Coup de coeur 💓
Titre : Les Contreforts
Auteur : Guillaume SIRE
Editeur : Calmann Lévy
Année de parution : 2021
Pages : 352
Présentation de l'éditeur :
Un éclair découpa l’horizon, suivi de sa morsure sonore, et une
goutte tomba, grosse comme un doigt — et le grand délire commença.
Au seuil des Corbières, les Testasecca habitent un château fort fabuleux, fait d’une multitude anarchique de tourelles, de coursives, de chemins de ronde et de passages dérobés. Clémence, dix-sept ans, bricoleuse de génie, rafistole le domaine au volant de son fidèle tracteur ; Pierre, quinze ans, hypersensible, braconne dans les hauts plateaux ; Léon, le père, vigneron lyrique et bagarreur, voit ses pouvoirs décroître à mesure que la vieillesse le prend ; Diane, la mère, essaie tant bien que mal de gérer la propriété.Ruinés, ils sont menacés d'expulsion. Et la nature autour devient folle : des hordes de chevreuils désorientés ravagent les cultures. Frondeurs et orgueilleux, les Testasecca décident de défendre coûte que coûte le château.
Au seuil des Corbières, les Testasecca habitent un château fort fabuleux, fait d’une multitude anarchique de tourelles, de coursives, de chemins de ronde et de passages dérobés. Clémence, dix-sept ans, bricoleuse de génie, rafistole le domaine au volant de son fidèle tracteur ; Pierre, quinze ans, hypersensible, braconne dans les hauts plateaux ; Léon, le père, vigneron lyrique et bagarreur, voit ses pouvoirs décroître à mesure que la vieillesse le prend ; Diane, la mère, essaie tant bien que mal de gérer la propriété.Ruinés, ils sont menacés d'expulsion. Et la nature autour devient folle : des hordes de chevreuils désorientés ravagent les cultures. Frondeurs et orgueilleux, les Testasecca décident de défendre coûte que coûte le château.
Dans cette épopée baroque et tragique où on retrouve
toute sa puissance romanesque, Guillaume Sire érige une mythologie sur
la terre de son enfance.
Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Guillaume Sire est écrivain et enseignant à l’université Toulouse Capitole. Son précédent roman, Avant la longue flamme rouge,
a été distingué par de nombreux prix littéraires, notamment le prix
Orange du livre, le prix des lecteurs de la Ville de Brive, le prix du
roman Coiffard...
Avis :
Dans les Corbières, le château des Testasecca succombe de jour en jour davantage aux outrages du temps. Ses propriétaires, ruinés, sont au bord de l’expulsion. Le flamboyant père vigneron, Léon, a beau se draper dans sa superbe et multiplier les coups de poing au village, la mère Diane jongler de son mieux avec les dettes qui plombent les comptes, leurs enfants Clémence et Pierre, dix-sept et quinze ans, se rendent bien compte que leur situation est aussi périlleuse que celle de leur fabuleuse forteresse. Pour autant, pas plus que leurs parents, la fille qui, comme un homme, s’attèle avec résolution aux travaux de gros œuvre les plus urgents, et le fils, braconnier dans l’âme, qui connaît comme sa poche les hauts plateaux alentour, ne sont prêts à se laisser chasser de leur ancestral repaire. Et s’il le faut, c’est un comité armé qui accueillera huissiers et gendarmes…
Posséder un château n’est pas une sinécure. Qui plus est une forteresse follement campée sur les contreforts montagneux du massif des Corbières, dans le paysage âpre d’une nature sèche et sauvage, à l’austérité aussi ingrate que menaçante. Car, au-delà des tracasseries financières et des appétits immobiliers sur le point de leur donner le coup de grâce, c’est d’abord l’inexorable attaque du temps et des éléments que les Testasecca affrontent dans un combat inégal et perdu d’avance. La nature des Corbières devient un personnage à part entière, magnifique mais dangereux, car doté d’une puissance imparable, imprévisible, qui, lorsqu’elle s’acharne, réveille craintes, superstitions et antiques croyances.
Parfaitement réaliste quant à son versant humain, où une poignée d’êtres anticonformistes voient leur liberté rognée peu à peu par le triomphe d’un matérialisme normatif symbolisé par le bitume et le béton, la narration verse dans la magie du conte lorsqu’elle évoque fantastiquement, comme en écho au souvenir des perceptions d’enfance de l’auteur, la fabuleuse architecture du château-fort, de terrifiants orages et de dévastateurs incendies de forêt, une faune effrayante et de maléfiques créatures cachées dans les replis de la montagne. Ne reste au lecteur qu’à lâcher prise et à se laisser porter par l’écriture magique de Guillaume Sire, qui, d’une manière qui m’a évoqué Franck Bouysse, sertit la noirceur de son histoire dans des phrases d’une beauté lumineuse lorsqu’elles évoquent son cadre naturel, et, comme dans Buveurs de vent, joue des symboles et du conte pour exprimer la rébellion contre un monde sclérosant. Une résistance qui se teinte d’ailleurs ici d’une touche de subversion, dont on pourra retrouver un écho chez Edward Abbey et les scènes de sabotage de son Gang de la clef à molette.
