mardi 23 décembre 2025

[Muzzio, Diego] L'oeil de Goliath

 





Coup de coeur 💓

 

Titre : L'oeil de Goliath (El ojo de Goliat)

Auteur : Diego MUZZIO

Traduction : Eric REYES ROHER

Parution : en espagnol (Argentine) en 2022,
                  en français (Phébus) en 2025

Pages : 208

 

 

 

 

 

 

Présentation de l'éditeur :  

« Le jour se lève. Un épais rideau de brouillard encercle l’îlot. J’ignore quel jour on est. Cela n’a plus d’importance. Le temps, tel que le vivent la plupart des gens – ce lent enchaînement de secondes, de minutes, d’heures, de jours – , n’a aucune prise dans un lieu comme celui-ci. J’ai délaissé le rapport qui m’avait été commandé. À partir de maintenant, je m’attelle à la rédaction d’un second rapport, plus exhaustif (et insaisissable). Un rapport sur l’état de mon âme… »

Campé entre l’Édimbourg des années 1920 et les paysages désolés et hostiles de la Patagonie, mêlant traditions littéraires anglo-saxonnes et argentines, l’aventure, l’horreur et le gothique, L’Œil de Goliath explore avec panache la relation entre les hommes et leur double, les frontières floues entre ce que l’on considère comme des contraires absolus : le bien et le mal, la raison et la folie. Embarquez pour un voyage obsédant dans les recoins les plus sombres de l’âme humaine...

 

 

Le mot de l'éditeur sur l'auteur :

Diego Muzzio est né à Buenos Aires en 1969 et vit en France depuis près de vingt ans. Poète, novelliste, auteur pour la jeunesse, il signe, avec L’Œil de Goliath, son premier roman.

 

 

Avis :

S’il flotte quelque chose de Stefan Zweig – cette idée freudienne d’une force invisible qui travaille les êtres – dans les contours de cette histoire, le primo‑romancier argentin Diego Muzzio lui imprime pourtant un tour très personnel, en faisant de l’atmosphère, plus que de la psychologie, la véritable focale de son texte.

Cette atmosphère, on y plonge dès les premières pages, alors que, dans un silence rendu plus pesant encore par le trouble indéfinissable qui imprègne l’ouverture du récit, on assiste, dans l’Écosse des années 1920, à l’arrivée d’un mystérieux patient à l’asile dirigé par le docteur Pierce. Cet ancien combattant revenu des tranchées avec ses propres séquelles se consacre désormais à l’élaboration de protocoles de soins novateurs, à rebours des méthodes brutales alors en vigueur, pour apaiser les esprits meurtris par la guerre. L’homme qu’on lui amène n’est plus qu’une silhouette brisée, dont le seul viatique est le journal où il a consigné la naissance de son trouble avant de sombrer tout à fait. 

Le déchiffrage de ces pages griffonnées dans l’urgence fait basculer le récit dans le décor, cette fois tout à fait lunaire, d’une île perdue au sud de la Patagonie : un confetti de roche battu par les éléments, si isolé que le monde semble s’y dissoudre. Missionné sur place pour l'inspection d’un phare surnommé l’Oeil de Goliath, Bradley, ingénieur pourtant méthodique et parfaitement rationnel, se voit bientôt dépassé par ce qui tourne à l’épreuve de plus en plus déstabilisante. Entre l’isolement absolu, la perte progressive de tout repère, l’alliance traîtresse du vent et des vagues dans le surgissement sournois d’ombres et de voix inquiétantes, et même la bellicosité croissante des oiseaux ricochant dans la lumière du phare comme des entités malveillantes, tout concourt à fissurer les certitudes de cet homme habitué à tout expliquer. Dans ce décor minéral et hostile, la solitude agit comme un révélateur et, sapant les fragiles barrières érigées par la raison, confronte peu à peu l’esprit de Bradley aux spectres terribles qu’il croyait avoir terrassés.

Cette construction en abyme et la porosité entre les deux strates narratives – l’une rationnelle, l’autre hallucinée – crée un effet de résonance, lui aussi très zweigien, où le passé raconté devient une force active, presque autonome, qui travaille les personnages du présent. En faisant glisser son roman d’un espace mental à l’autre, en une montée savamment orchestrée du trouble et de l’angoisse, Diego Muzzio donne à sentir l’installation de la folie comme un glissement progressif, une dérive silencieuse où les repères se brouillent avant même que la raison ne cède. Cette déformation intime, en irriguant peu à peu toute la structure du roman, gagne aussi le lecteur : d’abord plongé dans un esprit méthodique qui se laisse envahir par ce qui lui échappe, il ressent à son tour une propagation diffuse, une vibration qui circule d’un récit à l’autre, puis bientôt d’un personnage à l’autre, jusqu’à l’envelopper lui‑même dans son halo d’incertitude.

Habile à laisser s’installer le trouble dans une atmosphère vibrant subtilement d’une menace sourde, Diego Muzzio tisse son récit d’une inquiétude d’autant plus hypnotique que le déséquilibre mental, ici produit d’un traumatisme qu’en cette époque d’après‑guerre l’on peine encore à reconnaître, semble pouvoir, dans les mêmes circonstances, gagner n’importe qui. Preuve en est le dénouement qui, dans l’implacable déplacement qu’il opère, réserve au lecteur un ultime frisson qu’il n’avait pas vu venir. Coup de coeur. (5/5)

 

 

Citations :

L’imagination est la seule arme pour combattre la réalité.

Ainsi en était-il venu à concevoir que certaines formes de folie puissent se rapprocher du vertige qui nous saisit face au spectacle de l’infini ; à ceci près, pensait le médecin, que le contemplateur occasionnel peut se détourner des astres selon sa volonté, tandis que pour le malade cette même expérience est à la fois incontrôlable et permanente.


 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire