jeudi 3 mars 2022

[Adam, Olivier] Tout peut s'oublier

 





J'ai aimé

 

Titre : Tout peut s'oublier

Auteur : Olivier ADAM

Parution : 2021 (Flammarion)

Pages : 272

 

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :    

Un appartement vide : c’est ce que trouve Nathan quand il vient chercher son petit garçon chez son ex-femme. Très vite, il doit se rendre à l’évidence : Jun est rentrée au Japon, son pays natal, avec Léo. À l’incompréhension succède la panique : comment les y retrouver, quand tant d’ autres là-bas courent en vain après leurs disparus ? Et que faire de ces avertissements que lui adresse son entourage : même s’il retrouve leur trace, rien ne sera réglé pour autant ?

Entre la Bretagne où il tente d’épauler Lise, elle aussi privée de son fils, et un Japon qu’il croyait connaître mais qu’il redécouvre sous son jour le plus cruel, Nathan se lance dans une quête effrénée. En retraçant l’itinéraire d’un père confronté à l’impensable, Olivier Adam explore la fragilité des liens qui unissent les parents et leurs enfants.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

Olivier Adam est né en 1974. Il est l'auteur de nombreux livres dont Je vais bien, ne t'en fais pas (Le Dilettante, 2000), Passer l'hiver (L’Olivier, Goncourt de la nouvelle 2004), Falaises (L’Olivier, 2005), À l'abri de rien (L’Olivier, prix France Télévisions 2007 et prix Jean-Amila-Meckert 2008), Des vents contraires (L’Olivier, Prix RTL/Lire 2009), Le Cœur régulier (L’Olivier, 2010), Les Lisières, Peine perdue, La Renverse, Chanson de la ville silencieuse et Une partie de badminton (Flammarion, 2012, 2014, 2016, 2018 et 2019).

 

 

Avis :

Venu chercher son fils Léo chez son ex-femme, Nathan trouve un appartement déserté. Stupéfait, il comprend que Jun est rentrée au Japon, emmenant leur petit garçon. Pourra-t-il les retrouver ? Et quand bien même, trouvera-t-il le moyen de faire valoir là-bas ses droits de père ?

En cas de divorce – ce qui reste marginal au pays du Soleil-levant -, le code civil japonais ne se préoccupe aucunement d’autorité parentale conjointe, ni même de droit de visite. La garde des enfants échoit automatiquement à l’un des parents, la plupart du temps la mère, entraînant de fait la suppression de tout contact avec le père. Les cas d’enlèvement des enfants à leur père sont donc monnaie courante, et tout à fait licite, au Japon, ce que les étrangers mariés à un ressortissant nippon découvrent à leurs complets dépens en cas de séparation. Tenter de maintenir le lien malgré tout les expose à l’expulsion pure et simple du Japon et, en cas de récidive, à des poursuites judiciaires aboutissant à l’emprisonnement.

C’est cette cruelle réalité que découvre Nathan, dans une fiction totalement représentative des multiples cas avérés. Ses déboires prennent une tournure d’autant plus dramatique, qu’à l’enlèvement de son fils par son ex-femme – acte malheureusement pas si exceptionnel lorsque des couples binationaux se séparent -, s’ajoute bien plus que la non-coopération judiciaire du pays concerné. Nathan est considéré comme un fauteur de troubles au Japon. Il n’y est qu’un étranger qui menace des intérêts privés locaux, qui plus est dans un climat diplomatique tendu depuis une certaine affaire Carlos Ghosn. Les lecteurs qui en auront suivi les rebondissements liront avec moins de stupéfaction que les autres les pratiques judiciaires nippones, en particulier les terribles conditions d’une garde à vue à rallonge, même pour les délits mineurs, conçue pour extorquer des aveux coûte que coûte.

Sans pathos et évitant soigneusement tout cliché, le texte factuel prend garde de rester nuancé et de n’oublier ni certaines mauvaises manières occidentales, ni les attraits de la culture nippone. Cette exactitude, conjuguée au talent de conteur de l’auteur, fait de ce roman un frappant témoignage, où transparaît la souffrance sans remède de terribles arrachements. L’on reste néanmoins un peu frustré de ne pas s’élever franchement au-delà. Le portrait de Nathan, principalement en forme de collage de références cinématographiques, m’a notamment laissée sur ma faim… (3,5/5)

 

 

Citations :

Comme tout le monde, il avait déjà entendu parler de ce fameux syndrome réputé s’abattre sur les Japonais séjournant longuement en France. Notre brutalité, notre impolitesse, notre frontalité, notre mauvaise humeur, nos mauvaises manières, la saleté, les incivilités et par-dessus tout la distance infinie entre la France qu’ils avaient imaginée, rêvée, fantasmée, tout droit sortie d’un catalogue de mode des galeries Lafayette, d’une publicité Chanel ou Saint Laurent, d’un prospectus vantant les mérites du pays de l’élégance et du raffinement, d’une scène d’Amélie Poulain ou d’un vieux film avec Catherine Deneuve, Yves Montand, Alain Delon ou Jeanne Moreau, et la réalité nettement moins reluisante de notre pays, menaient parfois ces exilés volontaires au bord de la dépression. Quand elle ne les y enfonçait pas tout à fait.

