Coup de coeur 💓
Titre : La collision
Auteur : Paul GASNIER
Parution : 2025 (Gallimard)
Pages : 176
Présentation de l'éditeur :
En 2012, en plein centre-ville de Lyon, une femme décède brutalement,
percutée par un jeune garçon en moto cross qui fait du rodéo urbain à
80 km/h.
Dix ans plus tard, son fils, qui n’a cessé d’être hanté par le drame, est devenu journaliste. Il observe la façon dont ce genre de catastrophe est utilisé quotidiennement pour fracturer la société et dresser une partie de l’opinion contre l’autre. Il décide de se replonger dans la complexité de cet accident, et de se lancer sur les traces du motard pour comprendre d’où il vient, quel a été son parcours et comment un tel événement a été rendu possible.
En décortiquant ce drame familial, Paul Gasnier révèle deux destins qui s’écrivent en parallèle, dans la même ville, et qui s’ignorent jusqu’au jour où ils entrent violemment en collision. C’est aussi l’histoire de deux familles qui racontent chacune l’évolution du pays. Un récit en forme d’enquête littéraire qui explore la force de nos convictions quand le réel les met à mal, et les manquements collectifs qui créent l’irrémédiable.
Dix ans plus tard, son fils, qui n’a cessé d’être hanté par le drame, est devenu journaliste. Il observe la façon dont ce genre de catastrophe est utilisé quotidiennement pour fracturer la société et dresser une partie de l’opinion contre l’autre. Il décide de se replonger dans la complexité de cet accident, et de se lancer sur les traces du motard pour comprendre d’où il vient, quel a été son parcours et comment un tel événement a été rendu possible.
En décortiquant ce drame familial, Paul Gasnier révèle deux destins qui s’écrivent en parallèle, dans la même ville, et qui s’ignorent jusqu’au jour où ils entrent violemment en collision. C’est aussi l’histoire de deux familles qui racontent chacune l’évolution du pays. Un récit en forme d’enquête littéraire qui explore la force de nos convictions quand le réel les met à mal, et les manquements collectifs qui créent l’irrémédiable.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Né en 1990, Paul Gasnier est journaliste. La collision est son premier récit.
Avis :
Avec La Collision, Paul Gasnier signe un premier livre à la fois intime et politique, un récit percutant qui interroge les fractures de notre société à partir d’un drame personnel : la mort de sa mère, fauchée en 2012 par un jeune motard lors d’un rodéo urbain à Lyon. Ce fils devenu journaliste y mène une enquête sensible qui cherche à comprendre, à relier, à nommer ce qui dépasse l’accident.
Le titre ne désigne pas seulement le choc physique entre deux corps, mais surtout la collision symbolique entre deux mondes : celui d’une femme ancrée dans une vie stable et celui d’un jeune homme pris dans un engrenage de précarité, d’errance et de déterminismes sociaux. Plus ce face-à-face brutal révèle dans son récit les lignes de fracture d’une société où certaines trajectoires ne se croisent que dans la violence, moins l’auteur cherche à opposer, mais à mettre en tension, à explorer ce que cette rencontre dit de nous et de nos institutions.
L’une des grandes qualités du livre réside dans la justesse des réflexions, patiemment élaborées au fil de rencontres avec la sœur du conducteur, les avocats, le juge, un policier, des éducateurs sociaux, autant de voix qui, venant nuancer, éclairer, parfois bousculer les certitudes de l’auteur, nourrissent une pensée en mouvement, magnifiquement exprimée, toujours en quête de sens plutôt que de verdict.
Sobre et pudique, l’écriture évite le pathos tout en exhalant une émotion palpable. La narration avance avec précaution, comme dans la crainte de trahir la mémoire maternelle ou de céder à une colère trop facile. Cette retenue participe à la dignité d’un texte dont chaque mot semble pesé, chaque question posée avec humilité, le transformant au final en espace de réflexion sur la responsabilité, la justice et la mémoire, mais aussi sur le rôle du langage face à la violence et à l’irréparable.
