation d’un sentiment d’impuissance désolée, que l’on fait connaissance avec une poignée d’inconnus ordinaires, des gens comme vous et moi emportés sur le fleuve banalement si peu tranquille de leur existence. Entre préoccupations diverses, notamment familiales et professionnelles, mille violences, petites et grandes, viennent perturber le cours de ces vies, empoisonnant ce qu’il conviendrait pourtant d’en apprécier chaque minute, tant le temps nous est compté et tant tout cela, au final, ne tient qu’à un fil.
Parmi ces destins bientôt brisés, il en est un qui va encore plus que les autres provoquer notre émotion, en tout cas qui semble à ce point tourmenter Philippe Besson qu’il resurgit ça et là dans son oeuvre, comme dans son récit autobiographique Arrête avec tes mensonges. Au-delà de la catastrophe et des réflexions désabusées qu’elle suscite en passant chez l’auteur, sur l’indécence d’une époque où tout est spectacle et où rumeurs et accusations se propagent plus vite que la lumière, le vrai coeur du drame est ce qui révolte le plus l’écrivain : la peur du rejet et le refus de soi-même qui empêchent encore tant d’homosexuels à assumer leur identité, et qui les enferment dans une existence intolérablement douloureuse. Face à l’implacable brièveté et aux inéluctables cruautés de la vie, quel plus grand gâchis que de s’empêcher de la vivre en la sacrifiant aux apparences et aux conventions, de la subir en se contraignant à en rester à jamais à la marge ?
Un tango en bord de mer, sa première pièce en tant que dramaturge, a été jouée à Paris près de 200 fois en 2014 et 2015 au Théâtre du Petit Montparnasse.
Il a également multiplié les collaborations avec le milieu du cinéma et de la télévision, ayant notamment écrit le scénario de Mourir d'aimer (2009), interprété par Muriel Robin, de La Mauvaise rencontre (2010) avec Jeanne Moreau, du Raspoutine interprété par Gérard Depardieu, et de Nos retrouvailles (2012) avec Fanny Ardant et Charles Berling.
Avis :
Hasard ou fatalité, il suffit de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment pour que le destin bascule. Alors quand se produit une catastrophe, l’on ne peut songer qu’avec un certain trouble à l’enchaînement de circonstances qui a mené les acteurs, parfois tout à fait incidemment, sur le théâtre de leur drame. L’auteur nous ayant prévenu d’entrée de jeu que la mort est montée à bord de ce train, c’est donc tout à la fois suspendu au développement du récit et étreint par anticipation d’un sentiment d’impuissance désolée, que l’on fait connaissance avec une poignée d’inconnus ordinaires, des gens comme vous et moi emportés sur le fleuve banalement si peu tranquille de leur existence. Entre préoccupations diverses, notamment familiales et professionnelles, mille violences, petites et grandes, viennent perturber le cours de ces vies, empoisonnant ce qu’il conviendrait pourtant d’en apprécier chaque minute, tant le temps nous est compté et tant tout cela, au final, ne tient qu’à un fil.
Parmi ces destins bientôt brisés, il en est un qui va encore plus que les autres provoquer notre émotion, en tout cas qui semble à ce point tourmenter Philippe Besson qu’il resurgit ça et là dans son oeuvre, comme dans son récit autobiographique Arrête avec tes mensonges. Au-delà de la catastrophe et des réflexions désabusées qu’elle suscite en passant chez l’auteur, sur l’indécence d’une époque où tout est spectacle et où rumeurs et accusations se propagent plus vite que la lumière, le vrai coeur du drame est ce qui révolte le plus l’écrivain : la peur du rejet et le refus de soi-même qui empêchent encore tant d’homosexuels à assumer leur identité, et qui les enferment dans une existence intolérablement douloureuse. Face à l’implacable brièveté et aux inéluctables cruautés de la vie, quel plus grand gâchis que de s’empêcher de la vivre en la sacrifiant aux apparences et aux conventions, de la subir en se contraignant à en rester à jamais à la marge ?