Avant de prendre son billet il avait déniché un site d’information associatif destiné aux couples franco-japonais. La page d’accueil était précisément consacrée aux périls qui parfois les guettaient. Et le problème de la garde d’enfant après un divorce occupait le haut du classement. Ça pouvait paraître dingue mais au Japon l’autorité parentale ne pouvait être partagée. Un seul des deux parents en bénéficiait. En général, en cas de divorce, c’était la mère qui avait la garde et le père perdait de ce fait tout droit de regard sur l’éducation de leurs enfants. Aucune disposition n’était prévue par la loi en matière de garde alternée ou de droit de visite. C’était la règle en cas de séparation d’un couple constitué de deux Japonais. Et ça l’était également dans le cadre d’une union entre un étranger et un ressortissant nippon (et dans ce cas c’est à ce dernier que revenait systématiquement l’enfant). Sur le sol japonais c’était cette loi et uniquement cette loi qui s’appliquait. Ils se moquaient bien qu’en France ou ailleurs les choses soient différentes. Ça ne les regardait pas. Ils ne voulaient même pas en entendre parler.

C’étaient des rêveries sans conséquence, comme en échafaudent tous les touristes en vacances dans les lieux qui les éblouissent. On rêve d’une vie entière en bord de mer, en pleine campagne, dans un pays étranger et bien sûr ça en reste là. On reprend sa vie là où on l’a laissée. Et on tente de se convaincre qu’elle ne nous va pas si mal.

Chez les Forsberg on ne parlait jamais de ce qui touchait, de ce qui ébranlait vraiment. Ne pas évoquer un sujet brûlant, ou seulement par allusion, suffisait à en indiquer la gravité et la place qu’il occupait dans les pensées. Combien il pouvait bouleverser, indigner, attrister, inquiéter, blesser ou meurtrir. Ou même soulager au contraire. 

Ces temps-ci c’était l’omniprésence des discours religieux qui le perturbait le plus. Vraiment ça le dépassait. Ce retournement de l’histoire. Alors qu’il pensait tout ça définitivement relégué aux oubliettes. Pour le bien de tous. À ses yeux la religion avait toujours été synonyme d’asservissement, d’aliénation, point barre. Comme beaucoup de gens de sa génération et de celle de son fils dans la foulée, il avait longtemps pensé que l’avenir en délivrerait le monde petit à petit, doucement mais sûrement, et qu’il n’y aurait pas de retour en arrière. Qui voulait vivre enchaîné, réduit, dirigé, et mener volontairement sa vie sous le joug de superstitions et de dogmes d’un autre âge ? Et voilà qu’être athée, se revendiquer libre penseur, envoyer toutes les religions et tous les dieux au diable, moquer les croyants, les culs-bénits et les tartuffes, blasphémer comme on respire devenait inconvenant. Il n’en revenait pas.

S’ils te mettent en garde à vue, mets-toi bien ça en tête : leur truc c’est d’obtenir des aveux. Coûte que coûte. C’est comme ça qu’ils fonctionnent. C’est pour ça qu’ils les prolongent indéfiniment. Pour t’avoir à l’épuisement. Vingt-trois jours, ils disent ça, mais c’est du flan. Il suffit qu’à la fin ils décident de t’accuser d’un autre truc, juste un peu différent, en jouant sur les mots, et hop tu repars pour un tour. Y a des gens qui sont restés des années comme ça, sans jamais être mis en examen, et encore moins jugés. Ils parlent d’enquête, de réunir les éléments, mais il n’y a pas vraiment d’enquête. Juste, ils font avec ce qu’ils ont déjà et répètent leurs questions, portent leurs accusations jusqu’à ce qu’en face, ça craque. Après, forcément, le procès, ça va vite. Les aveux ont été prononcés. Pas besoin de plus. On passe direct à la condamnation. Ils sont malins. Tout se fait en circuit court. Direct de l’arrestation à la taule. Bien sûr, tout ça vaut surtout pour les délits mineurs. Pour la grande criminalité c’est autre chose. Mais il faut bien comprendre qu’au Japon, la petite délinquance, les incivilités, tous ces trucs c’est tellement marginal que quand ils attrapent quelqu’un, en général, c’est pas pour rien : ils sont sûrs de leur coup. Certains d’avoir appréhendé non pas un suspect mais un coupable. Alors tu vois, ces pauvres types, ces pauvres femmes qui se retrouvent en garde à vue, voire en taule, juste parce qu’ils ont essayé d’apercevoir leurs gosses ou tenté de s’expliquer avec leur ex, généralement c’est vite réglé. Pour eux, les choses sont simples. Ce sont des étrangers qui emmerdent leurs ressortissants. Et qui de leur point de vue n’ont pas le droit de le faire. Point barre.

