mardi 9 novembre 2021

[Sire, Guillaume] Les Contreforts

 






Coup de coeur đź’“

 

Titre : Les Contreforts

Auteur : Guillaume SIRE

Editeur : Calmann LĂ©vy

Année de parution : 2021

Pages : 352

 

 

 

 

 

 

PrĂ©sentation de l'Ă©diteur :   

Un Ă©clair dĂ©coupa l’horizon, suivi de sa morsure sonore, et une goutte tomba, grosse comme un doigt — et le grand dĂ©lire commença.
Au seuil des Corbières, les Testasecca habitent un château fort fabuleux, fait d’une multitude anarchique de tourelles, de coursives, de chemins de ronde et de passages dĂ©robĂ©s. ClĂ©mence, dix-sept ans, bricoleuse de gĂ©nie, rafistole le domaine au volant de son fidèle tracteur ; Pierre, quinze ans, hypersensible, braconne dans les hauts plateaux ; LĂ©on, le père, vigneron lyrique et bagarreur, voit ses pouvoirs dĂ©croĂ®tre Ă  mesure que la vieillesse le prend ; Diane, la mère, essaie tant bien que mal de gĂ©rer la propriĂ©tĂ©.RuinĂ©s, ils sont menacĂ©s d'expulsion. Et la nature autour devient folle : des hordes de chevreuils dĂ©sorientĂ©s ravagent les cultures. Frondeurs et orgueilleux, les Testasecca dĂ©cident de dĂ©fendre coĂ»te que coĂ»te le château.
Dans cette épopée baroque et tragique où on retrouve toute sa puissance romanesque, Guillaume Sire érige une mythologie sur la terre de son enfance.

 

 

Le mot de l'Ă©diteur sur l'auteur :

Guillaume Sire est Ă©crivain et enseignant Ă  l’universitĂ© Toulouse Capitole. Son prĂ©cĂ©dent roman, Avant la longue flamme rouge, a Ă©tĂ© distinguĂ© par de nombreux prix littĂ©raires, notamment le prix Orange du livre, le prix des lecteurs de la Ville de Brive, le prix du roman Coiffard...

 

 

Avis :

Dans les Corbières, le château des Testasecca succombe de jour en jour davantage aux outrages du temps. Ses propriĂ©taires, ruinĂ©s, sont au bord de l’expulsion. Le flamboyant père vigneron, LĂ©on, a beau se draper dans sa superbe et multiplier les coups de poing au village,  la mère Diane jongler de son mieux avec les dettes qui plombent les comptes, leurs enfants ClĂ©mence et Pierre, dix-sept et quinze ans, se rendent bien compte que leur situation est aussi pĂ©rilleuse que celle de leur fabuleuse forteresse. Pour autant, pas plus que leurs parents, la fille qui, comme un homme, s’attèle avec rĂ©solution aux travaux de gros Ĺ“uvre les plus urgents, et le fils, braconnier dans l’âme, qui connaĂ®t comme sa poche les hauts plateaux alentour, ne sont prĂŞts Ă  se laisser chasser de leur ancestral repaire. Et s’il le faut, c’est un comitĂ© armĂ© qui accueillera huissiers et gendarmes…

PossĂ©der un château n’est pas une sinĂ©cure. Qui plus est une forteresse follement campĂ©e sur les contreforts montagneux du massif des Corbières, dans le paysage âpre d’une nature sèche et sauvage, Ă  l’austĂ©ritĂ© aussi ingrate que menaçante. Car, au-delĂ  des tracasseries financières et des appĂ©tits immobiliers sur le point de leur donner le coup de grâce, c’est d’abord l’inexorable attaque du temps et des Ă©lĂ©ments que les Testasecca affrontent dans un combat inĂ©gal et perdu d’avance. La nature des Corbières devient un personnage Ă  part entière, magnifique mais dangereux, car dotĂ© d’une puissance imparable, imprĂ©visible, qui, lorsqu’elle s’acharne, rĂ©veille craintes, superstitions et antiques croyances.

Parfaitement rĂ©aliste quant Ă  son versant humain, oĂą une poignĂ©e d’ĂŞtres anticonformistes voient leur libertĂ© rognĂ©e peu Ă  peu par le triomphe d’un matĂ©rialisme normatif symbolisĂ© par le bitume et le bĂ©ton, la narration verse dans la magie du conte lorsqu’elle Ă©voque fantastiquement, comme en Ă©cho au souvenir des perceptions d’enfance de l’auteur, la fabuleuse architecture du château-fort, de terrifiants orages et de dĂ©vastateurs incendies de forĂŞt, une faune effrayante et de malĂ©fiques crĂ©atures cachĂ©es dans les replis de la montagne. Ne reste au lecteur qu’Ă  lâcher prise et Ă  se laisser porter par l’Ă©criture magique de Guillaume Sire, qui, d’une manière qui m’a Ă©voquĂ© Franck Bouysse, sertit la noirceur de son histoire dans des phrases d’une beautĂ© lumineuse lorsqu’elles Ă©voquent son cadre naturel, et, comme dans Buveurs de vent, joue des symboles et du conte pour exprimer la rĂ©bellion contre un monde sclĂ©rosant. Une rĂ©sistance qui se teinte d’ailleurs ici d’une touche de subversion, dont on pourra retrouver un Ă©cho chez Edward Abbey et les scènes de sabotage de son Gang de la clef Ă  molette.