Avec la justesse et la sobriété qui lui sont coutumières, Philippe Besson réussit dès les premières phrases à suspendre le lecteur à son récit, l’embarquant, à l’occasion du dramatique télescopage de quelques vies ordinaires, dans un émouvant plaidoyer pour le droit à être soi-même : la vie est bien trop fragile et bien trop fugitive pour, en plus, se la laisser voler ! (4/5)
Citations :
Époque vulgaire, où plus rien n’est privé, où tout est spectacle, et surtout la souffrance, surtout la désolation, où la décence pèse si peu devant la prétendue « priorité à l’information », où le goût de l’immédiateté prive de tout discernement, où les dommages collatéraux constituent un détail dérisoire. (…)
Époque accusatoire, où il faut nommer des coupables, souvent sans preuves, les traîner dans la boue, les offrir à la vindicte populaire, et qu’importe s’il est démontré in fine qu’ils n’y étaient pour rien. Quelqu’un doit payer, quelqu’un doit prendre la colère comme on prend la foudre, quelqu’un doit expier, afin que tous les autres puissent déverser leur haine, se soulager de leur mauvaise bile et se croire, eux, irréprochables.
« Je crois au hasard. Sans le hasard, je ne t’aurais pas rencontré. »
Alexis ne pense pas qu’une puissance mystérieuse joue notre existence aux dés même s’il aime les imprévus, et être surpris. S’il osait, il confierait même qu’il aime les accidents, pour leur part d’imprévu, pour leur irrégularité, mais en l’espèce ce serait déplacé. Il s’efforce surtout de voir le bon côté des choses, ce qui est pour le moins audacieux quand on constate les dégâts alentour, mais cela ne vaut-il pas mieux qu’un abattement, un accablement ? Et c’est sa manière à lui, probablement maladroite, d’affirmer une tendresse, de témoigner une gratitude.
« C’est drôle, moi, j’ai l’impression, au contraire, que les gens ne déboulent pas par hasard dans notre vie. »
Victor soupçonne désormais qu’ils surgissent pour combler un vide, répondre à une attente, même ténue, même informulée, peut-être même exaucer une prière mais cela, il ne le formulera pas.
La première caméra de télévision vient de débarquer. Il n’était pas question de laisser aux réseaux sociaux l’exclusivité de l’émotion et des images d’un désastre. Bien sûr, le reporter jurera, la main sur le cœur, que seule importe l’information, mais bon, il ne faut pas cracher sur l’audience non plus. Sauf que la police a installé un cordon pour délimiter un périmètre de sécurité et interdire l’accès au lieu de l’accident, et même des bâches, précisément pour préserver victimes et secouristes des regards indiscrets. L’envoyé spécial doit donc se contenter de filmer de loin, entre les rares interstices, ce qui donne un visuel grossier, imprécis, occultant les détails frappants alors qu’un peu de sang sur le ballast aurait produit son effet. Il ne peut pas approcher non plus, et tendre son micro aux suppliciés du rail. Il se rabat donc sur des badauds, des curieux accourus après coup. Ceux-là n’ont rien vu, n’ont été témoins de rien, ils peuvent à la limite énoncer qu’ils ont entendu « comme une déflagration », mais pour l’instant, faute de mieux, ça fera l’affaire. Une femme corpulente, bras repliés sur la poitrine, l’assure : « Trente ans que j’habite dans le coin, je n’avais jamais vu ça. » Ce « Je n’avais jamais vu ça » vaut de l’or, songe le reporter. Il s’agit pourtant d’un lieu commun mais l’effroi est garanti. On est dans l’exceptionnel, donc dans le sensationnel.
Les voici donc libres, libres de retourner dans le monde réel. Ils en sont soulagés, évidemment, et cependant ils éprouvent des sentiments mélangés. L’autre monde, celui du fracas et de la stupeur, celui des débris et de la peur, du sang et du fer, a été le leur, le leur uniquement, pendant deux heures, ils y ont connu ce que personne ne connaîtra, ce que personne ne pourra comprendre ni même entrevoir, ce qui les tiendra résolument à part. Et d’ailleurs, eux-mêmes, plus tard, sauront-ils en parler, trouver les mots justes ? Voudront-ils en parler ?
Ce qu’ils ignorent, c’est qu’ils l’emportent néanmoins avec eux, et qu’ils ne s’en débarrasseront pas de sitôt. Abandonner le territoire de son effroi ne signifie pas s’en affranchir. Certains feront des cauchemars ou seront rattrapés par de brèves crises d’angoisse pendant des années. D’autres développeront une extrême vigilance ou s’obligeront à l’amnésie. D’autres encore découvriront l’émerveillement d’avoir survécu, la joie des épargnés.