Elle a enlevé mon fils, je vous signale.
Après s’être fait traduire sa réponse, le procureur haussa les épaules.
— Elle n’a enlevé personne. C’est son fils. On n’enlève pas son propre fils. Elle l’emmène où elle veut. De notre point de vue elle en a la garde exclusive. Elle seule est détentrice de l’autorité parentale. En divorçant, vous avez perdu votre statut de père. Vous êtes peut-être son géniteur mais ici, vous n’êtes plus son père. Elle n’est soumise à aucune obligation vous concernant.

François Schaeffer connaissait bien ce genre d’affaire, et celle-ci en particulier. Il était au courant de tout. Avait veillé à tenir informée la famille Forsberg. Et lui indiqua qu’en France on commençait à se soucier de son sort : un article était paru dans Ouest-France et avait été repris sur de nombreux sites d’information en ligne, dont ceux du Monde et de L’Obs. Suite à quoi deux cinéastes dont le diplomate avait oublié les noms, mais dont il supposait que Nathan avait dû les recevoir dans son établissement, s’étaient émus de sa détention sur Twitter. Ce qui n’était pas forcément une bonne chose. Le mieux dans ce type de situation était de rester discret, de laisser la diplomatie agir. Et Nathan savait comme lui que tout cela se faisait de préférence en silence, histoire de ne braquer personne. On avait déjà bien irrité les autorités japonaises avec Carlos Ghosn et sa façon très littérale de se faire la malle, même si la France n’y était pour rien. Les critiques qui avaient fleuri dans les journaux à propos de la justice nippone, qu’on avait jugée « indigne d’un grand pays démocratique », avaient laissé un goût amer ici.

— Et mon fils ? se risqua Nathan.
— Votre fils ?
— Elle n’avait pas le droit de le prendre avec elle. Elle n’a pas le droit de m’empêcher de le voir. C’est mon fils. On est en garde partagée…
— Je sais tout ça. Mais vous savez bien que c’est un problème épineux. On se heurte à un vide juridique. On est au Japon et au Japon, c’est la loi japonaise qui s’applique. Ça fait des années qu’on essaie de négocier une convention à ce sujet.

Nathan l’ignorait alors mais les pressions diplomatiques que subissait l’homme de loi le mettaient hors de lui. Le révulsaient. C’était une sorte de course contre la montre. De son point de vue il était urgent que Nathan avoue. Il voulait acter sa mise en examen et ordonner son jugement avant qu’on l’oblige à prononcer un non-lieu et à le laisser partir. Cette simple perspective le faisait gerber.
C’est ce qu’expliqua François Schaeffer à Nathan lors de sa deuxième visite. Inquiet de le voir si faible, hiératique, incohérent dans ses réponses, il l’exhorta à s’accrocher. Ce n’était plus qu’une question de jours, d’heures même, maintenant. Il aurait peut-être encore à endurer deux ou trois interrogatoires. Il ne fallait pas qu’il s’étonne si dans sa cellule on montait la climatisation au maximum. Il risquait de passer les heures à venir dans un congélateur. Il y avait aussi de bonnes chances pour qu’on « oublie » de lui servir son repas. Quant à la douche, inutile d’y penser. Ils allaient tout faire pour l’avoir à l’usure. Abattre ses défenses. L’affaiblir au maximum. Le pousser à la faute.

Il se tourna vers Lise. Ça faisait déjà des mois qu’elle avait perdu son fils. Est-ce que la blessure se refermait ? Est-ce qu’on passait un jour à autre chose. Est-ce qu’on guérissait comme on guérit d’un chagrin d’amour ? Parce qu’il s’agissait bien de cela dans le fond. De perdre un être aimé alors qu’il était encore en vie. De le savoir quelque part, peut-être heureux, mais sans nous. D’être sorti de sa vie sans l’avoir désiré et de devoir en prendre acte.

 

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