Coup de coeur 💓
Titre : La succession
Auteur : Jean-Paul DUBOIS
Parution : 2016 (Editions de l'Olivier)
Pages : 240
Présentation de l'éditeur :
Quand le consulat de France l’appelle pour lui annoncer la mort de son
père, il se décide enfin à affronter le souvenir d’une famille qu’il a
tenté en vain de laisser derrière lui.
Car les Katrakilis n’ont rien de banal: le grand-père, Spyridon, médecin
de Staline, a fui autrefois l’URSS avec dans ses bagages une lamelle du
cerveau du dictateur; le père, Adrian, médecin lui aussi, est un homme
étrange, apparemment insensible; la mère, Anna, et son propre frère ont
vécu comme mari et femme dans la grande maison commune. C’est toute une
dynastie qui semble, d’une manière ou d’une autre, vouée passionnément à
sa propre extinction.
Paul doit maintenant rentrer en France pour vider la demeure. Lorsqu’il
tombe sur deux carnets noirs tenus secrètement par son père, il comprend
enfin quel sens donner à son héritage.
Avec La Succession, Jean-Paul Dubois nous livre une histoire déchirante où l’évocation nostalgique du bonheur se mêle à la tristesse de la perte. On y retrouve intacts son élégance, son goût pour l’absurde et quelques-unes de ses obsessions.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Avis :
On se délecte chaque fois autant de la plume et de l’humour de Jean-Paul Dubois qui, du rire aux larmes, entre gravité et légèreté, nous embarque pour notre plus grand plaisir dans l’exploration de ses thèmes de prédilection. Nous nous retrouvons donc à nouveau aux côtés d’un narrateur prénommé Paul, appliqué à se choisir une vie outre-atlantique pour se retrouver irrémédiablement rattrapé par un destin familial aux allures de malédiction. Si le propos s’habille d’une fantaisie cocasse, accentuant avec dérision les névroses qui ravagent chaque membre de la famille Katrakilis, il n’en suinte pas moins une profonde mélancolie, alors que l’envie de vivre, grignotée par le deuil, la solitude et la désillusion, y cède peu à peu la place à l’aliénation et à la dépression. Les personnages, enlisés dans le sillon de vie tracé par leur filiation, subissent un destin qui les emprisonne et leur coupe les ailes, au point que leur liberté finit par se résumer au seul choix de leur fin de vie.
De la pelote basque convertie en business mafieux au droit de grève quasi inexistant aux Etats-Unis, de la médecine aux ordres de la dictature soviétique à celle qui se résout discrètement à pratiquer l’euthanasie réclamée par ses patients, d’automobiles miteuses à d’autres presque mythiques, ou de la disparition du dernier quagga dans un zoo d’Amsterdam au touchant attachement à un chien sauvé de la noyade, la balade finit, malgré tous ses détours, par nous ramener à l’essentiel : « Je regrette de ne pas avoir su trouver ma place. » « Il ne faut jamais se tromper de vie. Il n'existe pas de marche arrière ».
Ce texte admirablement écrit, dont la désespérance se pare élégamment d’un humour désabusé, est un curieux cocktail de tristesse et de drôlerie qui vous empoigne le coeur comme il vous séduit l’esprit. Il ne déroge pas à la règle : les romans de cet auteur sont irrésistibles. Coup de coeur. (5/5)
Citations :
Le ciel était gris avec, çà et là, des taches sombres qui faisaient penser à des hématomes.
J'allais devoir rentrer en France pour enterrer mon père et m’occuper de ces choses que l’on doit régler quand on est le seul et le dernier à pouvoir les régler. Je pensai qu’après ma mort il n’y aurait plus personne pour s’occuper de ces formalités. Et pourtant tout se réglerait. Comme à chaque fois qu’un type meurt et qu’il faut faire de la place pour les suivants. Les numéros de sécurité sociale s’effacent les uns après les autres, les assurances se lassent de réclamer, les facteurs oublient l’adresse, les banques regardent ailleurs, et toute cette petite comptabilité d’une existence s’éteint d’elle-même comme une triste et mauvaise journée d’hiver.
« Il ne faut jamais se tromper de vie. Il n’existe pas de marche arrière. »
« Est-ce que tu sais à quelle vitesse tombent les gouttes de pluie ? Quels que soient la hauteur du nuage et le poids de chacune, elles arrivent toutes sur le sol à une vitesse à peu près constante, comprise entre 8 et 10 km/h. Et cela est dû à leur forme qui augmente l’effet de frottement dans l’atmosphère et empêche leur accélération.
Depuis que le monde était monde, il y avait toujours eu deux façons de le considérer. La première consistait à le voir comme un espace-temps de lumière rare, précieuse et bénie, rayonnant dans un univers enténébré, la seconde, à le tenir pour la porte d’entrée d’un bordel mal éclairé, un trou noir vertigineux qui depuis sa création avait avalé 108 milliards d’humains espérants et vaniteux au point de se croire pourvus d’une âme. La médecine ne traitait pas ce genre de questions. Pour elle, l’ongle incarné primait toujours sur l’herméneutique. Comme disait l’un de mes professeurs pour casser les reins de quelques internes pressés d’en découdre : « Nous ne sommes là que pour assurer une zone de moindre inconfort entre les griffes du forceps et celles de la broyeuse. »
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