Bonjour Anatole Pons.
Pouvez-vous décrire en quelques mots qui vous êtes ?
Je
suis traducteur littéraire de l’anglais et de l’italien,
après un passage dans plusieurs maisons d’édition. Passionné
de littérature de tous horizons et animé d’une grande
curiosité pour tout ce que je ne connais pas.
Comment êtes-vous devenu traducteur ? Quelles ont été vos motivations ?
Comme beaucoup de collègues, un peu par hasard ! Quand j'ai découvert qu'on pouvait faire du livre un métier, j'ai tout de suite voulu travailler dans l'édition. J'ai commencé par un stage au service des droits étrangers d'Actes Sud, une chance incroyable. Après plusieurs stages et un séjour à l'étranger, j'ai commencé à traduire des documents pour plusieurs ONG. Et là, il y a eu une rencontre décisive avec deux éditeurs : les éditions du sous-sol et les éditions Gallmeister. Deux maisons qui sortent des textes formidables et qui apportent beaucoup de soin à leurs traductions. J'ai appris "sur le tas" et me suis nourri de leur confiance.
Quelles langues, quels auteurs traduisez-vous ? Quels sont vos rapports avec eux ? Avez-vous besoin d'affinités ? Travaillez-vous avec plusieurs éditeurs ?
Je traduis principalement de l’anglais, très majoritairement américain. J’ai traduit des auteurs comme Chris Offutt, Thomas McGuane, Wallace Stegner, Ted Conover, Georges Plimpton, Peter Singer (chez mes copains des éditions Goutte d’Or, qui font un travail incroyable), Rob Davis (un auteur de BD anglais complètement déjanté, aux éditions Warum), ainsi qu’un nouveau venu des lettres américaines, Peter Farris, que je suis depuis son premier roman, Dernier appel pour mes vivants (Gallmeister a publié le troisième, Les Mangeurs d’argile, l’an dernier). Avec cette particularité : les deux derniers romans de Peter n’ont pas été publiés aux États-Unis alors que Gallmeister l’a suivi, et à raison : ses livres obtiennent un beau succès critique, dont je suis très heureux. Dernier appel était ma première traduction ; nous avons en quelque sorte évolué ensemble et c’est un lien très fort.
J’accorde beaucoup d’importance à la relation avec les éditeurs et j’ai la chance de travailler avec des maisons qui partagent cette approche et inscrivent la relation de travail dans la durée. Je traduis pour plusieurs maisons, mais Gallmeister occupe toujours la plus grande partie de mon temps. D’autant qu’en ouvrant son catalogue à des littératures non-américaines (avec les premières parutions prévues sans doute pour 2021), la maison m’a permis de réaliser un rêve de longue date : traduire de l’italien, une langue qui me tient beaucoup à cœur. Je travaille actuellement sur un roman noir situé en Sardaigne, magnifique, où il est question d’énigmatiques meurtres rituels… De plus, l’auteur a souvent recours à la langue sarde, qui est bien une langue à part entière et non un dialecte de l’italien, ce qui pose un défi supplémentaire. Heureusement, de nombreux collègues ont déjà beaucoup écrit à ce sujet et sont une source inépuisable d’inspiration.
Quant à la relation avec les auteurs, elle n’est pas forcément nécessaire mais c’est toujours un plaisir d’avoir des échanges avec quelqu’un que l’on a passé plusieurs mois à traduire. Le plus souvent, ce sont des questions très techniques (le nom d’un arbre, le sens d’une expression très locale, etc.) que nous abordons. Il arrive aussi que les auteurs viennent en tournée en France pour présenter leurs livres, et c’est toujours l’occasion de belles rencontres.
Avez-vous le choix des auteurs et des ouvrages ?
Je fais confiance à mes éditeurs sur le choix des textes. À la longue, ils me connaissent bien et savent quels romans peuvent me plaire. J’ai évidemment le choix de refuser, mais cela arrive rarement ! Et j’aime aussi ”suivre” un auteur ou une autrice, quand le calendrier le permet. On s’habitue au fur et à mesure à la “musique” de chacun et il y a quelque chose de confortable à traduire plusieurs fois les mêmes personnes. Par ailleurs, je n’ai pas de style de prédilection et j’apprécie donc tout projet nouveau, toute entrée dans un nouvel univers. Ainsi j’ai pu me plonger dans le monde de la boxe, de la pêche à la mouche, du renseignement, des hobos, des pionniers américains… C’est une partie du travail que j’aime beaucoup.
Comment se déroule votre travail de traduction ?
Je lis d’abord le livre une première fois, puis une deuxième “crayon en main” pour noter les passages difficiles, ceux qui vont nécessiter plus de recherches, les trouvailles qui viennent spontanément, etc. Puis je me lance dans un premier jet, plein de blancs et de points d’interrogation, avant de revenir plusieurs fois sur le texte, jusqu’à obtenir un résultat satisfaisant… tout en sachant que nous autres traducteurs sommes des perfectionnistes conscients que la traduction parfaite n’existe pas !
J’ajoute que je travaille souvent avec des amies traductrices avec lesquelles nous échangeons sur les difficultés de nos traductions respectives. En plus de briser la solitude inhérente à la profession, cela permet d’avoir un recul sur son texte qui n’est pas toujours évident et de se confronter à d’autres manières de faire. Dans le même esprit, j’ai eu la chance l’an dernier de participer à un atelier qui s’appelle “Vice-Versa” et qui rassemble pendant une semaine des traducteurs et traductrices français-anglais et anglais-français, pour échanger autour de nos traductions en cours. Une expérience inoubliable !
Quelle liberté par rapport au texte original vous donnez-vous ?
Le moins possible. Le but est que le lecteur français puisse avoir l’expérience la plus proche possible d’une lecture de l’original. Je m’efforce de garder le rythme, les structures de phrases, les connotations, tout ce qui donne sa couleur au texte. En jargon savant, on distingue traditionnellement les “sourciers”, qui seraient soucieux de rester proches du texte, des “ciblistes”, qui chercheraient avant tout à offrir le texte le plus agréable à lire au lecteur. Pour moi, il y a quelque chose d’un peu artificiel là-dedans, car le but est de trouver l’équilibre entre ces deux exigences. C’est même précisément dans la tension entre les deux que réside le principal enjeu d’une traduction, à mon sens. En d’autres termes, produire un texte de bonne tenue tout en donnant à voir tout ce qui fait la spécificité d’un auteur.
Le traducteur est au final amené à s’effacer derrière l’auteur. N’est-ce pas un métier frustrant ?
Pas du tout. C’est un métier qui permet de passer ses journées à écrire et à faire des recherches, il y a un travail quotidien de création. Je n’éprouve aucune frustration à m’effacer derrière l’auteur. Je me vois plutôt comme un artisan, avec trois langues comme matériau de travail. Ceci dit, il existe des écrivains-traducteurs et des traducteurs écrivains, donc chacun peut y trouver son compte !
Merci Anatole Pons d'avoir répondu à mes questions.
Merci pour votre invitation, et surtout, merci de systématiquement indiquer dans votre blog le nom des traducteurs et des traductrices : tout le monde ne le fait pas et c’est toujours un plaisir de voir notre travail mis en valeur.
Anatole Pons a notamment traduit Nuits Appalaches de Chris Offutt.
Retrouvez-en ma chronique ici.