mercredi 17 décembre 2025

[Paulin, Frédéric] Que s'obscurcissent le soleil et la lumière

 



 

J'ai beaucoup aimé

 

Titre : Que s'obscurcissent le soleil 
            et la lumière

Auteur : Frédéric PAULIN

Parution : 2025 (Agullo)

Pages : 384

 

 

 

  

 

 

Présentation de l'éditeur : 

« Si la guerre ne finit jamais, qui donc verra la fin des combats ? Qui donc verra la fin des larmes des veuves, de la détresse des orphelins, de la souffrance des pères ? Qui donc, si ce n’est ceux qui sont morts à la guerre ? »
Fin d’année 1986, Paris est à feu et à sang. Il faut alors trouver rapidement un coupable pour calmer l’opinion publique. La piste Abdallah, bien que hautement improbable, est choisie, car la raison d’État prévaut souvent sur la vérité, comme le commissaire Caillaux ne le sait que trop bien. À l’international, Michel Nada a fort à faire car les enjeux sont colossaux : la crise des otages qui dure depuis plusieurs années maintenant vient se mêler de manière toujours plus cynique à la course à la présidence de 1988 entre Mitterrand et Chirac. Au Liban, la guerre reprend de plus belle après une brève accalmie, opposant cette fois les chrétiens entre eux, en plus de la lutte fratricide entre chiites, et le pays se retrouve bientôt avec deux gouvernements. Cette macabre comédie cessera-t-elle un jour ? Dans le dernier volet de sa trilogie libanaise, Frédéric Paulin nous emmène jusqu’aux derniers jours d’un conflit long de quinze ans et qui, comme il avait débuté, s’achève dans le chaos, avec, comme toujours, le peuple libanais pour seul véritable perdant.

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :   

Frédéric Paulin écrit des romans noirs depuis presque dix ans. Il utilise la récente Histoire comme une matière première dont le travail peut faire surgir des vérités parfois cachées ou falsifiées par le discours officiel.
Ses héros sont bien souvent plus corrompus ou faillibles que les mauvais garçons qu’ils sont censés neutraliser, mais ils ne sont que les témoins d’un monde où les frontières ne seront jamais plus parfaitement lisibles. Il a notamment écrit Le monde est notre patrie (Goater, 2016), La peste soit des mangeurs de viande (La Manufacture de livre, 2017) et Les Cancrelats à coups de machette (Goater, 2018).

 

 

Avis :   

Après Nul ennemi comme un frère et Rares ceux qui échappèrent à la guerre, Frédéric Paulin clôt sa trilogie géopolitique avec un dernier volet consacré aux ultimes années du conflit libanais, entre 1986 et 1990. Le récit reprend là où il s'était brutalement interrompu. Paris reste secouée par les attentats, les services secrets s’agitent et les ramifications de la guerre civile débordent largement de Beyrouth. On retrouve les mêmes personnages fictifs, mêlés aux figures historiques, pour cette suite troublante de réalisme, qui, miroir de la complexité d’un conflit dense et opaque, se déploie dans un entrelacs de lieux et de temporalités. 

Dans ce troisième tome, Frédéric Paulin resserre encore l’étau autour de ses protagonistes, pris dans les jeux d’ombres et les brutalités du renseignement et de la diplomatie. À mesure que le conflit s’intensifie, leurs trajectoires se referment inexorablement, jusqu’à leur effacement. Marqués par la fatigue et le doute, ils dessinent une humanité en lutte, ni héroïque ni cynique, mais désespérément impuissante dans sa lucidité. Leur disparition, brutale ou silencieuse, scelle la trilogie dans une impasse tragique, reflet fidèle d'une guerre sans issue.

L’écriture, tendue et précise, saisit les tensions invisibles, rend palpable l’attente, la peur et l'usure, là où l’éthique s’efface devant les calculs politiques. Elle accompagne les scènes de marchandage autour des otages, réduits à des leviers électoraux dans la rivalité entre Chirac et Mitterrand, révélant un monde où les vies humaines sont reléguées au rang de variables dans une stratégie de conquête du pouvoir. 

Frédéric Paulin explore les marges de l’histoire contemporaine avec une acuité sans fard, attentive aux failles humaines autant qu’aux rouages politiques. Certaines scènes, saisies dans leur âpreté, claquent comme des déflagrations : une exécution dans un couloir, un regard échangé avant la mort, une ville qui s’effondre sous les bombes. Ce sont des fulgurances de réel, des fragments de vérité assemblés avec une exactitude quasi documentaire.

Pourtant – est-ce une certaine lassitude, avec près de 1300 pages cumulées sur toute la trilogie ? – on en vient parfois à souhaiter une respiration, tant la précision irréprochable finit par pétrifier l’émotion et la mécanique narrative, si maîtrisée, par lisser les aspérités. L’intérêt ne faiblit pas, mais l’intensité s’émousse, comme si le récit, à force de lucidité, se tenait à distance de ce qu’il fait ressentir.

Que s’obscurcissent le soleil et la lumière referme une trilogie ambitieuse, tendue, d’une cohérence remarquable. Frédéric Paulin y poursuit son entreprise de dévoilement, entre fiction et histoire, sans jamais céder à la facilité du spectaculaire ni à l’illusion du dénouement. Si ce dernier volume laisse parfois l’émotion en retrait, il confirme la puissance d’un regard : celui d’un écrivain qui interroge les zones grises du pouvoir et les mécanismes souterrains qui façonnent les conflits contemporains. Une lecture exigeante, dérangeante par sa lucidité, impitoyable dans sa vision du politique – et nécessaire. (4/5)

 

 

Citations :

Est-ce que la légalité est une frontière ? La juge Gagliago elle-même n’en est plus certaine. Est-ce que la légalité est une frontière lorsque les politiques mentent, se renient, font d’un petit juge le coupable de leurs magouilles ? Est-ce que la légalité a un sens lorsqu’il s’agit d’assassiner un assassin ?

Sur le terrain, les combats continuent. Édouard Nada a aussi accepté l’inacceptable : dans son pays, les combats ne sont plus le moyen d’atteindre des objectifs stratégiques ou politiques, non, ce ne sont que l’expression pathologique de chefs de guerre, et des miliciens qui leur obéissent. Ces gens se battent entre eux uniquement pour affirmer leur présence. Les anciens alliés se retrouvent désormais ennemis et l’on se massacre au sein d’une même confession : chiites contre chiites, Palestiniens contre Palestiniens, et chrétiens contre chrétiens. La Syrie et l’Iran exacerbent ces conflits, certes. Mais les Libanais sont assez fous pour se battre entre eux, sans l’aide de l’extérieur.

 

 

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