lundi 3 mai 2021

[Rouchon-Borie, Dimitri] Le démon de la colline aux loups

 


 


Coup de coeur 💓

 

Titre : Le démon de la colline aux loups

Auteur : Dimitri ROUCHON-BORIE

Parution : 2021

Editeur : Le Tripode

Pages : 240

 

 

  

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur : 

Un homme se retrouve en prison. Brutalisé dans sa mémoire et dans sa chair, il décide avant de mourir de nous livrer le récit de son destin.
Écrit dans un élan vertigineux, porté par une langue aussi fulgurante que bienveillante, Le Démon de la Colline aux Loups raconte un être, son enfance perdue, sa vie emplie de violence, de douleur et de rage, d’amour et de passion, de moments de lumière... Il dit sa solitude, immense, la condition humaine. 
Le Démon de la Colline aux Loups est un premier roman. C’est surtout un flot ininterrompu d’images et de sensations, un texte étourdissant, une révélation littéraire.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Dimitri Rouchon-Borie est né en 1977 à Nantes. Il est journaliste spécialisé dans la chronique judiciaire et le fait divers. Il est l’auteur de Au tribunal, chroniques judiciaires (La Manufacture de livres, 2018). Le Démon de la Colline aux Loups est son premier roman.

 

 

Avis :

Du fond de sa prison et au bord de la mort, Duke, le narrateur, écrit fébrilement. Dans un dernier exutoire, il se hâte de jeter sur le papier la catastrophe qu’a été sa vie depuis le premier jour : une vie marquée par la violence, subie dès le plus jeune âge au sein de la cellule familiale, et qui ne s’est jamais éteinte, au-dehors, mais bientôt aussi, au-dedans de lui, comme par un inéluctable phénomène de vases communicants...

L’entrée dans ce livre ressemble à un uppercut. S’y succèdent des scènes choc, révélant une large fratrie traitée comme une portée d’animaux par des parents au paroxysme de la monstruosité. Séquestrés, dénutris et maltraités de toutes les manières possibles, les enfants sont des êtres sauvages, privés de langage et de développement mental, réduits à leurs instincts les plus primaires. Le narrateur nous fait vivre cette période de l’intérieur, alors qu’il nous la relate dans un langage fruste et sans ponctuation, caractérisé par une spontanéité naïve et sans fard, dans un tourbillon de sentiments qu’il tente d’ordonner et d’extérioriser. Le texte évolue ensuite vers l’impossibilité d’une vie sociale ordinaire pour l’enfant placé en famille d’accueil, puis pour l’adulte instable qu’il est devenu, sa quête d’une normalité impossible, sa fuite désespérée qui ne parvient pas à distancer un mal qui le poursuit et le pénètre, l’exposant à des crises de violence incontrôlable face à l’injustice.

La souffrance, la rage et la solitude de cet être, irrémédiablement relégué en marge de l’humanité par ses propres parents, frappent d’autant plus le lecteur qu’elles sont exprimées avec une sincérité et une impuissance confondantes. Duke évoque sa violence et ses fautes avec une absence de malignité et une ingénuité qui auréolent sa culpabilité d’innocence. Quelle est la part de la victime et du coupable chez cet homme torturé à qui la vie n’a laissé aucune chance ? Comment juger du bien et du mal quand viennent s’en mêler l’hérédité, l’éducation et l’incapacité collective à porter secours à un être martyrisé comme celui-là ? Quelles sont les limites de la responsabilité et des circonstances atténuantes ? A-t-on le droit de faire un mal pour un bien ? Enfin, la rédemption est-elle possible ?

En concluant par les interrogations mystiques de Duke en prison et par sa découverte, grâce à l’aumônier, des Confessions de Saint-Augustin, le texte achève de poser la question de la justice et du pardon. Constatant l’incapacité des hommes à combattre le mal inhérent à leur nature, n’est-ce pas Saint-Augustin qui les engagea à renoncer à leur justice, par trop manichéenne, et à régler leurs différents par le pardon, la grâce de Dieu seule pouvant les élever vers le bien ? Une réflexion qui en dit long sur les drames dont l’auteur a pu être témoin au cours de sa carrière de chroniqueur judiciaire, quand, de génération en génération, tant de victimes deviennent bourreaux à leur tour… Coup de coeur. (5/5)

 

Citations : 

Mon père disait ça se passe toujours comme ça à la Colline aux Loups et ça s’était passé comme ça pour lui et pour nous aussi. 
 
