samedi 13 décembre 2025

[Delerm, Philippe] Le suicide exalté de Dickens

 




 

J'ai aimé

 

Titre : Le suicide exalté de Dickens

Auteur : Philippe DELERM

Parution : 2025 (Seuil)

Pages : 132 

 

  

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

Une flambée d’humanité. Voici ce qu’aura été la vie de Charles Dickens, avant qu’il ne meure d’épuisement, à cinquante-huit ans. C’est un pan peu connu de la vie d’un des plus grands écrivains que Philippe Delerm nous donne à découvrir dans ce récit court et captivant. Dickens a consumé les dix dernières années de sa vie dans des tournées de lectures publiques, à la façon d’une rock star littéraire du XIXe siècle. Écosse, Angleterre, États-Unis : il se donnait corps, voix et âme pour incarner les personnages de ses plus grands romans (Olivier Twist, De grandes espérances, Pickwick…). Personnages qu’il disait préférer à ses propres enfants… Il aura fait de la littérature une œuvre vivante. Sitôt refermé ce livre, on ne rêve plus que de replonger dans l’œuvre de celui qui a inventé le roman moderne, le grand Charles Dickens.

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Né en 1950, Philippe Delerm a consacré sa vie à la littérature. Professeur de français de nombreuses années, auteur de plus de cinquante livres salués par la critique et le prix des libraires en 1997, il est aussi un lecteur intime de nombreux écrivains, dont Marcel Proust ou Charles Dickens.

 

 

Avis :

Philippe Delerm dévoile une facette méconnue de Charles Dickens dans ce court roman qui voit l’écrivain, exalté jusqu’à la démesure, consumer ses dernières années en tournées de lectures publiques. Acteur de ses propres textes, il incarne ses personnages avec une énergie théâtrale qui fascine les foules, mais dans une dépense de soi si absolue qu'elle le mène à l’épuisement fatal. 

On connaissait Philippe Delerm pour sa célébration des plaisirs minuscules, un thème prolongé en réflexion sur le bonheur dans Sundborn, consacré au peintre impressionniste Carl Larsson et à sa sublimation artistique des instants fugaces. Cette fois, en lieu et place de la légèreté de l’éphémère, l'auteur déploie une dramaturgie de l’excès. Il explore la face sombre de la création, où l’art se fait sacrifice, et choisit chez Dickens le contrepoint à ses œuvres précédentes : l’ivresse tragique de l’absolu, révélant une continuité secrète entre émerveillement et démesure. Il interroge ainsi la condition de l’artiste, partagé entre la célébration de la vie et le vertige de l’anéantissement. 

Le récit se lit comme une mise en abyme de la création littéraire : Dickens, en se donnant tout entier à ses personnages, devient lui-même figure romanesque, emportée par la force de son propre imaginaire. Au-delà de l'anecdote biographique, Philippe Delerm capte l’intensité d’un moment et restitue la vibration d’une existence qui s'épuise dans l’acte artistique. Limpide et musicale, l’écriture oscille entre ferveur et fragilité.

Dans cette image de l’art poussé à son point de rupture, Dickens se fait miroir d’une condition plus vaste : celle de tout créateur qui, en donnant sa voix et son corps à son œuvre, risque de s’y perdre. En refermant cette parabole sur la fragilité et la grandeur de l’acte créateur, l’on garde l’impression d’avoir approché l’art dans sa forme la plus ardente, au seuil de la folie. Philippe Delerm offre un texte grave et lumineux, qui interroge la place de l’artiste dans le monde et rappelle que la création, dans son excès comme dans sa délicatesse, est toujours une manière de vivre au bord de l’absolu.

S’il séduit par la force de son intuition poétique et par sa manière de transformer une anecdote biographique en réflexion sur la condition de l’artiste, c’est néanmoins sur une impression prégnante de frustration que s’achève cette lecture ramassée, guidée par un regard volontairement partiel qui choisit – de façon un peu forcée, comme l’illustre son titre à l’accroche excessive ? – ce qui sert son propos. Aimant décidément à saisir au vol les éclats de vie comme des taches de lumière réfractées au travers d’un vitrail coloré, Philippe Delerm magnifie l'instantané, mais au prix d’une certaine légèreté. Entre sobriété formelle et intensité poétique, un livre que l’on aurait aimé oser l’épaisseur sans renoncer à la grâce. (3,5/5)

 

Citations :

Dans les salles où se font ses lectures, on rit à en perdre le souffle, on sanglote, toute pudeur abolie. C’est beaucoup plus que de la sympathie. On enlève toutes les bornes. On aime d’amour le Dickens qui se donne. Il a déjà tout livré de lui en écrivant ses livres. Mais sur scène, il devient ses propres personnages, et le public les devient à son tour. Cela ressemble à de l’idolâtrie, et c’est bien davantage : la légende se répand du nord de l’Écosse à toute l’Angleterre. Les spectateurs savent ce qu’ils viennent chercher, mais à chaque fois semblent stupéfaits de ce qu’ils trouvent. Une flambée d’humanité. Et Dickens est heureux. Et Dickens se consume.


En 1861, il écrira à Forster : « Les grandes foules que je vois chaque jour paraissent m’aimer comme on aime un ami personnel ! » 


Toutes ces foules frémissant dans les spectacles. Tous ces banquets où l’auteur Charles Dickens fut célébré. Et en regard, cette mélancolie persistante : par ses parents, sa femme, ses enfants, et même sa maîtresse, Dickens n’a pas su se faire aimer comme il s’est fait aimer par ses romans.

 

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