mercredi 9 mars 2022

[Joly, Constance] Over the Rainbow

 



 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Over the Rainbow

Auteur : Constance JOLY

Parution : 2021 (Flammarion)

Pages : 192

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :     

Celle qui raconte cette histoire, c’est sa fille, Constance. Le père, c’est Jacques, jeune professeur d’italien passionné, qui aime l’opéra, la littérature et les antiquaires. Ce qu’il trouve en fuyant Nice en 1968 pour se mêler à l’effervescence parisienne, c’est la force d’être enfin lui-même, de se laisser aller à son désir pour les hommes. Il est parmi les premiers à mourir du sida au début des années 1990, elle est l’une des premières enfants à vivre en partie avec un couple d’hommes.

Over the Rainbow est le roman d’un amour lointain mais toujours fiévreux, l’amour d’une fille grandie qui saisit de quel bois elle est faite : du bois de la liberté, celui d’être soi contre vents et marées.
 
Prix Orange du livre 2021.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :  

Constance Joly travaille dans l’édition depuis une vingtaine d’années et vit en région parisienne. Le matin est un tigre, son premier roman (Flammarion, 2019), a été très bien accueilli par la critique et les libraires.

 

 

Avis :

L’auteur et narratrice raconte l’histoire de son père, Jacques, qui, à trente-sept ans, décide d’arrêter de mentir et de se mentir, et d’enfin s’autoriser à aimer les hommes. On est alors en 1976, quand l’homosexualité est encore un délit passible d’emprisonnement. L’enfant qu’est Constance se partage, sans vraiment comprendre, entre une mère qu’elle voit peu à peu s’enfoncer dans la dépression, et un père qui a emménagé avec un certain Ivan. Mais en 1981 se révèlent les premiers cas de sida en France. Jacques cache jusqu’au bout sa maladie, et ce n’est que peu avant sa mort, en 1991, que Constance, alors âgée d’une vingtaine d’années, apprend la vérité.

La plus extrême délicatesse imprègne les pages de ce récit, où la femme désormais quinquagénaire se retourne sur l’enfant, puis la jeune femme qu’elle fut, et retrace, à la lumière de sa maturité d’aujourd’hui, tout ce qu’elle avait alors observé sans vraiment le saisir, trop jeune, puis trop occupée à s’affirmer en adulte. Alors qu’elle exhume avec pudeur l’inaltérable affection entre ses parents, les souffrances de sa mère, et le terrible prix payé par son père dans sa révélation à lui-même, l’auteur fait de son livre un chant d’amour filial, d’autant plus touchant qu’il prend la saveur douce-amère du temps passé, et se colore de l’ineffable regret de n’avoir su s’exprimer du vivant des intéressés.

Adressé au père disparu, le roman est donc une lettre d’amour écrite comme un pont sur la mort et la séparation. La douceur et la poésie du texte dessinent un portrait magnifique, qui semble vouloir s’inscrire en contrepoids de la souffrance : celle de la condamnation publique et de l’exclusion sociale, du rejet d’une partie de la famille, de la peur des conséquences professionnelles, et enfin, de la maladie d’autant plus douloureuse et terrible, qu’alors infamante et taboue, elle est subie dans le silence et dans la solitude. Les dommages et les mots blessants n’ont épargné, d’ailleurs, ni Constance, ni sa mère Lucie. Mais soigneusement contenue et comme transcendée, la douleur dans ces pages arrondit ses angles, contournant pathos et colère, et aussi, peut-être, la laideur et la crudité de la vérité nue. Comme si, pour s’accepter et se faire accepter, elle avait toujours besoin d’un filtre, ici celui d’une certaine légèreté, tout en délicatesse et en joliesse.

Ce livre pudique et élégant s’avère infiniment touchant, tant il exprime de tendresse, mais aussi de regret et de culpabilité de ne trouver les mots que tardivement, dans une adresse posthume condamnant l’auteur à combler par l’imagination les grosses mailles de ses souvenirs. Hanté par le manque et la volonté de conjurer l’oubli, ce texte est également un témoignage précieux, de ceux qui peuvent contribuer à l’évolution des mentalités. (4/5)

 

 

Citations :

Tu as été un père discret, emprunté, timide et merveilleux.  
J’ai l’impression de tricoter à grosses mailles en écrivant pour te sortir de l’ombre. Entre les points de cette laine de mots passe tout ce que je ne sais pas dire, tout ce que je suis impuissante à inventer, et ce qui, je le sais, fait la vie même : le point serré des émotions complexes, des ambivalences que la multitude des faits dérobe, si bien que je me sens découragée, souvent. Mais je me suis promis d’avancer pour te rejoindre. Mettre au jour tes masques, faire tomber les fictions successives que tu t’es construites pour tenir en équilibre.     
Nous sommes les produits d’une vie trouée de mystères, tissée de songes et de dénis. Je suis passée, moi aussi, entre les mailles de tes mensonges.  
Je vis, grâce à l’histoire que tu avais voulu raconter au monde, et qui t’avait littéralement laissé sans voix. Je vis grâce à la fiction.  
Et je suis ici, maintenant, pour tenter de te rendre les mots.

Dans le film, une jeune danseuse blonde, seize ans, se confie soudain. Ils étaient la famille modèle, le père, la mère, quatre enfants, un chat, un chien et une souris. Le père était mort dans une explosion de gaz, c’était il y a quatre ans, raconte-t-elle, et ses yeux se brouillent. Elle a cette phrase peu après : « Il faut tourner la page. Il ne faut pas oublier, mais il faut tourner la page. » Cette jeune fille m’a infiniment émue, et elle a raison, bien sûr qu’elle a raison. Mais je ne veux pas tourner la page. Il y a des zones comme ça où le jardin reste en friche. J’écris pour ne pas tourner la page. J’écris pour inverser le cours du temps. J’écris pour ne pas te perdre pour toujours. J’écris pour rester ton enfant.

À la fin du mince recueil, je lis cette phrase, comme en réponse à mon chagrin : « Au Japon, on dit que lorsqu’une personne vous apparaît en rêve, ce n’est pas vous qui pensez à elle, c’est elle qui pense à vous. » Cette pensée m’apaise tout d’un coup. Peut-être, me dis-je, ai-je autant besoin de toi que toi, de moi. Peut-être serais-tu heureux de me rejoindre de temps à autre, pour manger ce que tu as aimé, par la même occasion ? Et si je pouvais encore t’offrir quelque chose ?

La vie emporte tout, l’amour et les visages de ceux que nous avons aimés, et pourtant nous agissons sans relâche. Nous nous construisons des digues dérisoires, bientôt emportées.

 

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