vendredi 7 mai 2021

[Boyd, William] Trio

 


 

 

J'ai aimé

 

Titre : Trio

Auteur : William BOYD

Traductrice : Isabelle PERRIN

Parution : en anglais en 2020,
                   en français (Seuil) en 2021

Pages : 432

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Dans la station balnéaire de Brighton, indifférents au tumulte du monde en cet été 68, trois personnages sont réunis pour les besoins d'un film dans l'esprit des « Swingin' Sixties ». Talbot Kydd, la soixantaine, producteur chevronné, navigue entre les complications (réécritures sans fin du scénario, erreurs de casting, manigances des associés, défection de l'actrice principale) et se demande comment sortir du placard. Anny Viklund, jeune beauté américaine à la vie amoureuse chaotique voit réapparaitre son ex-mari, terroriste en cavale, et suscite l'intérêt de la CIA. Quant à l'épouse délaissée du metteur en scène, Elfrida Wing, autrefois saluée comme la « nouvelle Virginia Woolf » avec son premier roman, elle combat sa panne d'écrivain à grand renfort de gin tonic.
L'épigraphe de Tchekhov – « La plupart des gens mènent leur vraie vie, leur vie la plus intéressante sous le couvert du secret » – annonce le thème principal du roman : la duplicité. La simulation, composante essentielle dans la réalisation d'un film, s'insinue partout, dans la sphère privée comme dans la sphère publique : tromperie, vol dissimulé, adultère furtif et fausse amitié.
À travers ces trois personnages complexes et attachants, Boyd nous entraîne dans les coulisses où se trame le scénario imprévisible de nos vies secrètes, et nous livre un roman d'une allégresse contagieuse, dont la légèreté apparente n'est que la politesse de la tragédie.

  

Le mot de l'éditeur sur l'auteur : 

William Boyd, né à Accra (Ghana) en 1952, a étudié à Glasgow, Nice, et Oxford, où il a également enseigné la littérature. Il est l'auteur de quatre recueils de nouvelles – La Chasse au lézardLe Destin de Nathalie X, Visions fugitives, volume comprenant la monographie fictive Nat Tate : un artiste américain (1928-1960), La femme sur la plage avec un chien – et de huit autres romans – Un Anglais sous les tropiques, Comme neige au soleil, La Croix et la Bannière, Les Nouvelles Confessions, Brazzaville plage, L’Après-midi bleu, Armadillo, et À Livre ouvert couronné par le Grand Prix Littéraire des lectrices d'Elle et le prix Jean Monnet. Pour le cinéma, il a adapté Mister Johnson de Joyce Carey, la Tante Julia et le scribouillard de Mario Vargas Llosa, Chaplin pour Richard Attenborough, et a lui même réalisé le film La Tranchée en 2000. William Boyd est marié et vit à Londres.

 

 

Avis :

A l’été 1968, loin des explosions qui secouent le monde, une équipe de cinéma tourne dans la station balnéaire de Brighton. Entre complications et manigances en tout genre, le producteur sexagénaire Talbot Kydd ressent d’autant plus de lassitude, qu’à ses soucis professionnels s’ajoute le secret de plus en plus pesant de son homosexualité. La jeune actrice principale Anny Viklund, aux prises avec une vie sentimentale agitée, se retrouve compromise par son ex-mari, terroriste en cavale. Quant à la femme du metteur en scène, Elfrida Wing, c’est dans l’alcool qu’elle noie ses blessures d’épouse délaissée et ses affres de la page blanche, elle que l’inspiration a désertée depuis ses premiers succès littéraires.

Lui-même scénariste et réalisateur, c’est en connaissance de cause que l’auteur évoque le milieu du cinéma et de la création littéraire, ses paillettes et ses turpitudes, dans une restitution savoureuse, ironique et désabusée. Dans ce royaume du faux-semblant où les egos s’épandent sans limites et où fleurissent intrigues et coups bas, les trois personnages principaux ont en commun la traversée d’une profonde crise existentielle. Douloureusement, chacun prend peu à peu conscience du schisme qui a grandi entre leur « moi public » et leur « moi privé », les amenant au sacrifice de leurs valeurs et de leurs aspirations les plus profondes. Sauront-ils retrouver la maîtrise de leur existence, ou dériveront-ils inexorablement vers quelque conclusion tragique ? La fiction dévorera-t-elle la réalité, ou Talbot, Anny et Elfrida réussiront-ils à se préserver ?

Si l’histoire, adroitement rédigée et pavée de détails aux terribles accents de vérité, témoigne d’un œil aiguisé et d’une plume de qualité, sa lecture m’a toutefois semblé manquer d’un soupçon de souffle et de rythme. Partagé entre les histoires concomitantes de son trio de personnages, le récit s’achemine vers son dénouement sans réelle montée en puissance, faisant piaffer le lecteur par son pas globalement si égal et tranquille qu’il finit par retenir ses effets, tant comiques que dramatiques.