Époque accusatoire, où il faut nommer des coupables, souvent sans preuves, les traîner dans la boue, les offrir à la vindicte populaire, et qu’importe s’il est démontré in fine qu’ils n’y étaient pour rien. Quelqu’un doit payer, quelqu’un doit prendre la colère comme on prend la foudre, quelqu’un doit expier, afin que tous les autres puissent déverser leur haine, se soulager de leur mauvaise bile et se croire, eux, irréprochables.
« Je crois au hasard. Sans le hasard, je ne t’aurais pas rencontré. »
Alexis ne pense pas qu’une puissance mystérieuse joue notre existence aux dés même s’il aime les imprévus, et être surpris. S’il osait, il confierait même qu’il aime les accidents, pour leur part d’imprévu, pour leur irrégularité, mais en l’espèce ce serait déplacé. Il s’efforce surtout de voir le bon côté des choses, ce qui est pour le moins audacieux quand on constate les dégâts alentour, mais cela ne vaut-il pas mieux qu’un abattement, un accablement ? Et c’est sa manière à lui, probablement maladroite, d’affirmer une tendresse, de témoigner une gratitude.
« C’est drôle, moi, j’ai l’impression, au contraire, que les gens ne déboulent pas par hasard dans notre vie. »
Victor soupçonne désormais qu’ils surgissent pour combler un vide, répondre à une attente, même ténue, même informulée, peut-être même exaucer une prière mais cela, il ne le formulera pas.
La première caméra de télévision vient de débarquer. Il n’était pas question de laisser aux réseaux sociaux l’exclusivité de l’émotion et des images d’un désastre. Bien sûr, le reporter jurera, la main sur le cœur, que seule importe l’information, mais bon, il ne faut pas cracher sur l’audience non plus. Sauf que la police a installé un cordon pour délimiter un périmètre de sécurité et interdire l’accès au lieu de l’accident, et même des bâches, précisément pour préserver victimes et secouristes des regards indiscrets. L’envoyé spécial doit donc se contenter de filmer de loin, entre les rares interstices, ce qui donne un visuel grossier, imprécis, occultant les détails frappants alors qu’un peu de sang sur le ballast aurait produit son effet. Il ne peut pas approcher non plus, et tendre son micro aux suppliciés du rail. Il se rabat donc sur des badauds, des curieux accourus après coup. Ceux-là n’ont rien vu, n’ont été témoins de rien, ils peuvent à la limite énoncer qu’ils ont entendu « comme une déflagration », mais pour l’instant, faute de mieux, ça fera l’affaire. Une femme corpulente, bras repliés sur la poitrine, l’assure : « Trente ans que j’habite dans le coin, je n’avais jamais vu ça. » Ce « Je n’avais jamais vu ça » vaut de l’or, songe le reporter. Il s’agit pourtant d’un lieu commun mais l’effroi est garanti. On est dans l’exceptionnel, donc dans le sensationnel.
Les voici donc libres, libres de retourner dans le monde réel. Ils en sont soulagés, évidemment, et cependant ils éprouvent des sentiments mélangés. L’autre monde, celui du fracas et de la stupeur, celui des débris et de la peur, du sang et du fer, a été le leur, le leur uniquement, pendant deux heures, ils y ont connu ce que personne ne connaîtra, ce que personne ne pourra comprendre ni même entrevoir, ce qui les tiendra résolument à part. Et d’ailleurs, eux-mêmes, plus tard, sauront-ils en parler, trouver les mots justes ? Voudront-ils en parler ?
Ce qu’ils ignorent, c’est qu’ils l’emportent néanmoins avec eux, et qu’ils ne s’en débarrasseront pas de sitôt. Abandonner le territoire de son effroi ne signifie pas s’en affranchir. Certains feront des cauchemars ou seront rattrapés par de brèves crises d’angoisse pendant des années. D’autres développeront une extrême vigilance ou s’obligeront à l’amnésie. D’autres encore découvriront l’émerveillement d’avoir survécu, la joie des épargnés.
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