Dans un registre très diffĂ©rent d’Avant la longue flamme rouge, rĂ©cit haletant et bouleversant d’une histoire vraie, ce conte symbolique, qui oppose une nature vengeresse Ă  la cupiditĂ© suffisante d’hommes persuadĂ©s de l’avoir domestiquĂ©e, rĂ©invente Ă©tonnamment le talent de Guillaume Sire. S'y rĂ©vèle notamment une nouvelle facette, particulièrement esthĂ©tique, de sa plume. Nouveau coup de coeur pour cet auteur. (5/5).  

 

 

Citations :

Entre les Figueras et les Testasecca, les relations n’ont jamais Ă©tĂ© mauvaises. Il y a eu des disputes au conseil municipal pour la rĂ©fection du chemin du nouveau cimetière, mais rien d’impardonnable. LĂ©on essaie de se figurer comment « Patoche » aurait pu en venir Ă  se mettre d’accord avec un notaire vĂ©reux et son beau-frère Hugues Bourrasset pour acheter Montrafet, revendre le château et lotir le domaine ; seulement il n’y arrive pas, il ne comprend pas. Par quelle lucarne le dĂ©mon est-il passĂ© ? La colère germe en lui sous un terreau de souvenirs dĂ©fectueux et, parce que c’est inexplicable, parce que rien ne justifie que le brave Figueras en soit arrivĂ© lĂ , la plante pousse de travers, en rhizomes purulents ; c’est de la rancune chez quelqu’un qui, d’ordinaire, en est incapable ; de la haine chez celui qui n’en a jamais ressenti ; du dĂ©sespoir dans un cĹ“ur que normalement rien n’inquiète. Et c’est de la colère, une colère Ă©norme d’animal !

Les Testasecca donnent systĂ©matiquement la chasse aux fureteurs qu’ils surprennent sur leurs terres. Un matin, ClĂ©mence n’a pas pu rĂ©sister Ă  l’envie de tirer sur l’un d’eux une de ces cartouches qu’elle fabrique avec des germes de blĂ©. Heureusement, c’Ă©tait un NĂ©erlandais Ă  la peau de loutre, qui n’a pas eu l’idĂ©e de porter plainte. Il paraĂ®t que, lorsqu’on est touchĂ©, le blĂ© pousse dans les chairs et qu’on souffre pendant des semaines, beaucoup plus qu’avec les cartouches au gros sel ; les grains s’ouvrent et dĂ©chirent les tissus ; sur la couenne, les Ă©pis se dĂ©ploient, et sous la peau leurs racines se mĂ©langent aux capillaires sanguins et se greffent sur les nerfs. Si on essaie de les arracher, ils fructifient encore plus vite ; de sorte que le blessĂ© n’a pas d’autre choix que de laisser faire, et bientĂ´t le voilĂ  recouvert de panicules vigoureuses l’empĂŞchant de porter une chemise ou un pantalon. Il lui faudra attendre une saison entière, le temps de la moisson, la mort du sĂ©nevĂ©, pour guĂ©rir, constellĂ© Ă  jamais de cicatrices violettes depuis qu’un champ de blĂ© lui a poussĂ© sur le cul.

Un automne et un hiver ont passĂ©. Le gel a fendu les caponnières du rempart sud, et Ă©clatĂ© le cartel du donjon hexagonal. La grĂŞle a marquĂ© au cran de son couteau les ardoises des tourelles et le bois brun des palissades. Le mistral, excitĂ© par les tourbillons de givre, a virĂ© hystĂ©rique. Les cyprès ont fouettĂ© la citerne de gaz (Pierre entendait depuis son lit les coups sur l’acier) jusqu’Ă  ce qu’elle crève et laisse Ă©chapper dans le gazon un venin instable. Le ciel de mars est apparu en braies mauves, traversĂ© de nuĂ©es lustrales et de corbeaux aux regards obscènes, perchĂ©s sur les guĂ©rites de la tour d’artillerie et le perron du salon au cerf.

Dans l’enfance, ClĂ©mence et Pierre croyaient leur père immortel. Ils le croyaient vraiment, parce que LĂ©on le leur avait rĂ©pĂ©tĂ© des centaines de fois, et parce qu’il le leur avait mĂŞme prouvĂ© Ă  deux reprises, en restant trois minutes trente sous l’eau, dans la piscine des Bertrou, et en tenant une braise dans la paume de sa main. (…)
Puis Mamita est morte. S’il avait pu, LĂ©on lui aurait donnĂ© son immortalitĂ©, mais elle l’aurait refusĂ©e, c’est en tout cas ce qu’elle avait dit Ă  Pierre trois jours avant de le quitter : « Tous les parents refusent l’immortalitĂ© que voudraient leur lĂ©guer leurs enfants. » Alors une pensĂ©e lui avait traversĂ© l’esprit, dont le souvenir aujourd’hui est plus tragique que jamais : si les grands-parents peuvent mourir, les parents ne seront pas Ă©ternels longtemps.

 

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