Refusant toute instrumentalisation politique du drame, l’auteur s’inscrit vigoureusement en faux contre la récupération idéologique qui transforme les faits divers en carburant pour discours sécuritaires. Dans son questionnement des trajectoires sociales, des mécanismes judiciaires et des récits médiatiques, il prend garde à ne jamais céder à la simplification et, loin de chercher à imposer une vérité, s’attache à ouvrir des pistes, à faire entendre des voix peu entendues du grand public et à rendre visibles des réalités reléguées hors champ.
Bien plus qu’un témoignage, ce livre qui transforme la douleur en parole s’affirme comme un texte fort, porté par de vraies qualités d’écriture, une réflexion ample et nuancée, ainsi qu’une posture éthique irréprochable. En somme, une bien belle et prometteuse entrée en littérature. Coup de coeur. (5/5)
Il est coutume d’entendre que ce genre de drame endurcit, rend plus fort face à l’adversité. En réalité, c’est presque l’inverse qui se produit : si l’épreuve crée une armure, c’est une armure qui engourdit les mouvements davantage qu’elle ne les renforce. On est pris dans un formol qui entrave la marche de l’existence et qui ramène toujours au même endroit, à cette petite rue où tout a pris fin, et l’on se retrouve à se poser les mêmes questions pendant dix ans, à imaginer les mêmes scénarios de « si seulement », l’esprit sclérosé par un ressentiment qui se manifeste en rechutes, exactement comme une crise de paludisme peut survenir des années après que l’on a été piqué par le mauvais moustique.
Le titre ne désigne pas seulement le choc physique entre deux corps, mais surtout la collision symbolique entre deux mondes : celui d’une femme ancrée dans une vie stable et celui d’un jeune homme pris dans un engrenage de précarité, d’errance et de déterminismes sociaux. Plus ce face-à-face brutal révèle dans son récit les lignes de fracture d’une société où certaines trajectoires ne se croisent que dans la violence, moins l’auteur cherche à opposer, mais à mettre en tension, à explorer ce que cette rencontre dit de nous et de nos institutions.
L’une des grandes qualités du livre réside dans la justesse des réflexions, patiemment élaborées au fil de rencontres avec la sœur du conducteur, les avocats, le juge, un policier, des éducateurs sociaux, autant de voix qui, venant nuancer, éclairer, parfois bousculer les certitudes de l’auteur, nourrissent une pensée en mouvement, magnifiquement exprimée, toujours en quête de sens plutôt que de verdict.
Sobre et pudique, l’écriture évite le pathos tout en exhalant une émotion palpable. La narration avance avec précaution, comme dans la crainte de trahir la mémoire maternelle ou de céder à une colère trop facile. Cette retenue participe à la dignité d’un texte dont chaque mot semble pesé, chaque question posée avec humilité, le transformant au final en espace de réflexion sur la responsabilité, la justice et la mémoire, mais aussi sur le rôle du langage face à la violence et à l’irréparable.
Refusant toute instrumentalisation politique du drame, l’auteur s’inscrit vigoureusement en faux contre la récupération idéologique qui transforme les faits divers en carburant pour discours sécuritaires. Dans son questionnement des trajectoires sociales, des mécanismes judiciaires et des récits médiatiques, il prend garde à ne jamais céder à la simplification et, loin de chercher à imposer une vérité, s’attache à ouvrir des pistes, à faire entendre des voix peu entendues du grand public et à rendre visibles des réalités reléguées hors champ.
Bien plus qu’un témoignage, ce livre qui transforme la douleur en parole s’affirme comme un texte fort, porté par de vraies qualités d’écriture, une réflexion ample et nuancée, ainsi qu’une posture éthique irréprochable. En somme, une bien belle et prometteuse entrée en littérature. Coup de coeur. (5/5)
Citations :
Une citation me revient souvent, que j’ai toujours attribuée à Michel Foucault sans jamais en retrouver la source : « Le fait divers est une sécrétion du temps. »
Contrairement à une image répandue, la colère n’est pas un feu qui consume ; c’est un liquide, qui s’infiltre insidieusement dans nos interstices psychiques, pour emplir notre cave, y moisir les fondations, et corrompre notre édifice entier, en chamboulant tout ce qu’on y avait soigneusement déposé : nos repères, nos bornes idéologiques, les quelques idées directrices que l’on se fait sur la vie.
L’année suivante, en juillet 2023, le gouvernement suivait ses recommandations et proposait la création d’un délit d’« homicide routier » pour remplacer celui d’« homicide involontaire avec circonstance aggravante ». C’est une modification sémantique qui ne change rien aux sanctions pénales, et qui vise surtout à rendre plus supportable aux familles la qualification de l’accident. Je manque d’impartialité pour juger s’il s’agit d’un progrès ou non ; c’est en tout cas une évolution de la perception de la responsabilité que l’on peut élargir à tout acte involontaire. Est-il suffisant de ne pas avoir souhaité une conséquence pour la qualifier d’involontaire ? Quel poids pèse l’intention initiale lorsque l’on prend la décision de réunir toutes les conditions qui risquent de tuer ? Suffit-il de ne pas avoir voulu tuer pour atténuer sa responsabilité ?
Le parcours de Hamza, vingt-six ans au moment du procès, était similaire à celui qu’allait suivre Saïd, emblématique des vies brisées des gamins de la Croix-Rousse, où souvent l’échec scolaire, les mauvaises fréquentations et l’addiction au cannabis déterminent le reste.
Il y avait quelque chose d’exaspérant et de pathétique à voir la fausse nonchalance de ces hommes dont les visages mimaient l’ahurissement leurs mains levées en l’air. À les entendre au tribunal et à les observer dans leur environnement au bas des Pentes, il semblait en aller pour eux de la moto comme de la barre de shit : il fallait impérativement échapper au réel et à son gris. Pour ça n’importe quel opium faisait l’affaire, parce qu’on savait bien qu’on n’aurait jamais la vie dont on rêvait ; et quand cette lucidité fulgure, elle est tellement odieuse qu’il faut absolument la fuir par le moindre sédatif ou comportement ordalique qui nous passe sous la main. La déclinaison la plus inoffensive est la vitrine que permettent les réseaux sociaux, où l’on peut se rêver à la tête d’une fortune, en prenant la pose devant une Audi RS5 dont on s’imagine propriétaire, où l’on fait des têtes de durs, en sachant pertinemment que tout ça ne dupe personne. Et l’on retombe souvent dans une salle de correctionnelle, à jurer que c’est la dernière fois, et que désormais on fera attention.
« C’est royal ! mime Mounir, les bras en croix. Imagine : t’es en bas de chez toi, les gens viennent à toi, prennent leur machin, t’as rien sur toi quand tu te fais contrôler, ça va d’une cave à l’autre, et quand on te chope avec quatre kilos de shit, tu fais que trois mois de prison. Pourquoi s’emmerder à rentrer dans les clous ? Y a pas photo… »
Mounir voit pourtant le garçon espiègle, choyé par sa famille et apprécié des éducateurs montrer les premiers signaux inquiétants : les après-midi passées à descendre des cannettes de bière et à fumer des joints sur les murets du parc de la place Colbert, et l’indolence qui transforme l’enfant en jeune de plus en plus insaisissable. Saïd va moins souvent en cours, il se met à traîner devant des halls d’immeuble, puis ne se cache plus d’être l’un des nombreux revendeurs de shit des pentes de la Croix-Rousse.
« Il y a tellement de fric… Tellement de fric… C’est pour ça que c’est difficile de les aider. »
« Il y a tellement de fric… Tellement de fric… C’est pour ça que c’est difficile de les aider. »
Mais l’analyse du parcours de Saïd raconte aussi les manquements de services publics qui se sont retrouvés désarmés face à la délinquance du quotidien aggravée par le trafic. L’accident n’est pas qu’une imprudence individuelle, il est le résultat d’un lent ravinement collectif qui s’est accompli par étapes, par érosions budgétaires successives, et a permis la dérive toujours plus lointaine d’hommes privés peu à peu de perches solides à saisir.
Alain parle aussi d’une génération qui aurait plus d’aplomb que la précédente, qui choisirait la violence plus facilement que ses aînés, sans qu’il soit capable de l’expliquer, encore moins de le chiffrer. « Les rapports avec les gens sont plus difficiles, plus tendus qu’avant. Il y a vingt ans, on pouvait arriver dans un appartement à deux pour interpeller quelqu’un. On se faisait insulter par les grands frères, mais on n’était pas agressés. Alors que là… »
Il avale son café d’une traite, et termine par une révélation soudaine, qui semble le surprendre au moment même où il la formule : « Pour être complètement honnête, les comportements des flics ont changé aussi. Aujourd’hui, on a des golgoths rasés et harnachés comme des porte-avions… En fait, tout le monde est devenu plus violent. »
Je suis là face à un garçon traversé par un faisceau de causes qui l’ont fait obéir à des nécessités contraintes, plutôt qu’à sa raison. Cela ne signifie pas qu’il n’est pas responsable de son acte, mais qu’à chaque étape de sa vie sa liberté d’agir a été orientée, doucement, subrepticement, dans un sens plutôt que dans un autre, sans qu’il s’en rende vraiment compte.
Ce jour-là, une dizaine d’affaires seront jugées à la chaîne. Une journée qui évoque l’image d’une carotte glaciaire qu’on aurait retirée de la banquise humaine pour offrir aux chercheurs du futur un concentré de la violence ordinaire qui se déchaîne derrière nos portes closes. (…)
Des histoires de coups de sang, d’hommes humiliés par des métiers subalternes, des CDD de commis plongeurs payés six cent cinquante euros par mois, des sursauts de virilité et de fierté qu’on trouve là où il ne faut pas, et qui amènent ces hommes à jurer qu’ils ne recommenceront pas. Ces saynètes mises bout à bout révèlent les ratés collectifs et individuels, les lacunes politiques et les trajectoires déviées par les fatalités et les circonstances.
Sa vie continue donc sa scansion judiciaire, comme s’il n’avait jamais quitté ce palais de Justice, un parcours qui décidément relève d’une lente mise en bière, sous forme de sursis distribués par salves depuis plus de dix ans. Tous les questionnements sur le pardon, sur la difficulté et la pertinence de l’accorder, trouvent là leur dénouement, leur examen de passage dans les conditions du réel, sur cet inconfortable banc en bois.
À la fin de ce premier quart de siècle, la pensée se trouve de plus en plus empêchée par la saturation de « faits divers », et végète sous la tyrannie de l’émotion immédiate que ces derniers exigent. Ces événements, quand on les prend un à un et qu’on les décortique, peuvent raconter leur époque et l’absurdité tragique qui pend au nez de chacun, mais leur prolifération, accompagnée à chaque fois de conclusions et de solutions clé en main, est devenue si abondante qu’elle a presque l’effet inverse, celui d’annihiler leur possible signification. Les esprits qui croient que l’anagramme d’un mot lui donne son sens caché ne verront aucun hasard à ce que l’anagramme de « fait divers » soit le mot « dérivatifs » : ce qui permet de détourner l’esprit de ses préoccupations. De la même manière que la roue-arrière sert d’échappatoire à la monotonie du réel, le temps d’une envolée à 80 km/h, la passion du fait divers permet à l’opinion de trouver dans l’indignation sporadique une forme de divertissement infini, et une inépuisable source d’ostentatoire vertu.
C’est aussi une des dernières questions que m’avait posées Hafsia, lorsque nous nous étions quittés place Bellecour. Elle s’était presque excusée de la poser, mais elle y tenait absolument : « Est-ce que… après tout ça… vous n’avez pas un dégoût de la communauté maghrébine ? » Je lui avais répondu que l’écriture permettait précisément de réinjecter de l’humain dans des histoires manichéennes, non pas pour diluer les responsabilités mais pour apaiser la colère et sortir du piège des sommations qu’exigeait l’époque. Et qu’il y avait urgence à faire cela au moment où des présentateurs tirés à quatre épingles se repaissaient du moindre fait divers dans lequel de jeunes descendants d’immigrés étaient impliqués. Ce n’est sans doute pas un hasard si je travaille souvent sur l’extrême droite. Non que cette expérience m’ait donné une légitimité particulière, mais peut-être parle-t-on du rejet de l’autre avec un regard plus sensible quand on l’a soi-même touché du doigt, en refusant de s’y laisser glisser.
Philippe Moreau ne croit pas au libre arbitre. Ce serait trop simple de juger un homme en pensant qu’il a l’entier contrôle de ses choix. Ce qu’il juge, c’est plutôt la capacité à s’extraire des déterminismes, cette extraction qui donne une plus-value à nos existences. C’est toute l’impossibilité de sa fonction : administrer la brutalité d’une règle, tout en adoucissant la dose afin de limiter les dégâts.
Cette fatalité, le magistrat l’impute à tous : aux propres manquements individuels de Saïd, bien sûr, à son inconséquence, mais aussi à l’école, à la famille, aux facteurs sociaux, au mimétisme maladroit des choses vues ; faisant de cet accident une faillite collective. La question n’est pas de savoir si Saïd a agi selon ses désirs, mais s’il avait choisi les désirs qui le déterminaient, s’il était capable d’un tel choix. Comme si Saïd nuisait malgré lui. Philippe Moreau le dit ainsi : « Le décor des pentes de la Croix-Rousse renseigne plus sur la collision que la roue-arrière en elle-même. »
Certains risquent d’entendre dans cette lecture de la Justice une approche de juge rouge, le summum du relativisme et de la culture de l’excuse dont la déploration est devenue rengaine. Si Philippe Moreau n’est pas sourd au vacarme de l’époque, son expérience l’a rendu hermétique à ces accusations et aux appels à la fermeté, qu’il balaie d’un rire sardonique et philosophe : « La Justice n’a jamais fait peur », et il insiste sur le « jamais ».
La malédiction de la Justice est de ne faire que des mécontents. Son rôle est simplement de dire « Non », non aux pentes naturelles des hommes. Et l’absorption de soi dans la vitesse en est une, au même titre que les pulsions de lynchage et la gourmandise de mettre tout le monde en taule. « Si notre office est de dire non, ça implique de servir de punching-ball. C’est le cas et on l’assume, sans en tirer fierté. » À l’entendre parler de fatalité, je me dis que ce n’est pas une mince affaire d’essayer de faire son métier humainement et de tenir cette ligne de crête en entendant des politiques et des éditorialistes vous dénigrer à longueur de matinales. À ceux qui réclament à chaque lendemain de fait divers une simplification de la procédure pénale, Philippe Moreau oppose le ricanement de celui qui entend ça depuis quarante ans. « Simplifier la procédure pénale ? J’adorerais. Mais il n’y a rien qu’on pourrait en retirer sans que ce soit intolérable. Vous savez, j’ai été rédacteur du texte qui a introduit l’avocat dans la garde à vue, au début des années 1990. À l’époque, ça faisait scandale et on criait déjà à la culture de l’excuse. Aujourd’hui, qui en parle encore ? » En homme de scène, Philippe Moreau a le don de ramasser sa pensée en formule : « Mon professeur disait : “La procédure pénale, c’est les mains que la société s’attache dans le dos pour ne pas écraser l’individu.” Quand je juge, je n’oublie jamais cette phrase. » Une phrase qu’il a toujours en tête quand il se retrouve face à des gens écrabouillés par la vie et les mauvais choix, ceux qui font le coq et qui narguent son institution comme ceux qui, les mains tremblantes, sont terrifiés de se retrouver face à lui. D’où la nécessité de juger « à hauteur d’homme », c’est-à-dire de ne pas seulement juger un acte, mais son auteur.
Davantage qu’une sentinelle, c’est peut-être cette image qu’il faut conserver de Philippe Moreau, celle d’un homme qui depuis son bureau prend la loi comme un patron, dont il ajuste en permanence les finitions et les coutures pour ne pas étouffer l’homme qu’il s’apprête à condamner.