Malgré son relatif manque de pep, ce roman satirique demeure une lecture agréable, dont on retiendra l’intelligente et piquante peinture de ce dangereux miroir aux alouettes que représente la célébrité. A se confondre avec leur personnage public, tant s’y seront perdus, corps et âmes… (3,5/5)


Citations :

Les Japonais ont tout compris, songea-t-il en se rappelant qu’il existe deux mots en japonais pour décrire le moi. Enfin, dans son souvenir. Qui donc lui avait raconté cela ? Bref, apparemment il y avait un terme pour désigner le moi de la sphère privée et un autre, complètement différent, pour le moi qui existe dans le monde. Pourquoi l’anglais ne faisait-il pas ce distinguo plein de sagesse ? Il abandonna son moi public et, en sirotant son whisky, renoua avec son moi privé, heureux de se concentrer sur les projets qu’il avait faits pour son week-end. Les soucis de « L’échelle pour la lune » s’effaceraient de sa pensée. Son moi privé prendrait le dessus pendant un jour ou deux.

Très mince, étroit d’épaules, il avait un visage hâve sous une tignasse de cheveux blancs très drus et des oreilles qui semblaient lui sortir de la tête à angle droit, comme les poignées d’un faitout.

Ce n’était que la Manche mais, vu de l’endroit où elle se trouvait sur l’Esplanade de Brighton, l’horizon tenait sa promesse éternelle d’infini et il aurait pu s’agir de l’océan, couleur pistache avec des linceuls plus foncés qui teintaient l’eau comme autant de boutons floraux en train de s’épanouir, de sombres corolles s’ouvrant sous les vagues, altérant la lumière et la température.

Les gens sont opaques, complètement mystérieux. Même ceux qui nous sont le plus chers sont des livres fermés. Si vous voulez savoir à quoi ressemblent vraiment les êtres humains, ce qui se passe dans leur tête derrière ce masque que nous portons tous, alors, lisez donc un roman !

Pendant la durée d’un tournage, presque tout ce dont on avait besoin dans la vie vous était fourni : argent, transport, logement, nourriture, compagnie, guides, loisirs, réservations d’hôtel ou de restaurant et, dans ce cas précis, consultation médicale. Son statut d’épouse du réalisateur lui donnait droit à une priorité absolue, elle le savait. Si elle avait appelé pour dire : «  Je viens d’acheter un piano et je voudrais le faire transporter à Londres » ou « Réservez-moi une suite dans le meilleur hôtel de Torquay » ou «  J’ai une soudaine envie de manger des avocats », quelqu’un aurait reçu l’ordre de répondre à sa demande et de tout arranger pour elle. Seul problème : à la fin du tournage, toute cette assistance automatique prenait fin et il fallait se mettre à se débrouiller seul. Certains types de personnalité se laissaient pourrir par ça, voire détruire. (…)
Sachant qu’elle était « avec l’équipe », rien ne serait trop beau. D’où, peut-être, l’attrait si puissant de la réalisation de films. Ce n’était pas pour l’art, mais pour que les gens soient à vos ordres.
 
Il s’était rappelé qu’un jour, quelqu’un d’intelligent (un scénariste ou un réalisateur) lui avait dit que toutes les émotions ressenties durant notre vie d’adulte se mesuraient inconsciemment à l’aune de leurs équivalents adolescents sans jamais les égaler. Le désir, l’envie, la haine, la vengeance, l’amour, la honte, la frustration, la jalousie, la convoitise, etc., rien n’arrivait à atteindre ou approcher l’intensité de ces mêmes sentiments à l’adolescence, ce qui expliquait pourquoi les adultes étaient en quête permanente d’une réplique de ce niveau d’expérience, de cette vérité émotionnelle, puisqu’ils avaient déjà une référence, un gabarit dont le souvenir les avait marqués au fer rouge. Or leur quête restait vaine, puisque l’expérience initiale, si vivace et sincère, leur échappait toujours, enfouie dans leur passé, irrécupérable, et donc ils foutaient leur vie en l’air. Cette quête éperdue valait aussi bien pour les hommes que pour les femmes, avait précisé cette personne intelligente lorsqu’elle avait ainsi argumenté en défense de la psyché adolescente, tant critiquée pour son égocentrisme, son irrationalité, ses emportements, ses inadaptations, ses frustrations. Cette fracture, cette déconnexion irréconciliable entre adolescence et âge adulte expliquait tous nos problèmes émotionnels, personnels et sexuels.
Oui, bien sûr, c’est si juste et perspicace ! avait acquiescé Talbot sans réfléchir. Mais ensuite , en y repensant, il avait rejeté cette analyse. Pour lui, son adolescence relevait de l’histoire ancienne au même titre que les Etrusques ou les Néandertaliens. Sa palette émotionnelle s’était créée à l’âge adulte, après qu’il avait accepté et affronté sa nature. Alors seulement avait-il éprouvé et savouré le vrai désir, la déception cuisante, l’excitation sexuelle, les regrets éternels, les envies inassouvies, etc. La ferveur et l’immédiateté de sa vie émotionnelle avaient relégué aux oubliettes son ressenti et ses souffrances d’adolescent. Et pourquoi cela ? Parce que ses émotions d’adultes étaient complexes, nuancées, assumées, et non brutes, vibrantes ou déconcertantes  Il avait évolué à partir de cet état incohérent de l’être, et en conséquence il était plus heureux.

Pourquoi les films à succès récoltent autant de procès pour plagiat, à ton avis ? Les plaignants savent très bien que les studios et les producteurs préfèrent raquer pour faire disparaître le problème plutôt que de compromettre le planning de tournage ou la viabilité du film à cause d’un passage au tribunal. 


 

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