Je crois que c’est ma souffrance qui m’a tué depuis longtemps je ne crois pas que je suis vivant autrement que par mes fonctions biologiques mais dedans je suis mort. 
 
Elle m’a serré dans ses bras en disant des mots bizarres et celle qui m’accompagnait riait en disant enfin vous allez nous l’étouffer et la dame disait voyons voyons. On m’a montré une chambre et on a dit c’est à moi et les dames avaient les yeux qui brillent et je sentais ce qu’elles voulaient que je ressente parce qu’il y avait un lit et un coffre avec des jouets et c’était propre mais je ne voyais qu’un espace vide et sans lien je ne sais pas comment le dire j’étais trop absorbé par le manque du nid et de la chaleur et j’ai pleuré debout dans la pièce. Finalement c’était bien de pleurer car elles ont dit oh il est ému c’est rien c’est l’émotion et elles pensaient que je ne pouvais pas verbaliser surtout que ça aurait été vrai avec mon parlement de l’époque mais j’étais seulement gagné par la souffrance brute du manque. Tous ces gens pensaient me donner quelque chose mais moi j’étais juste un enfant qui n’avait rien et plus on me gâtait plus on me montrait que je n’avais rien. Tout ça n’était pas à moi et je ne pouvais pas le dire ces gens étaient si fiers de faire de leur mieux pour moi ce que je vivais ne pouvait pas être soigné ni guéri je ne pouvais pas leur dire.

(…) il savait qu’on peut faire tout ce qu’on peut on ne sauve pas les gens comme ça.

Le procès c’est une délivrance vous allez voir que ce sera dur mais après c’est un poids qui s’en ira l’avocate nous a rassurés. Mais non en fait si je la revoyais je lui dirais que c’est un vide qui se remplit d’un autre vide. On croit pouvoir se réjouir d’être vengé de voir ses parents plonger mais même si on ne les aime pas c’est comme les sourds qui iraient voir les aveugles se vautrer dans les escaliers.

Le prêtre était revenu je lui avais rendu le livre sur le Purgatoire et je lui avais dit ça me met la cervelle en feu de lire ça comme si j’essayais d’allumer l’intelligence mais rien n’est branché. Il a souri il a répondu que Dieu avait mis nécessairement ce qu’il fallait en chacun de nous pour qu’il le trouve et je n’avais pas besoin d’être ingénieur en théologie. Il a ajouté je ne veux pas que vous le preniez mal mais les imbéciles ont même plus leur chance que les autres et il citait la Bible mais je ne comprenais pas.

Je suis resté chez Pete et Maria des années et tout allait bien car leur façon de fabriquer des habitudes me protégeait du Démon. J’ai compris cette chose-là c’est qu’ils s’occupaient de moi et tant qu’ils le faisaient je pouvais compter sur eux c’était comme museler un fauve en lui faisant des caresses. Je sentais bien que j’avais à l’intérieur une trace qui ne partait pas c’était la déchirure de l’enfance c’est pas parce qu’on a mis un pont au-dessus du ravin qu’on a bouché le vide. 
 
J’ai cru que mes parents avaient mis une autre volonté en moi qui me dicterait ma vie mais maintenant je sais que j’ai fait des choix même si je n’ai pas tout décidé. Il faut comprendre que c’est trop dur de demander à un enfant qui a enduré d’avoir en plus la force de faire les bons choix c’est comme si vous demandiez à l’éclopé de marcher mieux que les autres.

Un psychologue est arrivé je me souviens il avait fait des tests je devais ranger des dessins pour faire des histoires et raconter ce que m’inspiraient des taches d’encre je ne comprenais pas son charabia. Il m’avait dit l’important n’est pas que vous compreniez mais que moi je puisse en retirer quelque chose et j’avais dit bon courage. J’aurais dû me méfier il disait des choses pénibles sur ma construction de personnalité et que je serai psychopathique et que mon niveau de langage était faible je l’ai interrompu mais on ne m’a pas laissé dire. Quand j’ai pu avoir mon tour j’ai dit que j’avais un parlement qui n’était pas celui des gens et que je sentais bien que mes idées allaient plus loin que mes mots j’avais l’impression d’un type qui a la tête infatigable alors que ses jambes supportent pas le voyage.


 

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