Dans un registre très différent d’Avant la longue flamme rouge, récit haletant et bouleversant d’une histoire vraie, ce conte symbolique, qui oppose une nature vengeresse à la cupidité suffisante d’hommes persuadés de l’avoir domestiquée, réinvente étonnamment le talent de Guillaume Sire. S'y révèle notamment une nouvelle facette, particulièrement esthétique, de sa plume. Nouveau coup de coeur pour cet auteur. (5/5).
Entre les Figueras et les Testasecca, les relations n’ont jamais été mauvaises. Il y a eu des disputes au conseil municipal pour la réfection du chemin du nouveau cimetière, mais rien d’impardonnable. Léon essaie de se figurer comment « Patoche » aurait pu en venir à se mettre d’accord avec un notaire véreux et son beau-frère Hugues Bourrasset pour acheter Montrafet, revendre le château et lotir le domaine ; seulement il n’y arrive pas, il ne comprend pas. Par quelle lucarne le démon est-il passé ? La colère germe en lui sous un terreau de souvenirs défectueux et, parce que c’est inexplicable, parce que rien ne justifie que le brave Figueras en soit arrivé là, la plante pousse de travers, en rhizomes purulents ; c’est de la rancune chez quelqu’un qui, d’ordinaire, en est incapable ; de la haine chez celui qui n’en a jamais ressenti ; du désespoir dans un cœur que normalement rien n’inquiète. Et c’est de la colère, une colère énorme d’animal !
Les Testasecca donnent systématiquement la chasse aux fureteurs qu’ils surprennent sur leurs terres. Un matin, Clémence n’a pas pu résister à l’envie de tirer sur l’un d’eux une de ces cartouches qu’elle fabrique avec des germes de blé. Heureusement, c’était un Néerlandais à la peau de loutre, qui n’a pas eu l’idée de porter plainte. Il paraît que, lorsqu’on est touché, le blé pousse dans les chairs et qu’on souffre pendant des semaines, beaucoup plus qu’avec les cartouches au gros sel ; les grains s’ouvrent et déchirent les tissus ; sur la couenne, les épis se déploient, et sous la peau leurs racines se mélangent aux capillaires sanguins et se greffent sur les nerfs. Si on essaie de les arracher, ils fructifient encore plus vite ; de sorte que le blessé n’a pas d’autre choix que de laisser faire, et bientôt le voilà recouvert de panicules vigoureuses l’empêchant de porter une chemise ou un pantalon. Il lui faudra attendre une saison entière, le temps de la moisson, la mort du sénevé, pour guérir, constellé à jamais de cicatrices violettes depuis qu’un champ de blé lui a poussé sur le cul.
Un automne et un hiver ont passé. Le gel a fendu les caponnières du rempart sud, et éclaté le cartel du donjon hexagonal. La grêle a marqué au cran de son couteau les ardoises des tourelles et le bois brun des palissades. Le mistral, excité par les tourbillons de givre, a viré hystérique. Les cyprès ont fouetté la citerne de gaz (Pierre entendait depuis son lit les coups sur l’acier) jusqu’à ce qu’elle crève et laisse échapper dans le gazon un venin instable. Le ciel de mars est apparu en braies mauves, traversé de nuées lustrales et de corbeaux aux regards obscènes, perchés sur les guérites de la tour d’artillerie et le perron du salon au cerf.
Dans l’enfance, Clémence et Pierre croyaient leur père immortel. Ils le croyaient vraiment, parce que Léon le leur avait répété des centaines de fois, et parce qu’il le leur avait même prouvé à deux reprises, en restant trois minutes trente sous l’eau, dans la piscine des Bertrou, et en tenant une braise dans la paume de sa main. (…)
Puis Mamita est morte. S’il avait pu, Léon lui aurait donné son immortalité, mais elle l’aurait refusée, c’est en tout cas ce qu’elle avait dit à Pierre trois jours avant de le quitter : « Tous les parents refusent l’immortalité que voudraient leur léguer leurs enfants. » Alors une pensée lui avait traversé l’esprit, dont le souvenir aujourd’hui est plus tragique que jamais : si les grands-parents peuvent mourir, les parents ne seront pas éternels longtemps.
Posséder un château n’est pas une sinécure. Qui plus est une forteresse follement campée sur les contreforts montagneux du massif des Corbières, dans le paysage âpre d’une nature sèche et sauvage, à l’austérité aussi ingrate que menaçante. Car, au-delà des tracasseries financières et des appétits immobiliers sur le point de leur donner le coup de grâce, c’est d’abord l’inexorable attaque du temps et des éléments que les Testasecca affrontent dans un combat inégal et perdu d’avance. La nature des Corbières devient un personnage à part entière, magnifique mais dangereux, car doté d’une puissance imparable, imprévisible, qui, lorsqu’elle s’acharne, réveille craintes, superstitions et antiques croyances.
Parfaitement réaliste quant à son versant humain, où une poignée d’êtres anticonformistes voient leur liberté rognée peu à peu par le triomphe d’un matérialisme normatif symbolisé par le bitume et le béton, la narration verse dans la magie du conte lorsqu’elle évoque fantastiquement, comme en écho au souvenir des perceptions d’enfance de l’auteur, la fabuleuse architecture du château-fort, de terrifiants orages et de dévastateurs incendies de forêt, une faune effrayante et de maléfiques créatures cachées dans les replis de la montagne. Ne reste au lecteur qu’à lâcher prise et à se laisser porter par l’écriture magique de Guillaume Sire, qui, d’une manière qui m’a évoqué Franck Bouysse, sertit la noirceur de son histoire dans des phrases d’une beauté lumineuse lorsqu’elles évoquent son cadre naturel, et, comme dans Buveurs de vent, joue des symboles et du conte pour exprimer la rébellion contre un monde sclérosant. Une résistance qui se teinte d’ailleurs ici d’une touche de subversion, dont on pourra retrouver un écho chez Edward Abbey et les scènes de sabotage de son Gang de la clef à molette.
Dans un registre très différent d’Avant la longue flamme rouge, récit haletant et bouleversant d’une histoire vraie, ce conte symbolique, qui oppose une nature vengeresse à la cupidité suffisante d’hommes persuadés de l’avoir domestiquée, réinvente étonnamment le talent de Guillaume Sire. S'y révèle notamment une nouvelle facette, particulièrement esthétique, de sa plume. Nouveau coup de coeur pour cet auteur. (5/5).
Citations :
Les Testasecca donnent systématiquement la chasse aux fureteurs qu’ils surprennent sur leurs terres. Un matin, Clémence n’a pas pu résister à l’envie de tirer sur l’un d’eux une de ces cartouches qu’elle fabrique avec des germes de blé. Heureusement, c’était un Néerlandais à la peau de loutre, qui n’a pas eu l’idée de porter plainte. Il paraît que, lorsqu’on est touché, le blé pousse dans les chairs et qu’on souffre pendant des semaines, beaucoup plus qu’avec les cartouches au gros sel ; les grains s’ouvrent et déchirent les tissus ; sur la couenne, les épis se déploient, et sous la peau leurs racines se mélangent aux capillaires sanguins et se greffent sur les nerfs. Si on essaie de les arracher, ils fructifient encore plus vite ; de sorte que le blessé n’a pas d’autre choix que de laisser faire, et bientôt le voilà recouvert de panicules vigoureuses l’empêchant de porter une chemise ou un pantalon. Il lui faudra attendre une saison entière, le temps de la moisson, la mort du sénevé, pour guérir, constellé à jamais de cicatrices violettes depuis qu’un champ de blé lui a poussé sur le cul.
Un automne et un hiver ont passé. Le gel a fendu les caponnières du rempart sud, et éclaté le cartel du donjon hexagonal. La grêle a marqué au cran de son couteau les ardoises des tourelles et le bois brun des palissades. Le mistral, excité par les tourbillons de givre, a viré hystérique. Les cyprès ont fouetté la citerne de gaz (Pierre entendait depuis son lit les coups sur l’acier) jusqu’à ce qu’elle crève et laisse échapper dans le gazon un venin instable. Le ciel de mars est apparu en braies mauves, traversé de nuées lustrales et de corbeaux aux regards obscènes, perchés sur les guérites de la tour d’artillerie et le perron du salon au cerf.
Dans l’enfance, Clémence et Pierre croyaient leur père immortel. Ils le croyaient vraiment, parce que Léon le leur avait répété des centaines de fois, et parce qu’il le leur avait même prouvé à deux reprises, en restant trois minutes trente sous l’eau, dans la piscine des Bertrou, et en tenant une braise dans la paume de sa main. (…)
Puis Mamita est morte. S’il avait pu, Léon lui aurait donné son immortalité, mais elle l’aurait refusée, c’est en tout cas ce qu’elle avait dit à Pierre trois jours avant de le quitter : « Tous les parents refusent l’immortalité que voudraient leur léguer leurs enfants. » Alors une pensée lui avait traversé l’esprit, dont le souvenir aujourd’hui est plus tragique que jamais : si les grands-parents peuvent mourir, les parents ne seront pas éternels longtemps.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire